Le chirurgien d’un centre hospitalier va voir ses convictions ébranlées par le climat d’insécurité et de violences qui règne dans le pays. Serment d’Hyppocrate, honneur et probité, lois humanitaires et état de droit en questions, au cœur du chaos. Le cinéaste signe un film grave et fort …

Dans le bus qui amène à destination les passagers vers la ville, le chauffeur distille des quelques recommandations a des passagers et des visages qui semblent inquiets et interrogatifs. Au cœur de ce paysage Méditerranéen écrasé par le soleil sur ce chemin de campagne, derrière ses mots rassurants et apaisants, la crainte va se concrétiser avec ce barrage composé d’hommes armées, menaçants et sans scrupules qui vont s’emparer de tout ce qui a valeur, chez les occupants du car !. La force de la séquence tient dans ce »flou » d’un état des lieux et ses non-dits que distille la peur , en forme de constat glaçant de menace diffuse,et du silence qui l’entoure. Résultante emblématique d’une situation de dégradation sociale, politique et de confusion dans laquelle un pays peut se retrouver plongé et verser …dans la violence aveugle et la guerre civile . La genèse de son film Rabah Ameur -Zaïmèche d’origine Algérienne qui a vécu loin des « années Noires » de son pays étant alors étudiant à Paris. Des événements douloureux qu’il a longtemps portés en lui, vécus, ressentis , comme « une blessure profonde … d’un pays et d’une jeunesse sacrifiée » . Celle qui, ajoute-t-il a été « annonciatrice d’autres catastrophes qui se sont produites depuis…». La force de son récit et de son héros chirurgien qui , dans ce contexte , va voir son quotidien bouleversé , tient à cette belle idée : l’ouvrir par le rôle sociétal emblématique de celui-ci , à la dimension universelle d’une réflexion qui interroge sur un engrenage. Celui au cœur duquel , entre : « libertés en question… et état d’urgence » , va naître la confusion qui vient s’inscrire au cœur du chaos et des « crises » sociales et politiques , dont le cinéaste souligne les dangers des risques de dérapages qui peuvent faire «… dégénérer l’état de droit ». C’est ce que relèvent les journalistes du quotidien local interpellés par le témoignage du chauffeur du car et d’autres faits semblables de violences commises par des groupes armés …dont on ne sait pas , qui ils sont !. Policiers, militaires, gangsters ou terroristes ? : «ils ont tous des armes, des armes de guerre, et en outre tous utilisent l’apparence des autres groupes en certaines occasions », relève le cinéaste. Violences , enlèvements , exécutions sommaires , la confusion règne : qui manipule qui ? , qui dirige et dans quel but ? . Ces exactions, cette confusion extrême et ce silence qu’il faut rompre qui endeuille un ( ou des..) pays dans le monde , et fait des milliers de victimes innocentes…

C’est dans cet engrenage que le docteur ( Ramzi Bédia, remarquable en roc d’humanité ) , sera pris , refusant de rompre le serment d’Hyppocrate , auquel il reste fidèle : « .. aux lois d’honneur et de probité …respectant toutes les personnes sans aucune discrimination , selon leur état ou leurs convictions…même sous la contrainte , je ne ferais pas usage de mes conniassances contre les lois de l’humanité »..». Même s’il sait qu’il est en danger , comme il le confiera dans une magnifique scène à une ami après avoir reçu de nombreuses lettres de menaces de mort, affirmant qu’il ne cédera pas ! . D’ailleurs il a un exemple qui lui sert de repère -souvenir : son père jadis résistant … qui ne céda pas sous la torture ! . Alors, il va faire front, malgré les pressions sur son entourage , et sa femme qui le supplie de quitter le pays !. Et même s’il doit avoir recours a des subterfuges ( médicaments et alcool ) pour tenir le cap, il y a bien quelque chose qui relance chaque fois sa détermination .Ce sont à chaque fois tous ces malades et dépressifs venus en consultation et en soins , qui se confient. Celui-ci, relève le cinéaste: « face aux angoisses que cet état du monde engendre, et qu’on ne sait pas prendre en charge . Il sonde le déchirement des cœurs, mesure le règne de l’absurde et l’omniprésence de la terreur, entrevoit le prix du sang, enterre ses morts, et en dépit de tout tente de soigner et de guérir » . A l’image de cette femme désemparée dont le mari a été enlevé et n’a plus de nouvelles, ou de cet homme dont un membre de la famille a été assassiné, prostré dans la douleur et qui veut en finir !.. Mais son obstination va rendre notre médecin de plus en plus vulnérable , suivi et surveillé , les dérivatifs ou les évasions solitaires par lesquelles il se ressource quelque peu au cœur des magnifiques paysages et des animaux en liberté , qui lui apportent un brin de réconfort sur ce pays … dont il déplore ce qu’il est devenu : « …je ne pensais pas qu’il sombrerait ainsi , je ne le reconnaît plus, c’est plus le mien !…comment on en est arrivés à un monde qui menace un médecin ! ». Même à l’entrée de l’hôpital où il se rend chaque jour , certains policiers lui disent : « on a entendu des choses, des rumeurs , c’est pas pas bien pour toi ! ». l’étau se resserre et il le sait bien , d’autant que certains proches tombent, sous les balles . ..

Le choc de l’assassinat de son ami journaliste à qui l’on a tiré une balle « dans le dos » et qu’il n’a pu sauver, attise encore sa rancoeur , à laquelle le partage collectif de la douleur , offre un fort écho émotionnel. Celui que renvoie également la magnifique scène de la veillée funèbre où ce choc se répercute au travers de chants de « berceuses Suédoises » en accompagnement voulu par le cinéaste comme prolongement d’une douleur destinée à:
« rendre sensible la dimension générale de ce qui se joue dans le film… Ces chansons venues d’autres parties du monde permettent d’élargir la perspective… », dit-il . Cet élargissement à la dimension universelle voulue du combat contre l’obscurantisme, va trouver son prolongement dans ce qui va finir par advenir : l’arrestation du médecin et les sévices qui s’ensuivront. Le prix à payer : celui du courage … et puis, celui de la solidarité toujours en question et ( ou) en réponse, nécessaire qu’il faut opposer. Rabah Ameur -Zaïmèche, en irrigue son récit et son film , comme une nécessité par laquelle il renvoie aux espaces temporels de celui-ci , cette dimension que nous évoquions Dimension qui prendra , insensiblement son ampleur au fil des séquences où , en parallèle , s’entrechoquent échos du passé de l’histoire ) et du présent , comme une nécessité. Celle des leçons à retenir . afin de préserver le futur de telles dérives meurtrières ! . De la même manière que l’est, cette « approche » » suggestive, par laquelle la mise en scène et en images, se concrétisent par des choix très forts, notamment sur les thématiques et les formes de la violence. Celles de l’humiliation dont il décrit frontalement les effets et les conséquences, comme forme de violence extrême. Et cette autre, plus radicale encore de la torture qui,elle, est suggérée hors-champ, refusant toute forme de voyeurisme. Dans la continuité de son œuvre et notamment de Les chants de Malandrin ( 2011, Prix Jean Vigo) et Histoire de Judas ( 2015 ), Terminal Sud, s’y inscrit, et nous interpelle , par son approche stylistique remarquable sur l’état d’un monde contemporain au bord du gouffre !. La destinée bouleversée du docteur s’y inscrit comme « cri » surgi des années sombres, celui d’un peuple et d’une jeunesse meurtris dont le cinéaste a gardé au cœur, la blessure ouverte. C’est un film fort, et abouti à tous points de vues : esthétique, émotionnel et politique A ne pas manquer …
(Etienne Ballérini)
TERMINAL SUD de Rabah Ameur-Zaïmèche – 2019- Durée : 1h 36-
AVEC : Ramsy Bédia, Amel Brahim Djelloul, Slimane Dazi, Nabvil Djedouani, salim Amueur-Zaïmèche, Nadja Harek, Jacques Nolot …
LIEN : Bande-Annonce du Film : Terminal Sud de Rabah Ameur-Zaïmèche .