Cinéma / LES MISERABLES de Ladj Ly

Les Misérables est le premier long métrage de fiction de Ladj Ly. Il a été l’un des chocs du Festival de Cannes 2019 où il a remporté le Prix du Jury. Le réalisateur porte un regard réaliste et sans manichéisme sur la banlieue qu’il connaît très bien. A ne pas manquer.

CiaoViva - Les-Miserables Affiche« Jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien… ». Cet extrait d’une réplique en voix-off d’Hubert (Hubert Kundé), l’un des trois copains, avec Saïd (Saïd Taghmaoui) et Vinz (Vincent Cassel), de La Haine de Mathieu Kassovitz, pourrait très bien accompagner les premières images des Misérables : des jeunes de banlieue rejoignent Paris pour se mêler à la foule en liesse et célébrer le titre de Champion du Monde de l’Equipe de France de football. « (…) l’important n’est pas la chute, c’est l’atterrissage… » mais celui-ci est brutal avec le retour à la réalité et au quotidien d’une ville de la banlieue parisienne. C’est ce que découvre Stéphane (Damien Bonnard), qui arrive de Cherbourg, pour intégrer la Brigade Anti-Criminalité (BAC) de Montfermeil, dans le 93. Il va faire équipe avec Chris (Alexis Manenti), un flic raciste, et Gwada (Djebril Zonga), deux « Bacqueux » d’expérience. Rapidement, il se rend compte des tensions entre les différents groupes du quartier. Il semble régner un semblant de paix sociale, mais celle-ci peut s’effondrer à la moindre étincelle…

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Stéphane (Damien Bonnard), Chris (Alexis Manenti), Gwada (Djebril Zonga) – Crédit Photo :SRAB Films – Rectangle Productions – Lyly Films

Il est encore très tentant de faire un parallèle avec le film de Mathieu Kassovitz, présenté à Cannes où il a été primé en 1995… tout comme Les Misérables en mai dernier. L’un et l’autre ont pour thème la banlieue, l’un et l’autre ont été inspirés par une bavure policière, l’un et l’autre mettent en avant trois protagonistes. Cependant, le second se différencie du premier par son approche documentaire. Rien de très surprenant, car si Ladj Ly signe ici son premier long métrage de fiction, il a déjà une solide expérience de la réalisation. Originaire de Montfermeil, où il grandit, il est cofondateur en 1995, à 16 ans, du collectif Kourtrajmé avec ses copains d’enfance Kim Chapiron et Romain Gavras. Il a réalisé son premier court métrage en 1997, Montfermeil Les Bosquets. Puis, il a coécrit le documentaire 28 Millimètres avec le photographe JR qui affiche des portraits en grand format sur les murs de Clichy, de Montfermeil et de Paris. Après les émeutes de 2005 déclenchées par la mort de deux adolescents Zyed et Bouna dans un transformateur électrique à Clichy-sous-Bois, il a décidé de filmer son quartier pendant un an et d’en faire un web-documentaire en 2007 nommé 365 Jours à Clichy-Montfermeil. C’est en 2017 qu’il a réalisé le court métrage Les Misérables, ébauche du long, primé au festival de Clermont-Ferrand et qui lui vaut d’être nommé aux César 2018.

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Les microbes – Crédit photo : SRAB Films – Rectangle Productions – Lyly Films

Aussi, cette histoire, cette situation dans (des) un quartier(s) de banlieue où rien n’a vraiment changé depuis 40 ans, le réalisateur (qui vit toujours à Montfermeil), la connaît très bien et son regard est donc celui de l’intérieur. Et ce regard est porté sans manichéisme pour dépeindre une réalité très complexe à partir du point de vue d’un policier, en l’occurrence Stéphane (Damien Bonnard, vu notamment dans Rester vertical d’Alain Guiraudie et J’Accuse de Roman Polanski), qui découvre, comme le spectateur, un monde qu’il ne connaît pas, une société régie par des rapports de force entre différents « clans » : policiers, jeunes, éducateurs, religieux, gitans, dealers… Le film ne propose pas un affrontement « gentils jeunes contre méchants flics », « pro-caillera / anti-keuf » (ou l’inverse), noirs contre blancs. De même qu’il écarte quelques pièges (ou facilités) scénaristique (pas de trafic de drogue ou de rivalités entre bandes) ou de réalisation ( pas de montage clip, pas de musique rap), poncifs inhérents aux « films de banlieue ». C’est toujours le soucis d’être au plus proche de la réalité qui prédomine. Avec Les Misérables, long métrage parfaitement maîtrisé de bout en bout (voir, notamment, la dernière partie, celle de l’embrasement), Ladj Ly observe avec justesse et se garde de juger.

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Ladj Ly entouré de ses trois acteurs principaux – Photocall Cannes 2019 – Crédit photo : Philippe Prost

Le titre du film renvoie au célèbre roman de Victor Hugo qui se déroule en partie à Montfermeil. C’est d’ailleurs une citation du livre qui apparaît à la fin : « Mes amis, retenez bien ceci, il n’y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes, il n’y a que des mauvais cultivateurs ». Dans un entretien accordé au site de la radio Mouv’, le réalisateur ajoute : « (les misérables ) Ce sont tous les pauvres, ceux qui ne s’en sortent pas, qui ont du mal à joindre leurs fins de mois. C’est tout le monde car la misère est partout. Pas que dans les banlieues mais aussi dans les zones rurales, en province, donc ça touche une grosse partie de la population française. » (1)

Les Misérables de Ladj Ly (France – Drame – 2019 – 1h, . Avec Damien Bonnard, Alexis Manenti, Djebril Zonga, Issa Perica, Al Hassan Ly, Jeanne Balibar.

Voir également :
(1)Entretien Ladj Ly avec Manon Mariani (Site internet de Mouv’)
La bande annonce du film (Le Pacte – 1mn48)
La conférence de presse des Misérables (16 mai 2019 – Festival de Cannes – 42 mn)
Entretien Ladj Ly avec Augustin Trapenard (Cinéma – Canal + – Cannes 2019 – 14mn).
Philippe Descottes

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