J’écrivais – ironiquement- dans mon dernier article à propos d’une pièce vue au TNN : « Pourvou que ça doure ! ». Et ça doure… Ce n’est pas le dernier opus qui me démentira : Cent mètres papillon. Hein ? J’explique. C’est, en quelque sorte, la rencontre entre le sport de haut niveau et le théâtre. J’explique encore.
Avant de devenir comédien, j’étais, pendant toute ma scolarité, nageur de haut niveau. Je nageais tous les jours, matin et soir. Je m’entraînais dur pour l’objectif de l’année : les championnats de France. Durant ces années, je me suis rendu compte que la compétition me faisait douter de moi-même. J’en venais à me demander, derrière le plot de départ, ce que je faisais là.
Celui qui dit ça, c’est Maurice Taffanel, interprète de ce Cent mètres Papillon, texte écrit par lui. Mais s’il interprète quelque chose, c’est bien lui, ancien nageur de haut niveau. Il ajoute : C’est en m’éloignant des bassins et en arpentant un plateau que je me suis mis à rêver et à retrouver des sensations passées. Ces sensations qui me faisaient me sentir grand dans l’eau. Comme si passer de l’eau des bassins au plancher des scènes de théâtre était la suite du même mouvement. Il s’inscrit à L’ENSAD (Ecole Nationale Supérieure d’Art Dramatique) de Montpellier que dirige – excusez du peu- Ariel Garcia Valdès.
Et, plus qu’écrire, ce travail, l’inscrit en lui, en son corps. Il y a deux niveaux de lecture, dans ce Cent mètres Papillon : celui du textuel et celui du corporel. Celui du textuel c’est celui de l’époque de la traduction, celui du corporel, c’est celui de la translation. En géométrie, une translation est une transformation qui correspond à l’idée intuitive de « glissement » d’un objet. Pour le dire autrement, c’est l’action par lequel on transporte quelque chose ou quelqu’un d’un lieu à un autre.
Glissement. La « glisse ». Mot important, primordial, pour un nageur. Ce Cent mètres Papillon c’est la découverte de la glisse, son rapport à l’eau, l’entraînement et ses violences, la compétition et l’étrangeté de ses rituels, les courses, les défaites, les remises en question… C’est l’histoire de Larie, jeune nageur, qui rêve d’être un champion. Larie ? Tiens, ça ne serait pas l’anagramme d’Ariel ?
Curieusement – ou pas- à propos de ce passage textuel – corporel, je repense à ce que j’écrivais concernant le travail de Ludmilla Dabo dans Portrait de Ludmilla en Nina Simone , au TNN en octobre dernier : … lorsqu’elle se livre à des émotions – peur, colère, rire – c’est un langage du corps qui ne raconte pas le texte qui vient d’être dit, mais c’est une véritable création, recréation, comme un autre, un nouveau récit.
Ces phrases de Maurice Taffanel me semblent symptomatiques de ce spectacle : Durant ces années, je me suis rendu compte que la compétition me rendait mutique. Elle me faisait douter de moi-même. J’en venais à me demander, derrière le plot de départ, ce que je faisais là. La peur de l’échec ? La peur du temps ? La perte du sens ? J’avais sur les épaules un poids qui était trop lourd à porter.
Et l’on comprend en effet qu’il était vital, au moment où Maurice Taffanel abandonne la compétition, pour perdurer, d’effectuer le « passage de relais » du geste du nageur au geste de l’acteur. Sur scène, c’est bien l’acteur qui « parle » avec son corps et qui ne cherche pas à retrouver une mimétique du nageur. Cent mètres papillon va bien au-delà de l’histoire d’un nageur. Cela touche à la philosophie de l’effort, à des questions essentielles : Pourquoi ? Et l’on se dit que l’enjeu, la finalité, peut concerner autre chose que l’exercice intensif de la natation, pourquoi ? Pour une médaille ? A quoi bon ? Et tout cela pour rien, pour Hécube ! (Hamlet Acte II scène 2).
La pièce ne passe pas sous silence ce personnage qu’est le coach. Le mot « coach » aurait pour origine Kocs, près de Budapest, c’est un dérivé du mot « kocsi », ou coche en français. C’est dans cette petite ville de Hongrie, au XVIème siècle, que l’on a construit des diligences plus rapides, plus confortables, plus légères pour transporter des voyageurs d’un point A vers un point B. En langage métaphorique, un coach est donc un conducteur de diligence qui accompagne une personne importante (un Prince, un noble) qui voyage vers son objectif désigné. Le coach est juste le « passeur » C’est en cela que le coach se doit de rester humble. Et c’est vrai que lorsque dans le spectacle, lorsque le nageur Taffanel parle du coach, parle à « coach », on visualise plus quelqu’un à la Philippe Lucas qu’autre chose dont on ne peut dire que « c’est en cela que le coach doit rester humble. »
« Coach, faut que je te parle. Je suis mal coach. Faut que j’te parle. Voilà. Je l’ai perdu. Mon courant. Je l’ai perdu. Je sens plus mes appuis. Ils ne me parlent plus comme avant. Tu vois ? J’ai beau nager, nager, nager, rien ne me porte. Rien. Plus j’avance, plus je me sens petit. Avant ça me faisait sourire. 10×100 départ 1’20 un régal. Mais je souris plus coach. »
Quelque part – je ne sais si Maxime Taffanel agréera mon propos- mais je perçois ce Cent mètres papillon comme une [tentative d’] analyse, au sens de la découverte d’une personnalité, constituée comme toutes les personnalités par un ensemble de forces, pour une bonne part inconscientes et sans cesse en conflit. C’est en même temps –comme dirait l’autre – la lutte entre le Connais toi toi-même de Socrate et le J’avance masqué de Descartes.
Et la cohérence de ce conflit, dans ce cas d’espèce – ou tout au moins dans ce qui nous est proposé sur le plateau- n’est pas dans le textuel qui relève du J’avance masqué, mais du corporel, domaine du Connais toi toi-même : c’est dans le corporel que le nageur-acteur – à moins que cela ne soit l’inverse- atteint la vérité, à l’instar de Ludmilla Dabo dans Portrait de Ludmilla en Nina Simone. Sur le plateau, le corps du nageur se transmue en celui de l’acteur.
Jacques Barbarin
Cent mètres papillon Collectif Collette – Maxime Taffanel – Adaptation et mise en scène Nelly Pulicani avec Maxime Taffanel création musicale Maxence Vandevelde lumière Pascal Noël conseils costumes Elsa Bourdin production Collectif Colette coproduction Comédie de Picardie – Amiens
Tournée (jusqu’à la fin de l’année)
Le 21 Novembre CESTAS (33) Service Culturel
Le 22 Novembre SURGERES (17) Le Palace
Du 26 au 28 novembre SAINT QUENTIN EN YVELINES (78) Scène Nationale
Le 29 novembre PONT AUDEMER (27) L’Eclat
Le 3 décembre CHAMBLY (60) Espace François Mitterrand
Le 5 décembre MONTFORT SUR MEU (35) Théâtre
Le 6 décembre SENE (56) Grain de sel
Le 10 décembre MONT SAINT AIGNAN (76) Maison de l’université de Rouen
Le 12 décembre LE MANS (72) Scène universitaire
Le 17 décembre MONTARGIS (45) Agglomération Montargoise et Rives du Loing
Illustrations
Affiche représentations au festival d’Avignon
Photos : Ludo Leleu