Décidément, le début de cette programmation au TNN, c’est que du bonheur. Pourvou que ça doure. Mais il n’y a pas de raison… Pour George Dandin, le maître mot était « textualité ». Pour ce Portrait de Ludmilla en Nina Simone le maitre mot, c’est « corporalité ». C’est une splendide collaboration théâtrale : Ludmilla Dabo, la comédienne, au service de la précision du texte de David Lescot, également sur scène.
David Lescot est un dramaturge, musicien et metteur en scène. Il enseigne les études théâtrales à l’Université Paris X (Nanterre) depuis 1999. Il s’essaie à la mise en scène en mélangeant écriture et improvisation, théâtre et musique. Son nom n’es pas inconnu pour les spectateurs niçois : Les Glaciers grondants, vu à Nice en 2005 pour la première édition de « Réveillez-vous », et en 2016 sa pièce Mon fric. Le réel concerne Lescot, mais in ne fait pas du théâtre documentaire, il s’en sert comme élément de base.
Ici, 3 termes : Portrait, Ludmilla, Nina Simone. Ludmilla, c’est Ludmilla Dabo. Cette jeune femme est passée par le Conservatoire National d’Art Dramatique, le Conservatoire du 5ème de Paris et le Conservatoire Hector Berlioz du 10ème Paris. Mais elle n’a pas que les flèches de l’Art Dramatique et de la musique à son arc, il y a la natation, le Taï Chi le Yoga, la danse africaine et orientale, le chant lyrique. Et, si je puis dire, on voit toute ses flèches dans ce Portrait de Ludmilla en Nina Simone.
Comme le dit Davide Lescot, Nina Simone est une figure de tragédie, une statue qui chante. Lorsqu’elle dévisage le public au début des concerts, chacun se sent regardé, accusé, elle impose silence, effroi. Puis elle rit, et elle commence. Ce serait un portrait d’elle, comme un documentaire, un entretien. Mais ce serait surtout un portrait musical, chanté, parce que les morceaux de Nina Simone sont autant de réponses aux événements de sa vie et de son siècle.
Sur scène une guitare, et puis Ludmilla Dabo, comédienne et chanteuse, nourrie au biberon du blues, du jazz et de la soul, et qui a reçu en partage un peu de l’âme de Nina Simone.
Portrait chanté où le modèle se confond avec son sujet, et donc portrait chanté de Ludmilla Dabo en Nina Simone. D’un côté Nina Simone, star mais aussi artiste au rêve brisé : devenir la première pianiste classique noire au monde. De l’autre Ludmilla, une comédienne et chanteuse .David Lescot met ici en parallèle les parcours de ces deux artistes, jusqu’à confondre leurs voix au plateau. De son timbre puissant et écorché, Ludmilla Dabo chante – magnifiquement – Simone.
Comme nterviewée par le metteur en scène, elle raconte à la première personne la vie de Nina et ses combats dans l’Amérique des années 50, tout en nous livrant ses propres réflexions en tant qu’artiste noire en 2019. Les temps ont-ils changé ?
Sur la scène, un mannequin recouvert d’une robe blanche, superbement éclairé, en clair obscur. Est-ce la représentation de Nina Simone ? De cette Ludmilla ? Va savoir. Puis la nuit se fait sur le plateau. Deux personnes arrivent en avant-scène, l’une d’elles, par ses claquements de pieds, fait naitre un rythme L’homme au rythme, c’est David Lescaut, l’autre, c’est Ludmilla. Elle chante, voix chaude. Puis Ludmilla raconte Nina, David Lescot fait avancer le récit. Elle raconte à l’autre son rapport aux hommes, que déclenche la chanson Be my husband, mais aussi son enfance, baignée pas la religion, elle joue au piano aux offices.
« Ma mère, elle m’a appris à prier. […] Si je meurs et que mon âme est perdue, ça ne peut être que de ma faute ». La mère de Nina Simone est en effet très pieuse. Aussi, lorsque la fille se retrouve à jouer du jazz dans les cabarets d’Atlantic City, elle qui s’appelle Eunice Kathleen Waymon, préfère se cacher derrière un pseudonyme, Nina Simone, un clin d’œil à l’actrice française Simone Signoret.
Le récit avance, on est pendu aux mots de Nina-Lumilla et quand son corps s’exprime, que ce soit par le chant et la danse, ou lorsqu’elle se livre à des émotions – peur, colère, rire – c’est un langage du corps qui ne raconte pas le texte qui vient d’être dit, mais c’est une véritable création, recréation, comme un autre, un nouveau récit. L’art de Ludmilla Dabo, ses arts, elle les offre sans retenue.
Il est intéressant de se pencher sur le titre : Portrait de Ludmilla en Nina Simone, c’est-à-dire que l’on part de Nina Simone pour dresser une fresque de Ludmilla Dabo. Cela est encore plus visible dans la deuxième et la troisième partie, en fait je préférerai parler de mouvements, comme on parle d’un mouvement de musique. Et, à propos de musique, interviennent comme témoins, que pulse la voix puissante de Ludmilla Dabo, Ne me quitte pas et Mississipi Goddam, une chanson engagée qui fait référence au meurtre de Medger Evers et à l’attentat de l’église baptiste de la 16ème rue Mais on peut lire aussi dans les paroles de Jacques Brel, chantée par une noire, un plaidoyer contre le racisme.
Le deuxième mouvement, David Lescot endosse clairement le costume de l’interview. Cette fois ci, c’est la Ludmilla Dabo étudiante au Conservatoire d’Art Dramatique. Toujours poursuivie par l’image de Nina Simone. L’effet miroir envisagé dans le premier mouvement joue à plein. De cette discussion, nait un triste constat : il était toujours possible, au tournant des années 2010, que la quasi-totalité d’une promotion d’aspirants comédiens puissent rire aux éclats en entendant une jeune femme noire définir le rôle d’Agnès, dans L’École des femmes comme son idéal ; et il était tout aussi possible de provoquer l’incompréhension du directeur de l’époque lorsque Ludmilla Dabo a osé, dans son premier spectacle consacré à Nina Simone, demander – sans succès – aux spectateurs noirs de la salle de se lever, en référence à l’action que la diva avait fomentée durant l’un de ses concerts. Et toujours cet engagement physique de la comédienne. Et toujours cette bienveillance, cette humanité de David Lescot. David, c’est nous sur scène : nous voulons en savoir plus, tout en manifestant notre empathie.
Ce portrait de l’une via l’autre se poursuit par cette alternance entre le questionnement de David Lescaut et les « réponses » de Ludmilla Dabo via les chansons de Nina Simone, avec cette voix profonde et cet engagement généreux de Ludmilla : le corps parle ; et le texte de Ludmilla et les chansons dresse le portrait de Nina. L’art des deux, david et Ludmilla, est si prenant qu’on croirait leur échange improvisé. Ce n’est pas de la commedia dell’arte, bien sûr mais cela en a, par leur échange, le goût. Applaudissements. Salut. E finita la commédia ? Minute, papillon
Car c’est le temps du troisième mouvement, conclusif, c’est cette fameuse scène de l’Ecole de femmes, où se lit la complicité des deux artistes, comme à l’unisson. Scène ni jouée ni dite, ou alors revue via le rythme de la prosodie de Molière, cette scène est comme slamée. Aïe ! Je sens les puristes se coincer. Mais pour parodier la dernière phrase du Malade Imaginaire, Le carnaval autorise cela, je dirais Molière autorise cela. Et là, je ne mens pas –moi, vous m’ connaissez ?- Tonnerre d’applaudissements. Ca fait chand au cœur
Nous sommes dans ce mouvement dans une émotion partagée entre public et comédiens. Ce spectacle est un nécessaire comme l’au, le gaz et l’électricité. Nous sommes à chaque instant en sensibilité, en émotivité. Quand on jette un œil sur la tournée, il nous prend le tournis. Et encore, je ne vous ai signalé que la fin 2019.
les 5 et 6 novembre 2019, Scènes du Golfe, Théâtre de Vannes
le 10 novembre 2019, Festival de jazz de Nevers
du 13 au 15 novembre 2019, Théâtre Molière, Scène Nationale de Sète
du 19 au 22 novembre 2019, Théâtre de la Croix-Rousse, Lyonle 24 novembre 2019, Théâtre de Brétigny
du 26 au 30 novembre 2019, Festival du Val d’Oise
le 6 décembre 2019, Théâtre de Brétigny, « hors les murs »
du 13 au 21 décembre 2019, Théâtre de la Ville Paris
Ca commence bien, vous dis-je, ça commence bien !
Portrait de ludmilla en Nina Simone
Texte et mise en scène de David Lescot
Avec Ludmilla Dabo, David Lescot
Jacques Barbarin
Photos du spectacle : Tristan Jeanne – Valès
Photo de Nina Simone : ELEONORE BAKHTADZE – AFP