Jean Pierre Vincent. Mon histoire théâtrale est jalonnée de rencontres avec ce grand metteur en scène : On ne badine pas avec l’amour, Les caprices de Marianne, Les fourberies de Scapin, le silence des communistes, Le faiseur de théâtre, le Bal … et j’en oublie pas mal.
Et en ouverture de la saison au TNN, Georges dandin ou le mari confondu mis en scène par … Jean Pierre Vincent. D’abord souligner le « ou » de ce titre. Cette construction n’est pas rare chez Molière : L’étourdi ou les contretemps, Dom Garcie de Navarre ou le Prince jaloux, Le sicilien ou l’amour peintre, Sganarelle ou le cocu imaginaire, Le Tartuffe ou l’imposteur, Trissottin ou les femmes savantes, Don Juan ou le festin de pierre. Intéressant ce lien entre un personnage et un trait de caractère
Un peu de rafraichissement nous fera du bien. George Dandin est un riche paysan. En échange de sa fortune, cédée à Monsieur et Madame de Sotenville, il acquiert un titre de noblesse, (Monsieur de la Dandinière), un rang et une épouse, Angélique. Mais sa jeune femme n’a jamais voulu cette union. Devant cette épouse rebelle, qu’il ne parvient pas à attirer dans son lit, Dandin ne peut rien. Il ne peut empêcher Clitandre, gentilhomme libertin de la cour de la Cour, de courtiser ouvertement Angélique. George Dandin tente de réagir, mais les deux aristocrates n’ont que faire des basses accusations de coq de village et humilient cruellement l’infortuné bourgeois. Angélique peut compter sur l’appui de sa servante Claudine. Lubin est l’entremetteur de Clitandre et le soupirant de Claudine.
Ce qui m’intéresse dans cette mise en scène, qui va la déterminer, c’est le rapport à la textualité, c’est-à-dire la qualité intrinsèque de ce qui est textuel : Jean Pierre Vincent nous donne à entendre la matière du mot, cette matière nous emmenant droit à son sens. Et le sens de cette pièce, par cette somme de sens, nous fait apparaître qu’il ne s’ait pas d’un traitement à la commedia dell’arte, histoire de cocuage. Il suffisait d’écouter le texte. C’est con, hein ? Bien sûr, c’est une comédie, même une comédie ballet et certaines confrontations de personnages via le texte nous font rire. Nous ne rions pas toutes les 30 secondes mais quand la situation l’exige : Jean Pierre Vincent – et ses comédiens, bien sûr- nous font rire intelligemment.
Et cette intelligence du texte, par sa phonation, nous la ramène a notre époque : c’est une histoire de classes, de lutte de classes, mais aussi une histoire de la condition des femmes. Jean Pierre Vincent n’en fait pas une théorisation, il nous y emmène tout doucettement. C’est une comédie, bien sûr, mais qui a dit qu’une comédie, ce n’est pas fait pour réfléchir ?
Je pense à ce texte de Patrick Saytour : Ceux qui opposent le plaisir à l’intellectualité répétant le vieux mythe réactionnaire du cœur contre la tête, de la passion contre le raisonnement et qui n’imaginent pas que la connaissance peut être délicieuse.
Je pense aussi à ce que me disait Irina Brook dans une interview :
C’est bien ça le cadeau de Shakespeare à tous les metteurs en scène du monde, c’est qu’il se laisse tirer dans tous les sens et permet les inventions de chaque metteur en scène et qu’on n’a pas besoin de le défendre, il se défend très bien tout seul. Remplacez Shakespeare par Molière, ou par tout auteur dont les textes sont assez forts afin « qu’ils permettent de se laisser tire dans tous les sens »et permet les directions vers la modernité.
Un autre nom est aussi important que Jean Paul Vincent : celui de Jean Claude Chambas, le scénographe. La cage de scène se constitue de 3 murs, un en fond de scène et deux latéraux. Le travail de Chambas constitue de facto une réelle mise en perspective du texte. La plupart du temps, ces murs sont « neutres ». Chambas travaille par projection d’images, bouleversantes, ainsi celle où une scène se déroule à la campagne, une lumière rasante et la silhouette d’un arbre, c’est juste de l’émotion à l’état pur Ce n’est qu’une silhouette mais en même temps –comme dirait l’autre – elle atteint le statut de réel. Dans l’acte qui se déroule de nuit, des peintures de Chambas sont projetés sur les 3 murs : des couleurs bleues, vertes, on pense (enfin je pense) à des personnages venus de l’univers de Chagall, et le passage de la nuit profonde à l’aube est suggéré par une éclaircissement de la lumière. Suit une séquence, celle où Angélique, de la maison, parle à sn mari qui ne peut rentrer chez lui : Chambas met cela en musique par une projection d’images sombres, des personnages issus d’un bestiaire expressionniste, et surtout des yeux lumineux. Le scénographe met le doigt sur la problématique du regard : celui de la morgue de classe de M. de Sotenville (quel nom ! Est-ce une ville peuplé de sots ?), celui éperdu, coléreux, dans l’incompréhension de George Dandin et celui, révolté, d’Angélique.

La première image me semble emblématique : on y voit la cour de Château de Versailles, sur une table, un homme danse, majestueusement, sur une musique – du Lulli, je pense. Or, véritable passion au service de sa politique, la danse fait partie intégrante de la vie de Louis XIV dans le premier tiers de son règne. Cette image initiale, ce prélude, renvoie à la représentation idéologique du pouvoir. Au moment du lever de rideau, j’ai pensé à la cour du Palais de l’Elysée, mais, en même temps, comme dirait l’autre…
Je suis gourmand de cette saison à venir. Je vais encore prendre des kilos…
Jacques Barbarin
George Dandin ou le mari confondu, mise en scène de Jean Pierre Vincent, avec Vincent Garanger, Étienne Beydon, Anthony Poupard, Élizabeth Mazev, Alain Rimoux, Olivia Chatain, Aurélie Edeline, Matthias Hejnar
assistante à la mise en scène Léa Chanceaulme dramaturgie Bernard Chartreux scénographie Jean-Paul Chambas assisté de Carole Metzner costumes Patrice Cauchetier assisté de Anne Autran musique originale Gabriel Durif d’après des extraits du Grand Divertissement royal de Versailles [Molière-Lully] lumière & vidéo Benjamin Nesme son Benjamin Furbacco maquillage Suzanne Pisteur
Photo : Pascal Victor
Comme quoi avec trois murs on peut faire du bleu, du vert, de la nuit, du jour… mais faire d’un paysan riche de la morgue de classe, voilà bien qu’Angélique a raison de la ramener d’un peu haut avec son ton de langue à elle bien pendu. Barbarin, tu as bien torché ton propos.
Alain Baudemont