Le premier long métrage de la cinéaste aux tonalités intimistes et sa belle approche d’une romance amoureuse y incluant des spécificités modernes, et donc confrontée aux non-dits dissimulant les peurs identitaires suscitant intolérance et rejets, nécessitant de briser les barrières. Sélection Un certain Regard, Cannes 2019.

La cinéaste qui a fait de son expérience cinématographique acquise lors de son travail sur Mobil Homes de Vladimir De Fontenay (2017) dont elle a co-écrit le scénario qui lui avait fait, dit-elle « prendre conscience de ne plus avoir peur de l’histoire !». Elle s’en est servie pour son premier long métrage où elle a choisi de décrire, les tourments de deux jeunes adolescents marginaux , Paul et Wye , confrontés aux regards et rejets dont ils vont souffrir, ne trouvant pas les mots leur permettant de s’abandonner à des élans nobles vers lesquels ils n’ont pas la force de se laisser aller, prisonniers de leur vulnérabilité . Le choix de récit et de son cadre est le fruit de la rencontre de la cinéaste avec une communauté new-yorkaise de danseurs noirs et Queer de Harlem d’adeptes « Voguing », dont elle sort marquée par leurs choix de vie et d’expression ( danse , famille choisie …) devenant moteur libérateur des corps et des esprits. Lorsqu’il débarque à New-York, Paul ( Fionn Whitehead, révélé dans le Dunkerque de Christopher Nolan) débarque à New-york , il y sera rejeté par sa soeur qui devait l’héberger et lui ferme la porte , le laissant livré à lui- même !. Contraint de trouver refuge et travail, il se retrouve embarqué suite à une proposition , dans une sorte de « chantage aux expulsions » organisé par une bande de jeunes peu scrupuleux !.Un gagne- pain peu ragoutant auquel il n’a pas d’autre choix que de se plier , faute d’autres possibilités Mal à l’aise dans ce groupe de « machos » qui lui procurent aussi, via leurs relations et échanges de services , un lieu de repos et sommeil dans un refuge pour sans abris. Un soir de déprime, de spleen et d’errance dans les rues il croise un groupe de danseurs noirs qui font la fête , au milieu d’eux une splendide jeune fille noire , Wye ( Leyna Bloom ) …leurs regards vont se croiser en coup de foudre !.

Il va la guetter et tenter de la retrouver , la structure narrative qui le suit s’y abandonne , pour traduire ce qui va s’inscrire au cœur de cette approche qui se mue en histoire d’amour et d’attirance simple , classique. Une romance amoureuse ouvrant à la quête d’un
épanouissement auquel elle pourrait aboutir, mais nos « Romeo et Juliette » qui vont concrétiser leurs « approches » timides et réservées en sentiments profonds ressentis les enchaînant inexorablement , vont devoir affronter l’épreuve de vérité …de leurs différences qui les exposent aux regards. Paul à ceux de la « famille » de cœur que s ‘est choisie son aimée Wye ( Leyna Bloom ) très soudée par l’appartenance à un groupe culturel qui lui permet reconnaissance et intégration . Tandis que ce dernier qui a délaissé la sienne et rejeté par sa sœur , lui le blanc de la classe dominante, se retrouve à vivre une situation inverse. Belle idée d’un récit qui va se compliquer encore , lorsque Paul à qui Wye n’a pas osé lui dire … apprendra par la confidence d’un membre du groupe , la vraie nature sexuelle « trans », de celle -ci !. C’est l’autre belle idée du récit qui, dès lors, bifurque après le coup de massue de la révélation ressentie par Paul , au cœur même du double dilemme à résoudre .Désormais confronté non seulement aux peurs du rejet extérieur, mais aussi à celles …du chemin à faire vers l’autre. Contraints tous deux d’affronter une réalité à laquelle ils ne peuvent plus soustraire leur liaison , à des subterfuges ou des mensonge…mais , faire face à l’épreuve de vérité . C’est ce cheminement là, que dissèque avec subtilité la cinéaste dont la mise à l’épreuve prolonge le non-dit révélé, contraignant l’une et l’autre à affronter une réalité à laquelle ils ne pourront se soustraire… qu’en s’acceptant,ou se reniant eux-mêmes en même temps que leur amour !. Magnifiques séquences traduisant ce dilemme au cours desquelles le malaise s’installe dans les confrontations avec les amis réciproques auxquels ils sont liés , au cœur desquelles inhibitions et peurs persistent devenant, épreuve insurmontable (?). Whye qui prendra la fuite face aux manières machistes , et limite racistes de l’ami de Paul à qui elle est présentée. Paul qui , dans la « famille choisie » de Wye, est confronté aux réticences de certains craignant que leur liaison amoureuse mise à l’épreuve de la mixité raciale et des genres ne puisse tenir la route ! . Mais cela c’est l’affaire de Wye et de Paul qui en décideront, en conscience ! . Au cœur de ce cheminement là , la cinéaste y inscrit , par petites touches , les gestes et les élans traduisant tour à tour le désarroi , la peur de ne pas y arriver , en même temps que l’inquiétude de ce que l’autre vit et ressent, et pourrait le ( la ) faire basculer vers le renoncement . La force de leur amour , c’est aussi dans le prolongement des épreuves déjà traversées qu’ils y puiseront , celle, de le rendre possible et plus que jamais vivant …

L’ approche de ces problématique par la cinéaste est d’une sensibilité et d’un respect rarement vu et exprimé au cinéma . S’attachant toujours à interpeller le spectateur en témoin, le mettant en situation avec les personnages confrontés à assumer leur identité. A l’image de Paul dont ce n’est pas la sienne, et qui s’y sent obligé… pour être aimé !. Ce n’est pas sa conviction qui est en cause , mais la cheminement psychologique qu’il va devoir faire vers l’autre , afin de s’accepter soi-même ! De la même manière que celui de Wye , sera de faire le chemin vers Paul et l’aider , sachant pour l’avoir vécue, la contrainte et la pression du cheminement identitaire qu’il aura, à faire. Pour chacun, au bout du compte, ce sera le choix de vie et d’un épanouissement, pouvant se concrétiser vers une union future totalement consentie et assumée. Dans le cadre d’une ville dont la cinéaste capte les frémissements urbains : la station de bus de Port Authority qui donne le titre au film :«..lieu sans racines, où des gens de différentes cultures se croisent. C’est aussi un lieu de rassemblement pour la communauté LGBTQ. Les gens y viennent pour essayer d’avoir une vie meilleure ». Complété par le regard sur les quartiers ( East Harlem, Sunset Park, le Bronx) en mutation constante « où l’on ressent la vie… » . Au coeur de ces frémissements, en paralléle les déambulations des héros et des repaires quotidiens dans lesquels ils sont emportés, comme Paul par ses soucis de logement , d’argent et de travail., que complète sa dérive identitaire . Dans la magnifique scène finale il libérera ,enfin, ses émotions jusque là réprimées . Tandis que Wye…sait qu’elle va devoir veiller à préserver , avec ses potes, la qualité de la vie familiale choisie dont l’harmonie perturbée par l’arrivée de Paul , ne sera viable que par son intégration…dans la magnifique scène finale , libérant ses inhibitions il se rendra dans la salle des répétitions .Test ultime sur lequel la cinéaste par l’échange des regards et des élans qui s’y inscrivent , ouvre son récit à l’espoir. Porté par la fièvre des « salles de ballroom » , où les corps se libèrent et frémissent à l’unisson, lieu emblématique d’une communauté à laquelle Leyna Bloom ( sublime dans son premier rôle ) rend hommage, s’étant sentie investie d’une responsabilité : «…c’est un honneur de faire partie de cette histoire et de donner à cette communauté une place dans la société, où elle était ignorée depuis trop d’années. C’est une chance, pas seulement pour moi mais aussi pour toutes les femmes, qui ont ouvert la voie et qui respirent à travers moi…en tant qu’actrice et femme trans de couleur, je me devais d’être la plus authentique possible, d’être fidèle au style de vie, aux corps, aux conversations, aux mots, à la mode, à la beauté, à la texture, et de restituer honnêtement l’âme de cette histoire. Et c’était à Danielle qu’il appartenait de la raconter afin que tout le monde la comprenne… et j’espère que le spectateur comprendra cela», conclut Leyna Bloom . Mission accomplie , pour elle et pour la réalisatrice qui signe un premier long métrage vibrant , sensible, respectueux et juste. On vous le conseille vivement !.
(Etienne Ballérini)
PORT AUTHORITY de Danielle Lessovitz – 2019- Durée 1h 42 –
AVEC : Leyna Bloom , Fionn Whitehead, McCaul Lombardi , Louisa Krause, Will Dufault, Stephen Cavalieri, Edde Plaza, Taliek Jeqon, Azza Melton …
LIEN : Bande-Annonce du Film : Port Authority de Danielle Lessovitz
[…] policière avec Fernandel, Danielle Darrieux et Jean-Pierre Marielle. France 3 à 13h35 – Port Authorityde Danielle Lessovitz (2019 – 1h37). C’est l’histoire d’une rencontre, entre […]