Cinéma / BACURAU de Kléber Mendonça Filho et Juliano Dornelles.

Un village isolé du Sertao Brésilien disparaît mystérieusement de la carte. La communauté ébranlée s’appuyant sur ses traditions culturelles des luttes populaires , va se mobiliser face à la nouvelle « colonisation » aux accents mondialisés. Le cinéaste révélé par Les bruits de Récife et Aquarius, construit une superbe métaphore aux accents Fantastiques et Westerniens. Prix du Jury, Cannes 2019. A ne pas manquer …

le panneau et son inscription  » si tu y va vas-y en paix » – Crédit Photo : SBS Distribution-

Le Nord-Est du Brésil terre aride et sauvage, le village isolé et sa population porteuse d’une histoire et de traditions locales qui se sont perpétuées par la tradition orale , la musique , la poésie , la littérature … et aussi le cinéma .Les films des années 1950 ( sur les Cangaceiros ) , puis ceux de la nouvelle vague (Glauder Rocha, Rui Guerra , Nelson Perriera Dos Santos , Carlos Diégues …) des années Soixante et suivantes, qui ont fait découvrir l’isolement, la pauvreté , mais aussi l’authenticité culturelle d’une région délaissée par la politique favorisant le Sud et sa population plus urbaine et riche . Le cinéaste et son habituel complice décorateur, ont eu l’idée de s’associer à l’écriture d’un récit où l’effet « surprise » voulu comme une approche de ces éléments de base, s’y verraient bousculés par un regard neuf au travers des genres cinématographiques leur offrant, une liberté d’approche moderne et nouvelle . « Et si …ces délaissés et exploités refusaient désormais de continuer à l’être et décidaient de faire face à la violence et se « venger » de ceux qui voudraient les rayer de la carte ?! ».  Belle idée du récit  et de point de vue , que de refuser de les montrer comme des clichés… en «  parasites » dénués de toute intelligence et authenticité . Alors que dans leur lutte quotidienne pour la survie , ils affichent leur détermination , leurs différences et leurs talents dans tous les domaines formant une communauté solidaire et tolérante , où, même les écarts de conduite et autres dérives ne ternissent pas un relationnel auquel la pauvreté , ouvre à une fraternité compatissante . Les premières scènes du film , à l’image de la cérémonie des obsèques de Carmélita , la matriarche de 94 ans à laquelle tout le village réuni rend un vibrant hommage, est l’occasion de brosser un superbe portrait collectif , où déjà, s’individualisent quelques futurs protagonistes, en leaders porteurs des valeurs. Lorsque ‘interviendra l’élément déclencheur insolite et symbolique ( l’eau jaillissant du cercueil…) que viendra compléter, la disparition du village de la carte ! …laissant les habitants perplexes , puis inquiets face aux violences , dont ils vont être l’objet …

les  commandos de la violence,   à l’oeuvre (Alisson Willow et Chris Doubeck – Crédit Photo : SBS Distribution-

Le fantastique qui s’invite comme élément déclencheur emblématique de la disparition programmée du village. Annonçant celle de ses habitants devenus les proies d’une                  « armada» de dangereux individus armés au service des multinationales  qui ont décidé de s’approprier les terres pour y faire fructifier leurs investissements, avec l’assentiment des politiciens véreux locaux qui leur ont donné le feu vert !. Les prémisses de la révolte se font jour lors de la visite d’un édile politique du Sud en campagne électorale que la population chassera sans ménagement accusé de corruption et de promesses non tenues : pas d’alimentation en eau, aides en vivres et sanitaire insuffisantes ( médicaments périmés …) qui font du village une zone délaissée et livrée aux prédateurs et à leurs mercenaires  armés. Les villageois qui subissent et s’inquiètent de cette situation étrange,  et de la violence qui l’accompagne qui commence à faire des victimes , semant peur et terreur . C’est une forme de démonstration insidieuse de puissance dont le but est de déstabiliser et détruire que diffusent – en   forme de colonisation  moderne – ces moyens technologiques  qui l’accompagnent  et la servent  , capables d’effacer une région et ses habitants en toute impunité !. Les magnifiques paysages de la région se prêtant au tempo du western , saupoudré de poursuites , d’embûches , de suspense et de violences exacerbées  face auxquelles,  la résistance villageoise va s’organiser et faire face à l’ennemi.  Afin d’échapper à ce  pouvoir de soumission indigne qui utilise la force destructrice aux accents génocidaires , pour arriver à ses fins . Dans une séquence magnifique , au plus clair des affrontements, l’assassinat d’un enfant du village finit par faire débat chez les mercenaires et l’un d’entre eux,  accusera l’auteur de « nazi » ! . Terme faisant sortir de ses gongs , leur chef fasciste         ( Udo Kier   ) d’origine Allemande !…

Le chef fasciste ( Udo Kier) face à la femme médecin( Sonia Braga )- combative  Crédit Photo : SBS Distribution-

Le panneau de la route portant mention du village indiquait pourtant dans les premières images du film «  si vous y allez , allez en paix » ! . Le village qui évoque le nom d’un oiseau aux habitudes nocturnes, réputé pour sons sens du repos et du camouflage sur les branches d’arbres.« Discret, il ne se montre que s’il a envie d’apparaître. Le village de Bacurau est ainsi …» soulignent  les auteurs . Sur cette comparaison , évoquant la réaction, » apparition- réveil » la communauté se sentant menacée va réagir  , puisant dans ses racines culturelles et identitaires des sursauts populaires refusant la soumission colonisatrice d’hier. Celle , dont le recours aux genres cités comme éléments constructifs de la dynamique d’une mise en scène , deviennent moteurs destinés à en raviver , la flamme. Superbe et originale approche stylistique de «  collages » référentiels où l’imaginaire et le réel s’y inscrivent au cœur, comme éléments destinés à prolonger  le sursaut du réveil résistant,  puisant aux sources de la culture Brésilienne,  et, l’investissant d’une belle dimension métaphorique. Offrant dès lors , à celle-ci et à ses traditions,  la dimension mythologique à laquelle le personnage du Cangaceiro : Lunga ( Silvero Pereira ) renvoie le miroir de  l’héritage culturel du héros  de légende des révoltes populaires d’hier , y ajoutant  la modernité  des différences                        ( homosexualité  et autres  exclusions )  qu’il incarne  et prolongent les ressentiments, générant luttes et violences pour la survie  dans el monde d ‘aujourd’hui . De son côté , la mythique Sonia Braga ( grande dame du cinéma Brésilien ) en femme- médecin ( parfois déjantée, l’alcool aidant…) , y apporte sa fougue et son humanité influente pourfendant les défaillances humanitaires des  » charlatans politiques »  de tous bords. Tandis que la thématique des chevauchées de la violence (  en moto, ou via drones guidant  les expéditions, et , autres raids armés …)  prend  le temps , comme chez  Sam Peckinpah ou John Carpenter de se muer en réflexion sur celle-ci.  Se  laissant  porter  et bercer – plutôt que par des effets numériques spectaculaires et tonitruants – par ceux d’une superbe utilisation musicale  ensorcelante  scandant  ou  ouvrants , les  nouvelles séquences  et chapitres du récit  et  des genres  qui  accompagnant  sa  dramaturgie . Celle qui finira par faire des bourreaux qui souhaitent condamner les  « damnés de la terre » au néant , les  verra  se retrouver « piégés » par le « coup de fouet en retour », de la violence résistante  qu’ils leurs  opposeront . On vous laisse en déguster, les péripéties jubilatoires! …

La  population, de Bacurau unie dans la révolte : Sonia Braga  (au premier plan)  et derrière elle   cheveux orange, le Cangaceiro , Lunga ( Silvero Pereira)  ) – Crédit Photo : SBS Distribution-

Le récit écrit à deux mains qui a demandé plusieurs années de  maturation , de travail et de réécriture,  compilant notes, références  culturelles et  genres cités,  observations  du réel et des mutations sociales et  les conséquences  d’une   économie   mondialisée et prédatrice. A laquelle il renvoie au spectateur de se projeter ( à la manière d’Orwell et son célèbre roman- pamphlet 1984 ) , vers ce qu’il pourrait advenir dans un futur proche . Ouvrant et offrant  au film  la dimension politique  d’un constat ,   auquel la présidence  de  Bolsonaro a  conduit  à  générer  encore un peu plus  d’inégalités ( accès à la santé , contrôles  accrus , légalisation du porte d’armes …) , et   attisant les  tensions  ( remuant les plaies du passé… ), ouvrant toutes grandes les portes aux excès  et  violences  . La petite communauté de Bacurau qui s’en  est trouve ébranlée … servant  de lieu d’expérimentation symbolique à une nouvelle forme de colonisation moderne ,  dont le prolongement va se répercuter dans de nombreux secteurs et lieux stratégiques de l’économie Brésilienne  qui la favorise , et  en sera impactée ,  livrée aux dérèglements . A cet égard le constat politique du film , trouve son prolongement dans la catastrophe récente de l’incendie qui a ravagé une partie de la forêt Amazonienne . Catastrophe écologique et humanitaire provoquée , on le sait , par les mêmes méthodes prédatrices d’un système ne fonctionnant qu’avec dans son viseur : l’appât du gain , sans se préoccuper des conséquences humaine et de l’avenir de la planète qu’il met en danger. Avec Bacurau, les auteurs nous proposent un film fort et engagé qui résonne comme un avertissement en forme de pamphlet sur les violences destructrices générées . Mais qui résonne , aussi , en film d’espoir auquel les habitants de Bacurau ouvrent les portes par leur refus résistant , celui de la vie combative faisant face … au cynisme et à l’engrenage destructeur programmé!.

( Etienne Ballérini )

BACURAU de Kléber Mendoça Filho et Juliano Dornelles – 2019- 2 h 10.

AVEC : Barbara Colen, Sonia Braga, Udo Krier , Thomas Aquinio, Thaderly Lima, Udi Krier,Silvero Pereira, Rubens Santos, Wilson Rabelo, Carlos Francisco, Luciana Suza, Karine Teles et Antonio Saboia .

LIEN: Bande -Annonce du Film: BACURAU  de Kléber Mendoça Filho et Juliano Dornelles .

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