Cinéma / TROIS JOURS ET UNE VIE de Nicolas Boukhrief

Jusqu’alors, Nicolas Boukhrief n’avait jamais réalisé un film sans avoir collaboré au scénario. A la suite d’une correspondance échangée avec Pierre Lemaître, il a accepté de porter à l’écran le scénario que l’écrivain lui proposait. Le résultat, Trois jours et une vie, est un film noir et un drame psychologique captivant.

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Antoine (Jérémy Senez) et Rémy – Crédit photo : Nicolas Schul – Gaumont – Mahi Films – France 3 Cinéma – Ganapati – La Company – Umedia – Nexus Factory – RTBF (Télévision Belge) – Proximus

Nicolas Boukhrief avait déjà adapté Léon Morin, prêtre de Béatrix Beck pour le cinéma (La Confession – 2017) et un manga de Jirō Taniguchi pour la télévision (Un ciel radieux – Arte, 2017). Mais, jusqu’à présent, il n’avait jamais tourné à partir d’un scénario, adaptation littéraire ou non, écrit par un autre auteur et sans y avoir collaboré. Avec Trois jours et une vie, il fait une entorse à ses habitudes. Albert Dupontel est peut-être à l’origine de la démarche de Pierre Lemaître et de la correspondance que le romancier a échangée ensuite avec le réalisateur. Après tout, Le Convoyeur de Nicolas Boukhrief avait réussi un excellent « coup de maître » avec Au revoir là-haut, un film mémorable, dont il est le réalisateur et l’interprète, tiré du roman éponyme, Prix Goncourt 2013, dans lequel l’écrivain s’était investi.

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Blanche (Sandrine Bonnaire) – Crédit photo : Nicolas Schul – Gaumont – Mahi Films – France 3 Cinéma – Ganapati – La Company – Umedia – Nexus Factory – RTBF (Télévision Belge) – Proximus

Mais avec Trois jours et une vie (2016), Pierre Lemaître retrouvait son domaine de prédilection, le polar. Du livre au scénario (coécrit avec sa collaboratrice et complice Perrine Margaine), il n’y avait qu’un pas. Dans un entretien très récent accordé à David Chapelle (1) l’auteur a déclaré : « C’est un livre que j’avais écrit en hommage aux romans durs de Simenon. Ce qu’on appelle les romans durs (…), ce sont les romans de Simenon sur les affaires criminelles, mais ce ne sont pas des Maigret. Ce ne sont pas des enquêtes pures, pas vraiment des polars, ce sont plus des romans noirs (…). Il y avait une logique de se dire : j’ai fait un hommage à Simenon, ce serait intéressant de le passer au cinéma, aujourd’hui, des décennies après sa disparition. De voir comment ça fonctionne, cette affaire. Il y avait un intérêt artistique, conceptuel, presque d’architecture, il y avait une logique». Puis, il le proposa à Nicolas Boukhrief qui n’a pas tardé à être convaincu de le porter à l’écran. Sur le choix du réalisateur, le romancier précise (1) « (…) à cause de sa filmographie, mais aussi de son passé dans le cinéma. C’est aussi Starfix, son passage à Canal, c’est aussi tout ce qu’il a fait dans le cinéma autour de la réalisation. C’est tout cet environnement qui nous fait dire (…) qu’il fallait trouver pas seulement un bon cinéaste, mais aussi un cinéphile, un cinéphage. Un type assez drôle ou assez joueur, ou assez décalé, pour qu’il ait la jubilation qui ne soit pas qu’un film de citations, une espèce de caricature ou de pot-pourri du cinéma français ».

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Emilie (Margot Brancilhon), Michel (Charles Berling) et Antoine (Pablo Pauly) -Crédit photo : Nicolas Schul – Gaumont – Mahi Films – France 3 Cinéma – Ganapati – La Company – Umedia – Nexus Factory – RTBF (Télévision Belge) – Proximuse légende

Au regard du résultat final (le film) cette expérience qui comportait quand même un certain risque (l’entente entre le réalisateur et le scénariste) s’avère être une réussite.
L’histoire commence à l’hiver 1999, à l’approche de Noël, à Olloy-sur-Viroin, un petit village des Ardennes belges en bordure de forêt. Une battue va être organisée sous le contrôle de la police pour tenter de retrouver Rémy, 6 ans, qui a disparu depuis trois jours. S’est-il perdu ? A-t-il été enlevé ? Parmi les villageois qui écoutent les consignes de l’officier de police, Antoine, 12 ans, son copain. Il sait ce qu’il s’est passé. Mais il garde le secret… Même si l’intrigue policière est mineure, contrairement à d’autres, nous n’en dirons pas plus afin que le spectateur découvre justement ce secret par lui-même, sauf s’il a déjà lu le livre bien entendu. Trois jours et une vie est à la fois un film noir et un drame psychologique qui s’étend sur 18 ans, mais en fait, par le biais des éllipses de temps, sur trois années, 1999, 2014 et 2017, et toujours au moment de Noël, sur fond de problèmes sociaux (la désindustrialisation, les déserts médicaux, le dépeuplement des campagnes). Si le thème de la culpabilité est central, le film propose également la radiographie d’une communauté villageoise minée par la suspicion, la rumeur et le secret. D’où l’importance donnée aux personnages plutôt qu’à l’enquête policière.

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Antoine (Pablo Pauly) et le Dr Dieulafoy  (Philippe Torreton) – Crédit photo : Nicolas Schul – Gaumont – Mahi Films – France 3 Cinéma – Ganapati – La Company – Umedia – Nexus Factory – RTBF (Télévision Belge) – Proximus

Dès les premières images, l’atmosphère est sombre et inquiétante. C’est Noël, mais les cœurs ne sont pas en fête. Ca ne variera guère en avançant. La froideur de la saison fait écho à celle des couleurs tandis que la musique de « Rob » (Robin Coudert) renforce un climat particulièrement angoissant et malsain. Tant et si bien qu’à un certain moment le film, qui tient le spectateur en haleine de bout en bout grâce à plusieurs rebondissements, verse dans le fantastique et même l’horreur, notamment lors d’une tempête nocturne particulièrement dévastatrice.
Les deux interprètes d’Antoine à deux âges différents, le très jeune Jeremy Senez au regard inoubliable, et Pablo Pauly (rôle principal de Patients) sont convaincants au même titre que les seconds rôles qui ne sont pas laissés de côté. Tous les comédiens sont excellents. De Sandrine Bonnaire, « mère courage » protectrice, à Philippe Torreton, médecin de village dont la bienveillance intrigue, en passant par Charles Berling, ouvrier impulsif et père incosolable, et Arben Bajraktaraj, l’énigmatique commerçant sur lequel se portent les soupçons.

Trois jours et une vie de Nicolas Boukhrief (Film noir/drame psychologique – France/Belgique – 2019 – 1h59) avec Jéréméy Senez, Pablo Pauly, Sandrine Bonnaire, Charles Berling, Philippe Torreton.

Voir la bande annonce du film (Gaumont – 1mn33)
A lire :
(1) Entretien avec Pierre Lemaître et Nicolas Boukhrief (David Chapelle – « La Dépêche » du 20 septembre 2019).
(2)Entretien avec Nicolas Boukhrief (CNC – 18 septembre 2019).

Philippe Descottes

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