Le livre de Yasmina Khadra adapté à quatre mains , raconte au travers du destin de deux couples, le drame vécu par les habitants de la ville de Kaboul occupée par les talibans, y faisant régner ordre et terreur. Sélection, Un Certain Regard, Cannes 2019.

Nous voici projetés dès les premières images au cœur d’une ville de Kaboul dévastée par des années de conflit et désormais occupée en cette année 1998, par les Talibans, y faisant régner la charia. Au cœur des ruines, animaux errants en quête de nourriture, habitants hagards et inquiets soumis aux contrôles incessants des gardiens de l’ordre armés prêts à tirer sue les récalcitrants coupables de digressions aux interdits…entraînant la sanction suprême !. Un quotidien d’asservissement et de terreur, dont les espaces publics sont devenus des lieux d’exposition … des cadavres de ceux- ou celles- qui ont défié la loi. Sachant que la moindre infraction aux règles , expose à la violence religieuse et politique : le moindre geste prêtant à interprétation licencieuse , une infime partie du corps découverte ou une chaussure à couleur blanche interdite… sont passibles de lourdes peines de prison, ou deviennent des « crimes » punis de mort , pour trahison envers la parole du prophète. Que faire ? , est-il possible d’échapper à l’emprise et de résister ? . Le récit explore magnifiquement cette hypothèse au travers de deux couples auxquels les destinées , vont y être confrontées . Celui formé par Atiq chef de la prison des femmes et sa compagne Mussarat confrontée à la maladie ; et l’autre, par le jeune couple :Zunaira et Moshen. Au regard du vieux sage tapis dans son coin constatant les dégâts , auquel certains viennent confier leur amertume et désespoir et cherchant réconfort , il leur distille ces mots interrogatifs à double sens ( partir ou résister en sous-texte): « est-ce que tu pense que l’on entendra à nouveau la musique à Kaboul ? » . Mais est-ce possible ? . Deux autres générations viennent se joindre au constat amer niant toute « identité et liberté » aux individus en dehors du cadre prescrit et, notamment à ces femmes emprisonnées dans l’anonymat de la Burqa , toutes sembalbes et interchangeables en victimes désignées. Objet de mépris et auxquelles aucun égard n’est consenti , comme l’illustre la réflexion faite à Atiq par un de ses proches à qui il confie son désarroi sur la maladie de sa femme, et qui lui rétorque : » tu n’as qu’à la répudier …aucun homme ne doit quoi que ce soit à une femme ! » ….

Le pire , c’est que la gangrène est en train de se répandre, attisée par la peur, toutes les couches de la société devant s’y soumettre , y compris les enfants … interdits de certains jeux , classes séparées d’avec les filles à l’école… mais invités à participer au spectacle de la barbarie de la lapidation !. Insoutenable…pour le jeune couple d’enseignants , Moshen et Zanira , qui refusent désormais d’enseigner à l’école coranique , et qui , dans l’intimité du foyer entretiennent l’espoir d’un changement . Comme l’illustre superbement la scène où Zanira dessine sur les murs des images libertaires , accompagnées d’une bande sonore musicale composée de partitions d’influences occidentales… et donc interdites !. Belle séquence qui se complète par la visite du couple à un ami enseignant universitaire où la question de l’éducation au coeur de leur interrogation , ce dernier leur fait état de la mise en place d’une cellule de « résistance » en train de prendre forme , destinée à redonner place et espace à un « enseignement libre ! » . Le couple trouvant écho possible à ses désirs, envisage d’y participer . Mais nos deux couples ainsi confrontés au malaise d’un vécu quotidien qui leur est devenu insupportable , vont voir leurs destinées parallèle se rejoindre par l’enchaînement des événements tragiques auxquels ils se retrouvent confrontés, et que, le contexte va précipiter . Celui du couple d’enseignants , qui en sera bouleversé , consécutivement à un geste inconsidéré de Moshen pris dans le tourbillon de la haine , lors d’une lapidation de rue. Geste qui va avoir des conséquences morales irréparables , lui faisant perdre la raison. Jusqu’à ce qu’un autre, accidentel celui-là, conduise sa compagne… en prison. Tandis que la maladie en phase terminale de la femme d’Atiq , va faire se modifier le regard de ce dernier dont les conseils de « répudiation » l’avaient choqué !. Le lien des événements vécus par les deux couples , est le bel enjeu du récit qui en décrypte le cheminement , ouvrant au rejet de l’insupportable qui finit par trouver raisons… en actes de désobéissance à la violence religieuse et politique . L’amour en devenant le « lien moteur» auquel , la rencontre dans la prison d’Atiq où l’enseignante va se retrouver enfermée en l’attente du verdict … lui fera découvrir et prendre conscience de la condition injuste à laquelle le malheureux accident l’ a conduite , devenant l’enjeu d’un « cérémonial» destiné aux hautes personnalités du pouvoir . !. Témoin du vécu de cette dernière , grâce à sa position dans la prison , faisant fi de le surveillance dont il est l’objet , il va tenter d’atténuer les souffrances . Témoin de cette injustice dont il finira par endosser le poids du rejet… de ce qu’il avait jusque là ,accepté et lui devient définitivement insupportable!. La douleur de cette femme et de cet amour dont elle dessine les traits du souvenir de l’être aimé à jamais perdu , sur les murs de sa cellule . Et celle de sa femme à lui , dont il a conscience de n’avoir pas su y répondre comme il le fallait , l’esprit embrumé par ce mépris dans lequel il s’était fourvoyé , pris dans l’engrenage de la soumission. Le calvaire de l’enseignante , le lui renvoie en plein visage …

Superbe prise de conscience dont sa femme va découvrir la métamorphose provoquée par cette jeune enseignante emprisonnée inconsolable , pleurant la perte de l’amour de sa vie. Elle, l’épouse dévouée qu’il avait relégué ( malgré tout ce quelle avait fait pour lui…) au second plan , au seuil de la mort elle lui dira – droit dans les yeux et sans détours -son amertume d’avoir vu cet amour sombrer dans l’indifférence : « tu ne m’a jamais regardé comme ça … », et dont l’étincelle s’est – enfin- réveillée !. Elle la reçoit comme une offrande la remplissant de joie accompagnant de ce bonheur inespéré , les derniers jours qui lui restent à vivre !. . Autre superbe moment d’intensité . Face à la haine , et à l’abomination , c’est l’amour qui gagne la partie et devient acte résistant « on a besoin de gens courageux » , est-il dit dans une réplique. Le livre racontant le drame du peuple Afghan, le film s’y inscrit dans la continuité de l’hommage voulu par l’auteur, par le biais d’une mise en images animées servies par une magistrale technique de l’aquarelle . Celle-ci , avec ses tonalités douces souhaitées, offre à la dureté de la tragédie une touche sensible , lui ouvrant une dimension émotionnelle à laquelle, la justesse des dialogues ajoute à la force du constat sur les âmes et l’univers dans lequel elles sont condamnées à souffrir . « L’extrême abstraction et la durée apportées par l’animation font qu’il y a une forme de douceur propice à représenter la dureté de cette histoire. Le dessin apporte une distance qui rend les images supportables. Je ne sais pas si l’on supporterait un film en prises de vue réelles sur le même sujet. Ce serait trop violent. En voyant les essais d’Eléa, la perspective est devenue assez glorieuse : tout devenait possible, et la même beauté », explique Zabou Breitman. Le constat devient pamphlet sur l’obscurantisme … impact renforcé par le travail remarquable de la réalisation co-signée par Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévélec , associées dans le travail d’adaptation. Cette dernière déjà très remarquée par son travail d’animation dans les films : Avril et le monde truqué de Frank Ekinsi et christian Desmares, Ernest et Celestine de Benjamin Renner, Stéphane Patar et Stépane Aubier, et Le chat du Rabbin de Yohan Sfar . Beau travail complété par celui de l’adaptation dialoguée tout aussi remarquable du livre , à trois mains ( Zabou Breitman , Sébastien Tavel et Patricia Mortagne ) en omsose. L ‘envol des Hirondelles objet de la symbolique et magnifique séquence finale , y trouvant dès lors ,un bel écho. Bouleversant hymne à l’amour, faisant face à l’aveuglement…
( Etienne Ballérini )
LES HIRONDELLES DE KABOUL de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec- 2019- Durée : 1 h 20.
AVEC les voix de : Simon Abkarian, Zita Hanrot, Hiam Abbas, Swann Arlaud, Jean-Claude Deret, Sébastien Pouderoux, Serge Bagdassarian, Michel Jonasz , Pasal Elbé …
LIEN : Bande -Annonce du film : Les Hirondelles de Kaboul , de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec .
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