Roubaix, une nuit de Noël agitée : incendies de voiture, altercations, braquages …et surtout, meurtre d’une vieille femme et deux jeunes filles soupçonnées. Le réel investi ici le romanesque auquel le cinéaste nous a habitués , pour nous proposer une superbe réflexion sur l’humain, l’inhumain et la possible « lumière » de la bienveillance et de la rédemption. Mise en scène et interprétation magistrales …

Dans une superbe séquence d’ouverture c’est le réel que le récit investit aussitôt , nous entraînant avec le commissaire et ses assistants dans le tourbillon de la ronde nocturne dans la ville de Roubaix dont le commentaire en voix-off, prolonge la réflexion visuelle sur l’état des lieux . Une ville dans laquelle le commissaire Daoud ( Roschdy Zem , prodigieux d’humanité et de justesse ) a grandi « c’est la ville de mon enfance, ma place et mon avenir étaient là … », dit-il , expliquant son choix , contrairement à celui de sa famille maghrébine qui s’en est retournée au pays. Cette ville de Roubaix devenue au fil des ans zone déshéritée où « 45 % de la population vit au dessous du seuil de pauvreté !» , dans les quartiers sensibles où s’entasse une population délaissée. C’est dans cette ville que le commissaire Daoud a choisi de faire carrière, et il y est sensible au « ressenti » de ce que au fil du temps, la mutation de la cité a pu entraîner comme sentiment « d’abandon et d’exclusion » , engendrant violence et dérives de toute sortes dans certains quartiers qu’il a bien connus . Dans son métier il s’y est donc investi avec l’idée d’une « mission » dont il incarne la dimension existentielle et déontologique sur laquelle elle s’appuie : le droit et la justice , le refus de juger « à-priori », faisant preuve de clairvoyance guidé par son instinct profondément humain qui lui permet de « deviner » la culpabilité où l’innocence des suspects : « …à travers le regard du commissaire Daoud, tout s’avère profondément humain. La souffrance comme le crime. Pour Daoud, le travail de la loi est de faire rentrer dans l’humain ce qui d’abord nous a plongé dans l’effroi.. » souligne le cinéaste. Dès lors , de cette humanité blessée le cinéaste en explore , par le biais de son personnage emblématique , la dualité qui s’y joue . Elle est illustrée admirablement par la confrontation avec le nouveau venu , le policier Louis (Antoine Reinartz) , jeune diplômé qui vient d’être muté au commissariat . La confrontation habile des deux individualités où se font écho des oppositions , et où les erreurs de jugement dues à l’inexpérience du débutant mais aussi à son ancrage social , ne lui permet pas d’emblée de s’identifier au contexte que son supérieur , lui , connaît bien. Le cinéaste au fil des séquences , décrit subtilement le cheminement des oppositions qui finiront par briser les barrières, et rapprocher ( la scène finale ) l’élève du maître…

Car Daoud en « osmose » avec cette ville ( comme le cinéaste qui en est natif… ) , sait de quoi il retourne, et surtout, sait comprendre et partager l’humanité de ceux dont les dérives les ont conduits à se retrouver, face à lui . Dans les séquences de garde à vues à cet égard , le cinéaste y insuffle une écriture au scalpel , et un choix de mise en scène comme de direction d’acteurs, décryptant la clairvoyance de la méthode adoptée par Daoud. La fiction comme miroir du réel , celui dont Daoud connaît les moindres parcelles d’humanité qui s’y jouent , révélatrices de souffrances de ces hommes et ces femmes poussés par le désespoir… victimes et (ou )coupables , et donnant « à voir les pires tourments des âmes » , dixit le cinéaste. Ceux de la jeune femme violée et de l’amie qui l’accompagne dans son cheminement de réparation, du conducteur attaqué et sa voiture incendiée, des jeunes loubards dealers ou voleurs, de la jeune fugueuse en quête identitaire … jusqu’à Lucette , cette veille dame assassinée dont les soupçons vont se porter sur les voisines jeunes filles , amies et amantes : Claude ( Léa Seydoux ) et Marie (Sara Forestier) . Dès lors le récit va se focaliser sur ces dernières dont le fait divers sur lequel , le film est construit a obsédé pendant 10 ans Arnaud Despléchin qui en avait découvert le vécu réel , par le documentaire Roubaix , Commissariat central de Mosco Boucault ( 2008 diffusé par France 3….et que l’on aimerait bien voir rediffusé!) qui l’avait bouleversé, et l’a obsédé au point d’en faire mûrir longtemps le projet , cherchant à trouver les bon moyen d’y faire éclore une vision personnelle qui traduirait aussi , les thématiques qui le touchent dont il témoigne : « Pourquoi n’ai-je jamais pu oublier ces images ? C’est que d’habitude, je ne sais m’identifier qu’aux victimes. Je n’aime pas beaucoup les bourreaux. Et pour la première et unique fois de ma vie, chez deux criminelles, je découvrais deux sœurs… » . Au romanesque dont son cinéma s’était habillée jusque là, et le réel auquel le sujet impliquait de se confronter , il lui fallait trouver la dimension adéquate , la bonne approche . L’osmose pouvait-elle se faire ? , le sujet y aidant avec ses implications sentimentales ( amour , dérive , trahison…) des deux âmes sœurs ( coupables ?, innocentes ? ou Victimes ? ) ouvrant au vertige ( Vertigo ) et au jugement ( le faux coupable ) Hitcockien, devenu inspirateur : « un fait divers rendu à sa brutalité, sa nudité, son énigme , l’énigme du vrai » . Et le réflexe d’identification sur les tourments des déshérités provoqués par les fractures qui les fragilisent au point de les entraîner… vers la folie, à leur propre perte ; puis à ces aveux douloureux , comme délivrance. Arnaud Despléchin, son héritage cinéphile et littéraire ( Dostoïevski et son héros de Crime et châtiment) prolongeant le lien affectif au sujet et au projet , celui-ci trouvait dès lors admirablement , forme et écho , pour traduire la complexité existentielle et narrative qu’il souhaitait imprimer à sa vision et perception …

Avec les personnages du commissaire et de son lieutenant , tous deux à la baguette pour les confrontations avec les deux jeunes filles dont les scènes d’interrogatoires reproduisent scrupuleusement – dit le cinéaste – les répliques des deux inculpées de l’époque . Dès lors, le récit qui prend forme nous immerge au cœur de l’indicible , mais aussi et surtout , au cœur d’une approche humaine d’une sensibilité rare, où la force des mots trouve son écho brut . C’est la force du film et sa singulière réussite que de nous entraîner , avec lui, dans la restitution de la chronique quotidienne des événements où la sidération des mots vous éclate en pleine figure , bousculant bien des idées reçues et ( ou) de perception personnelle chez le spectateur . Le travail d’orfèvre qui en est fait est suffisamment rare pour le souligner, notamment sur les séquences magistrales des auditions au fil desquelles les révélations des deux jeunes femmes multipliant retournements et contradictions . Jusqu’à ce que la vérité – éclate au bout de ce long accouchement provoqué par la technique du commissaire – et devienne le reflet de la sidération qui les envahit toutes deux . Lorsque le non-dit refoulé jusque là de l’acte commis , par les aveux arrachés ( superbe scène de reconstitution) elles prennent conscience de l’horreur dans laquelle elles ont basculé. Prodigieuses séquences qui en disent long . C’est un travail d’orfèvre qu’Arnaud Despléchin a éffectué , renouvelant son style; mixant polar et romanesque et nous entraînant dans le labyrinthe des tourments de l’âme humaine . Ceux dont l’éclairage de la « lumière » du titre et ses résonances festives ( de Noël , ou celle de la rédemption,) , renvoient à d’autres éclats bien plus sombres , et y « faire poudroyer la grandeur de la fiction dans un terrain dévasté, des vies fracassées… » , dit le cinéaste . C’est ce que nous donne à voir Roubaix , une Lumière . Un grand , beau et bouleversant film . Selon nous le meilleur du cinéaste. Ne le manquez surtout pas !…
( Etienne Ballérini )
ROUBAIX, UNE LUMIERE – d’Arnaud Despléchin – 2019- Durée : 1h 59
AVEC : Roschdy Zem, Sara Forestier , Léa Seydoux, Antoine Reinartz, Chloé Simoneau, Betty catou , Philippe Duquesne , Jéremy Brunet …
LIEN : Bande -Annonce du Film : Roubaix, Une Lumière d’Arnaud Despléchin.
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