Je me souviens… de Jean-Pierre MOCKY

Jean-Pierre Mocky s’est éteint jeudi 8 août à son domicile parisien. Le cinéaste avait encore bien des projets en tête. « Un artiste ne s’arrête jamais, il meurt sur le terrain. Nous, les romanichels du spectacle, on ne pense pas à notre avenir »  (1)

CiaoViva - JP Mocky Cannes 2010 - Crédit Philippe Prost
Patricia Barzyk et Jean-Pierre Mocky… au 63e Festival de Cannes ( 2010) – Crédit photo Philippe Prost

Je me souviens que Jean-Pierre Mocky est né Jean-Paul Mokiejewski, fils de parents émigrés polonais, à Nice, le…
En fait, comme le fredonnait Jeanne Moreau qui a tourné sous direction dans Le Miraculé (1987) «  J’ai la mémoire qui flanche, je me souviens plus très bien… » . C’était un 6 juillet. Mais en 1929 ou en 1933 ?
Je me souviens qu’en 1940, la France perdait « la drôle de guerre ». Si Nice était encore en zone libre, son père voulait que Jean-Paul rejoigne l’Afrique du Nord. Mais un enfant de moins de 10 ans ne pouvait prendre le bateau seul. Ce fut son parrain, qui travaillait à l’état civil de la mairie de Nice, qui falsifia l’acte de naissance pour qu’il puisse embarquer pour l’Algérie
.

Je me souviens que Jean-Paul Mokiejewski a habité avenue du Cap-de-Nice au Mont-Boron, et qu’il a découvert le cinéma grâce à sa mère, une « mordue », qui l’emmenait, le jeudi et le dimanche, au « Rex », rue Paganini, au « Politéama », place Garibaldi ou au « Studio 34 », boulevard Edouard VII. C’est à cette époque qu’il voit l’un des films qui vont le marquer : Une nuit à l’Opéra avec les Marx Brothers.
Je me souviens que c’est grâce à ses parents qu’il a débuté au cinéma. Ils fréquentaient alors des artistes qui, comme le compositeur Joseph Kosma et le décorateur Alexandre Trauner, travaillaient dans la clandestinité sur Les Visiteurs du Soir que Marcel Carné tournait aux studios de la Victorine. Il est figurant dans une scène avec Jules Berry.

 

CiaoViva - Mocky - Solo
Solo (1970) – Crédit photo : DR

Après-guerre, il est monté à Paris et travaille comme chauffeur de taxi tout en décrochant des figurations et des rôles secondaires. Il apparaît ainsi dans Le Paradis des pilotes perdus de Georges Lampin, Orphée de Jean Cocteau ou Le gorille vous salue bien de Bernard Borderie.
Je me souviens que c’est Pierre Fresnay, qu’il a « chargé » un jour, qui l’a pris sous son aile et encouragé à suivre les cours de Louis Jouvet. C’est l’époque du Conservatoire où il se lie d’amitié avec Jean-Paul Belmondo et renonce du même coup à son prénom pour prendre celui de Jean-Pierre. Cette célèbre « bande du Conservatoire » à laquelle appartiennent notamment Annie Girardot, Françoise Fabian, Bruno Cremer, Jean-Pierre Marielle, Claude Rich, Jean Rochefort et Pierre Vernier.
Malgré sa «belle petite gueule » et une expérience enrichissante en Italie avec un rôle dans le film à sketches
de Michelangelo Antonioni, Les Vaincus (I Vinti), il s’oriente pourtant vers la réalisation. Je me souviens au passage qu’en Italie il a été stagiaire de Fellini, sur La strada et de Visconti, sur Senso. Sa première réalisation aurait du être La Tête contre les murs, à partir d’un scénario qu’il écrit, inspiré d’un roman d’Hervé Bazin. Mais producteurs et distributeurs lui imposent Georges Franju. C’est un an plus tard, en 1959, qu’il signe son premier long métrage, Les Dragueurs, qui se focalise sur les déambulations nocturnes dans Paris de deux… « dragueurs » (le mot deviendra alors synonyme de séduction dans le langage courant). Un film en partie autobiographique qui pouvait le rapprocher de la Nouvelle Vague par sa liberté de ton. Cependant, bien qu’il connaisse Godard, Truffaut et Chabrol, il ne partage pas leurs attaques contre le « cinéma de papa ». Jean-Pierre Mocky trouve alors sa voie et « trace » son chemin.

CiaoViva - Mocky - Litan
Litan, la Cité des spectres verts  (1981) – Crédit photo : DR

Je me souviens qu’il allait aborder de nombreux genres, avec un goût prononcé pour la comédie satirique (mais aussi le film noir et même le fantastique), pour brocarder la société et à ses institutions en étant du côté des humbles, du rebelle et du marginal. Il s’en prend notamment à la religion catholique (Un Drôle de paroissien, Le Miraculé), au mariage, au divorce, à l’administration (Les Compagnons de la marguerite), à la télévision abêtissante (La Grande lessive), aux politiciens et la corruption du pouvoir (L’Albatros), aux « supporters » de football (A mort l’arbitre !), au système judiciaire (Le Témoin). Les sujets ne manquent pas ! Mocky cherche souvent à faire rire mais aussi et surtout à faire grincer des dents. Jusqu’à la fin des années 1980, il reçoit un accueil plutôt favorable du public et, de temps à autre, de la critique.
Je me souviens qu’il a fait tourner Catherine Deneuve, Jeanne Moreau, Carole Laure, Bernadette, Lafont, Stéphane Audran, Claude Jade, Sabine Azéma, Jane Birkin, Charles Aznavour, Bourvil, Fernandel, Claude Rich, Michel Serrault, Jean Poiret, Francis Blanche, Michael Lonsdale, Michel Galabru, Jean-Pierre Marielle, Michel Simon, Jean-François Stévenin, Philippe Noiret, Jacque Dutronc, Richard Bohringer, Victor Lanoux, Jean-Pierre Bacri, Eddy Mitchell, Gérard Depardieu. Un sacré casting !

CiaoViva - Mocky - Le Miraculé
Le Miraculé (1986) – Crédit photo : DR

Je me souviens également qu’il aimait donner des rôles à contre-emploi. Bourvil devint ainsi un aristocrate pilleur de troncs dans Un drôle de paroissien, puis un prof de latin dans La Grande Lessive, tandis que Catherine Deneuve fut une vieille fille, frisée et rousse dans Agent Trouble...
et qu’il demeurait fidèle, même pour quelques secondes à l’écran, à des seconds rôles tels Dominique Zardi, Jean Abeillé, Jean-Claude Romer, Jean-Claude Rémoleux, Rudy Lenoir.

Je me souviens avoir lu ou entendu, il n’y a pas très longtemps encore, que Jean-Pierre-Mocky était « Iconoclaste », « provocateur et roublard », « imprévisible et extravagant », « anticonformiste », « anar » (de droite ou de gauche) « franc-tireur », « grande gueule », mais aussi volontiers machiste….
…le cinéaste qui revendiquait dix-sept enfants ne voulait pas compter le nombre de femmes qui avaient partagé sa vie ou son lit. «
Ce serait prétentieux » commentait-il, mais il n’avait jamais trouvé sa muse. « Je vais mourir sans jamais avoir connu LA Femme » ! Néanmoins, à son crédit, lorsque Jeanne Moreau s’en est allée, il s’est indigné des moqueries sur sa voix que l’immense comédienne avait du subir : « Ce qui m’a beaucoup choqué, […] c’est la façon dont on s’est foutu de sa gueule en l’imitant« , confiait-il au micro de BFMTV.

A partir des années 1990, Jean-Pierre Mocky, déjà en marge du cinéma, se dit « underground » comme il le déclarera lui-même plus tard dans un entretien accordé au « Monde » (1999). A la suite de quelques échecs (dont celui de Une Nuit à l’Assemblée nationale en 1988), il sort du système et devient (« totalement ») indépendant.

CiaoViva Mocky agent Trouble
Agent Trouble (1987) – Crédit photo : DR

Je me souviens que l’un de ses rêves a pris forme en 1994. En 1982, dans un entretien pour la revue « Cinéma » (n°280) il déclarait : « Si j’avais la possibilité financière d’acheter une salle et, en même temps, celle de réaliser mes films, j’arrêterais purement et simplement tout contact avec l’extérieur. Je m’enfermerais dans une tour d’ivoire et produirais des films uniquement destinés à cette salle. » En 1994, il rachète « Le Brady », temple mythique du cinéma fantastique et d’horreur, qu’il revend en 2011 juste avant d’acquérir l’ « Action Écoles », cinéma du Quartier Latin, qu’il rebaptise « Le Desperado ». Déjà réalisateur, parfois interprète, scénariste, monteur et producteur, avec la distribution et l’exploitation, il contrôle ainsi l’ensemble du processus de production d’un film, sans pour autant renoncer à ses principes. Il tourne toujours vite, toujours avec des petits budgets : « J’ai horreur de la lenteur. Ceci m’empêche d’aimer Melville, même si c’est notre maître à tous, le véritable précurseur avant Godard, Chabrol ou Truffaut (1) Si je tourne, c’est surtout pour ne pas m’emmerder ! (…) Hitchcock m’avait recommandé de tourner des films en 15 jours. A raison de six minutes par jour, cela fait un film de 90 minutes. Godard a adopté cette ligne de conduite. Pas Truffaut. J’ai toujours respecté cette règle (…). De toute façon, je n’ai pas le choix. Les producteurs qui ont financé mes succès comme Le Miraculé ou Un drôle de paroissien sont morts. Depuis, je n’ai pas vraiment trouvé de successeurs. (3) !»

Mocky tourne à un rythme infernal (69 films en 60 ans, sans compter les courts, les téléfilms et les séries), mais cependant il devient difficile de voir ses films de qualité inégale. C’est « un premier paradoxe ». Il est pratiquement impossible de passer par les réseaux de distribution des salles de cinéma. Quant à la programmation de son «Desperado » (revendu à Isabelle Huppert en 2017) elle n’attire pas assez de public. Si les chaînes du « petit écran » lui offre la possibilité de réaliser quelques téléfilms et de lancer la série policière Myster Mocky présente (2007 et qui précède Hitchcock by Mocky), en dehors de rares exceptions (Canal+ VOD et Arte), la télévision ne s’intéresse guère à son cinéma : «Je réalise des films pour un budget de 100.000 euros. Sur les chaînes, les décideurs qui veulent rester dans le coup choisissent des fictions ou des séries dont ils se considèrent un peu comme les papas, mais qui coûtent dix fois plus. Sans me flatter, je pense que mes films sont meilleurs. Mais, si les chaînes acceptaient de les acheter pour les diffuser, cela signifierait dès lors que tout le monde devrait réaliser des œuvres pour le même tarif. (2)» Aussi ne reste-t-il que la piste du dvd comme mode de distribution

CiaoViva - JP Mocky P Barzyk - Cannes 2010 - Crédit Philippe Prost
Patricia Barzy et Jean-Pierre Mocky (Festival de Cannes 2010) – Crédit photo : Philippe Prost

Je me souviens d’autres paradoxes… Comme celui du « franc-tireur du cinéma français » qui devient « un homme de télé » et un invité régulier des plateaux de télévision où l’on attend avec impatience ses provocs ou coups de gueules mémorables. Et puis Mocky on adore l’écouter raconter des histoires du cinéma, Son histoire du cinéma, celui qu’il a connu, avec la part de vérité et aussi, probablement, de (beaux) mensonges. Car depuis 2000, sans renoncer aux lieux de tournage ou à la salle de montage, le réalisateur avait pris la plume à plusieurs reprises pour écrire ses mémoires, d’abord, puis évoquer ses souvenirs voire régler quelques comptes. Autant d’occasions de rendre une petite visite aux chaînes de télé pour la promo du livre et d’entendre « l’anar », « du côté des pauvres » et qui écrit à propos de Jean Renoir : « Ce que j’ai aimé en lui, outre le cinéaste, c’est l’auteur et son engagement politique en faveur des plus démunis. », étaler ses problèmes d’argent. Encore un paradoxe ? Mais je me dis Monsieur Mocky que c’est votre côté provocateur et que, de toute façon on ne pourra pas « vous empêcher de l’ouvrir ». D’ailleurs, je n’oublie pas que aviez « dans vos cartons » des projets de films sur les SDF, les migrants et même les gilets jaunes ! Sans parler d’autres idées (un peu plus folles ?) de faire tourner Eric Cantona, Zinedine Zidane, Jane Fonda, Clint Eastwood, Woody Allen et même Madonna et Lady Gaga !
Enfin, comme dirait le proverbe, qui « aime bien châtie bien » et, encore à propos de la télé, vous avez déclaré: «(elle) est ingrate envers certains. Elle a ses têtes. Dans le métier, quand on vieillit, on n’intéresse plus. C’est le cas de tous mes copains, Lautner, Molinaro… À la fin de sa vie, plus personne ne répondait à Henri Verneuil. Je me souviens de Fellini, chez qui j’étais trois jours avant sa mort. Il se plaignait que personne ne le prenait au téléphone. Je suis sûr que, quand je crèverai, personne ne s’en souciera.»(2)
…Vous aviez tort sur le dernier point Monsieur Mocky. Si le bal des hypocrites est ouvert en cette triste circonstance, bien des personnes (y compris des « professionnels de la profession ») vous rendent un hommage sincère et ne vous oublient pas.

Reposez en paix désormais (peut-être ?). Annie Girardot, Jeanne Moreau, Bourvil, Francis Blanche, Jean Poiret, Claude Rich, Michel Serrault et d’Autres Ami(e)s vous attendent. Si l’occasion se présente, n’hésitez pas à nous envoyer les premiers extraits de votre nouveau film. « Moteur ! »

En hommage à Jean-Pierre Mocky, Paris Première diffusera A mort l’arbitre ! ce dimanche 11 août à 20h50. A 21h, sur C8 : Le Miraculé, à 22h25 sur W9 : Un drôle de paroissien. Lundi 12 août, France 5 proposera à 20h50 Y’a-t-il un Français dans la salle ? Arte diffusera, le même jour, à 22h30, Solo, réalisé en 1969.

Philippe Descottes

A lire et à voir :

Le Site officiel de Jean-Pierre Mocky (une mine d’or!)
Bibliographie sur Jean-Pierre Mocky
(1)
Mocky dans le texte : le réalisateur en cinq citations (archives « Le Républicain Lorrain »)
(2) Entretien accordé à
TV Magazine/Le Figaro du 19/08/2013
(3)
Jean-Pierre Mocky embobine les Politiques (Temps Libre Magazine le 11 avril 2017
Jean-Pierre Mocky sur un tournage – Le parapluie de Cherbourg – Strip Tease (de Manolo d’Arthuys pour France 3 – VF Films Production – 2000)
Jean-Pierre Mocky à propos de A mort l’arbitre et de Zinedine Zidane -(France.tvsport – 2004)
Jean-Pierre Mocky dans L’Invité de TV5 Monde présenté par Patrick Simonin (29 décembre 2010)
Jean-Pierre Mocky – On n’est pas couché (2 mai 2015)
Rencontre avec Jean-Pierre Mocky pour Le Figaro Live (2018)
Jean-Pierre Mocky, une vie de cinéma (Nice – Télé Matin – Janvier 2019)
La bande annonce des Dragueurs
La bande annonce d’Un drôle de paroissien
La bande annonce de A mort l’arbitre !
La bande annonce de L’Albatros
La bande annonce de Crédit pour tous.

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3 commentaires

  1. Superbe hommage, richement documenté.
    Mocky disparaît malgré tout dans une indifférence relative. Profitons de ces diffusions prochaines avant que Mocky ne disparaisse aussi du petit écran.

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