En Russie, la fermeture d’une usine par l’oligarque qui en est propriétaire , tourne à l’affrontement et à la prise d’otage. Dérives , violences et constat sombre pour ce thriller sur sur le délitement sociétal et la gangrène des compromissions politiques, qui mènent au chaos. Un film coup de poing! .Sélection Festival du Film Policier de Beaune 2019.

La scène d’ouverture qui nous plonge au cœur d’une usine vétuste, est étonnante de réalisme. En quelques séquences , au travers de échanges d’ouvriers contraints de faire avec des conditions de travail archaïques et la dégradation du matériel « il n’a pas été changé depuis depuis la chute de l’URSS ! » , dira l’un d’eux, qui fustige les conditions dans lesquelles les compromissions des oligarques aujourd’hui au pouvoir, soucieux de leurs seuls intérêts ont laissé pourrir, la situation.Le mécontentement est au zénith chez les ouvriers qui attendent depuis plusieurs mois le versement de leurs salaires et craignent pour leur avenir. Le spectre de la fermeture redouté va se confirmer avec l’arrivée surprise de l’oligarque- propriétaire, Kalouguine ( Andrey Smolyakov) accompagné de sa garde rapprochée, venu « sans état d’âme » annoncer la fermeture :« On termine le mois et on arrête , c’est comme ça les caisses sont vides ! », dit-il évoquant la situation économique défavorable. La révolte gronde et les reproches fusent : « quand elle était bonne la situation, tu t’es rempli les poches sur notre dos !… tu n’a pas peur d’une grève ? » , lui lance un ouvrier. Le « non !» en réponse ferme de l’oligarque, déclenche la fureur des ouvriers qui, en comité restreint, envisagent d’organiser l’enlèvement de ce dernier et demander une rançon afin de récupérer les salaires dus !. Aux risques et enjeux mesurés de la riposte « il a le soutien de ses sbires, de la police , apparatchiks et du Kgb ! » , c’est le « on a rien à perdre ! » . Sentiment d’injustice, d’avilissement, de dégradation de perte des valeurs de vie…la colère qui prédomine et pousse à l’affrontement !. Le récit va en décrypter les mécanismes qui y entraînent, afin d’éviter, dit le cinéaste :« que ces menaces ne se concrétisent(…) à l’heure où de fortes tensions se développent dans la société Russe , du fait de ces inégalités ». Ce dernier souhaitant susciter chez le public, une prise de conscience et mettre en avant, le respect de l’individu et les valeurs morales qui s’y attachent …

Le choix de la forme du thriller et ses codes, a été le modèle par lequel Yuri Bykov a choisi de développer son récit , en lui permettant d’en traduire toutes les déclinaisons , par la liberté formelle qu’elle lui ouvrait permettant, entre autres , de briser le carcan de « la censure officielle » . C’est souvent vers les genres( et celui du thriller …) , que les cinéaste ce sont tournés dans les pays où la liberté créatrice était en danger . La liberté dramatiques des codes du genre devenant refuge , permettant de développer en sous-texte ,un subtil et efficace constat . A l’heure où en Russie, artistes et créateurs se retrouvent sur la sellette et condamnés ( à l’image de Kiril Serebrenikov …) , Yuri Bykov dont c’est le quatrième long métrage ( après Vivre ! / 2010 , The Major / 2013, et L’idiot !/ 2014) , a choisi de ne pas faire appel aux subventions publiques « dans un pays qui ne finance plus le cinéma critique » , afin de rester indépendant et libre d’exprimer un ressenti, une colère. Celle du sentiment d’injustice dont témoignent entr’autes, les très fortes scènes des face-à-face, entre le personnage de l’ouvrier ancien des forces armées , surnommé « le gris » ( Denis Shvedov) interpellant l’oligarque , où s’articule cette « haine de classe » comme élément révélateur de l’injustice sociale : « Pourquoi toi tu as tout, alors que moi, je n’ai rien ? » . C’est sur celle-ci et ce qu’elle génère , que Yuri Bykov a choisi de traduire, en puisant aux mécanismes dramatiques des films noirs et de ce cinéma social et politique de la contestation des années 1970 , dont il est grand admirateur. Afin d’en restituer l’impact , à la fois des événements , des personnalités et les émotions fortes qui s’y attachent , pour les traduire , en « une véritable fiction, une réalité artistique », au cœur de laquelle l’ exagération des caractères , est destinée à impacter et toucher le public . Passant , par les archétypes représentatifs afin d’en traduire les mécanismes qui les animent et les réactions qu’ils suscitent. Comment ceux-ci , cherchent à se libérer du « vide abyssal » qui les aspire dans l’enchaînement inexorable des événements et la dramaturgie de la tragédie, jusqu’au dénouement final, devenant symbolique. Yuri Bykov, en décline tous les possibles qui s’y inscrivent au cœur d’un huis -clos où , tensions et violences vont crescendo. La force du récit c’est d’en décrypter au cœur de celui-ci , les contradictions et les faiblesses humaines qui s’y font jour, sous le joug d’une forme de « servitude » dominatrice. Celle dont le camp de l’oligarque fait état lors des tensions entre garde rapprochée et police appelée en renfort ( par qui?) pour le libérer , engendrant un conflit de « pouvoir » qui sera vite effacé, lorsque la tension va monter encore d’un cran , déclenchée par l’effet de la revendication télévisée des ravisseurs . Violence patronale et violence des ravisseurs , chantages et réflexes de peur. L’étau se resserre , entre violences et compromis devenus impossibles (?) , replis sur soi et réflexes de survie qui prédominent…le cinéaste se montre très habile dans le décryptage au cœur des événements de ces situations données comme éléments de choix . De liberté et ( ou) de survie …

A cet égard, c’est la belle idée du film que de confronter -comme révélateur « de soif de liberté absolue »- le personnage de « le gris » mû par un passé douloureux ayant forgé sa conviction inébranlable , faisant face à l’oligarque produit du pouvoir générateur d’aliénation et de servitude. Et de le confronter , aussi , à ceux de son camp , qui , objets de pression et de chantage, s’y retrouvent pris au piège … contraints au sacrifice, impuissants . Belle réflexion entamée dans ses précédent films et dont il prolonge ici la réflexion générée par le contexte politico-économique de son pays auquel , la noirceur et la violence du récit, offrent, à l’image de la séquence finale en forme de parabole , une fin d’apocalypse. Le film décortique les ambiguïtés des situations et des hommes qui les traversent cherchant à y « sauver leur peau » y sacrifiant leur liberté. Complicités , trahisons et autres divisions , comme reflet d’une société « malade » générant perte d’idéaux, indifférence, résignation . Le récit porté par une mise en scène efficace jouant à la fois sur le tableau du réalisme et celui du genre ,lui permettant d’offrir le bel écho narratif à cette désespérance qui , de la première à la dernière séquence vient, y inscrire…l’inexorable constat :« le monde est plus fort! » . Le ressenti de cette fatalité , le cinéaste le donne comme une possibilité permettant de cristalliser une écoute qui ne soit pas celle de la résignation, mais ouvrant à l’éveil des consciences : « c’est pour ça que je mets les doigts sur les problèmes douloureux de la société », conclut-il . La force de son film est là : ne pas verser dans la fatalisme , secouer les mentalités . Mission accomplie !…
( Etienne Ballérini )
FACTORY de Yuri Bykov – 2019- Durée : 1h 48.
AVEC : Denis Schvedov, Vladislav Abashine, Andrey Smolyakov, Alexander Bukharov, Dimitri Kulichkov, Alexander Vorobiev, YuryTarasov …
LIEN : Bande -Annonce du film , Factory de Yuri Bykov .
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