Cinéma / L’OEUVRE SANS AUTEUR 1 et 2 , de Florian Henckel Von Donnersmarck.

Le troisième film du cinéaste de La vie des autres ( 2006) par le truchement du récit de son héros Kurt Barnet,  inspiré du parcours du peintre Gerhard Richter, inscrit habilement dans son récit aux accents romanesques, une réflexion sur  la création artistique. Passionnant …

 Kurt en compagnie  de sa tante, visite l’exposition sur « l’art dégénéré » – Crédit Photo : Diaphana Distribution-

C’est à Dresde en 1937 dans l’Allemagne Nazie que l’on découvre, le Jeune Kurt Barnet qui en compagnie de sa tante se rend à Munich , à la grande exposition sur «  l’Art dégénéré » organisée par le régime Hitlérien . Celle-ci , destinée à pourfendre l’art moderne considéré comme « malade », devant être interdit et remplacé par une création destinée à répandre les idéaux du régime, notamment sur la « pureté de la race » . La voix du représentant du régime s’en fait l’écho qui- dans la visite guidée de l’exposition , y décline tous les « maux » dont les représentants de cet art «  dégénéré et malade » incarné par Picasso et autres artistes dits modernes, et invite le public à le rejeter et se tourner ,vers la peinture officielle. Le jeune Kurt passionné de dessin et de peinture est à la foi fois impressionné et amusé ( belle scène ) interpellé par le guide qui cherche à lui soutirer un avis favorable sur son discours «  même toi , tu peut comprendre , non ! » . Avec sa tante, la réflexion se prolonge lors du retour en car sur le sujet et sur ce qu’il faut en penser, qu’illustre un superbe geste symbolique qui deviendra leur secret. Celui de la main portée devant les yeux permettant de cacher et mettre à distance, ce qu’il est parfois préférable de ne pas voir !. Ce geste revêtira une dimension de protection , lorsqu’il sera confronté à des événements tragiques  de l’histoire   ( arrestations, traque  d’opposants, lois sur la race,  camps d’extermination ; puis la guerre et la défaite, la reconstruction du pays et sa division incarnée par le mur , La RDA socialiste, et la république Fédérale …) , qui impacteront le pays , sa famille et ses proches. Parmi les figures inquiétantes , s’y dégage du médecin Nazi ( Sébastian Koch ) pratiquant sans états d’âme, l’Eugénisme ! . La première partie du récit concentrée sur la période Nazie et sur l’immédiat après-guerre, nous plonge dans la tragédie au cœur de laquelle, le regard du jeune homme  trouvera , souvent , refuge dans ce « geste » de la main devant les yeux, partagé en complice avec sa tante  désormais disparue et dont le souvenir va le hanter . Ce distancié, on  en retrouvera la symbolique dans ce qui deviendra et constituera la matrice de l’ approche créatrice de son œuvre picturale. Pour lui, le pouvoir de l’art est «  de consoler l’être humain » , dira-t-il…

Kurt ( Tom Schilling) et sa femme, Ellie (Paula Beer ) choisissent de passer à l’Ouest – Crédit Photo: Diaphana Distribution-

Et c’est justement, par celle-ci qu’il fait sienne, que le récit du cinéaste nous entraîne au fil des événements de la seconde partie  qui bouleversent le quotidien de Kurt ( Tom Schilling ) devenu artiste peintre, afin d y déceler, ce qu’elle traduit : «… je crois qu’il a voulu dire que toute œuvre d’art majeure , est la preuve concrète que d’un traumatisme peut surgir quelque chose de positif», explique le cinéaste. La construction de sa mise en scène va jouer constamment du suspense qui s’inscrira dans le regard du spectateur, cherchant à décrypter ce qui se révèle, comme point de vue dans cette œuvre que les critiques ont qualifié                 « d’ œuvre sans auteur » , et de « création excluant toute matière biographique ». La mise en scène – habile- du cinéaste nous entraîne dans la description d’un récit classique des événements où s’inscrit une forme de double suspense ( suscité par l’acte créatif , et les événements vécus par les héros ) pour, ensuite, nous amener à décortiquer , ce qu’en révèle , la représentation du ressenti de l’artiste. Le jeu de va et vient et d’assemblage, est guidé par le fil-rouge du « lien » , illustré par les différentes expositions et ce qu’elles disent de la création artistique en rapport – ou en réaction- avec le contexte les événements de l’histoire. Très belles séquences , empreintes d’humour sur le déchaînement libertaire des formes auxquelles Kurt sera confronté , et qui  , après son expérience et son vécu d’artiste resté à Dresde embrigadé dans les fresques murales du réalisme socialiste … lui renvoyant l’écho de celles de son enfance vantant les vertus du Nazisme  et de sa politique !. Devenu  adolesent et jeune marié à la belle Ellie ( Paula Beer) , le couple rêvant d’un autre avenir , décide de passer à l’Ouest. Son arrivée à  » l’ Académie de beaux arts de Dusseldorf  » en 1960 juste avant que le Mur ne soit édifié ( Août 1961) , Kurt  y découvrant les nouvelles tendances avant-gardistes  libertaires des jeunes artistes focalisés sur les matériaux et objets symboles de l’originalité de leur créativité , il entend bien y poursuivre sa passion . Le cadre la favorise, accueilli avec égards en exilé de l’Est , un atelier mis à disposition et poussé par son directeur de travail «  ce que j’ai vu jusque là ce n’est pas , toi ! » , il va finir par trouver sa propre voie, puisant  « au fond de ses tripes ». Le déclencheur en sera ce « toi! » qui doit sortir de la carapace …et va devoir puiser à la source, pour le faire éclore. Celui   que symbolise ce  « geste » de protection remontant à son enfance ,et  qui , libéré finira par  se muer en geste créateur !. Ce « toi ! » devenant l’expression du « moi », se livrant aux autres par son art  pour faire éclore , ce qui sera désormais, la thématique de son travail :«  la relation entre la peinture et l’image photographique ». Très fortes séquences décrivant le cheminement d’un travail créatif émotionnel intense , au cœur duquel celui-ci sera mis à l’épreuve, par la révélation d’un lourd secret lié au  passé  qui  pèse sur le bonheur et l’avenir du couple…

Kurt ( Tom Schelling ) face à la toile , en phase créatrice- réparatrice – Crédit Photo : Diaphana Distribution-

Suspense oblige, on ne vous en dira pas plus … ce serait doublement coupable d’en révéler la teneur objet de la « perception » par Kurt  du malaise  , dont , par tâtonnements il va devoir chercher à élucider le poids du « ressenti », d’une douleur réveillée  par les événements extérieurs du passé. Cette fois-ci , stimulation et intuition créatrice réunies, le geste originel  protecteur face à l’insoutenable, va devoir se muer  définitivement,  en geste  créateur et guérisseur. Illustré par les belles séquences où images photographiques et peinture se superposent, fusionnent et se confondent,  pour devenir , enfin,  matière créatrice et révélatrice . Celle d’une délivrance par laquelle Kurt va pouvoir désormais affronter , grâce à cet appel d’air , les cicatrices  de son couple dont la souffrance muette , ne pouvait jusque là offrir à leur  liaison intense, que le  « partage » de la compréhension de celle de l’autre. Mais la force de ce « soutien mutuel » permettant d’en  apaiser la douleur vivace  des cicatrices , finirait sans doute par le briser par les séquelles morales  engendrées  et ravivées . La sérénité nécessaire à son équilibre, l’acharnement au  travail créatif de Kurt, va finir par  ouvrir … l’accès  à l’apaisement . Le cinéaste de La vie des autres,   prolonge ici l’exploration des séquelles engendrées par le vécu d’un passé douloureux  sur les individus. l’ouvrant , ici , à l’espoir par ce qu’elle génère et représente comme   et à la réflexion  sur le  élément à la fois éducatif et positif. Il y ajoute cependant la nécessaire  vigilance nécessaire, sur le rôle et le sens à développer par celle-ci,  aujourd’hui encore , dans un contexte politico -économique ,rendant souvent difficile : «  pour tout artiste de trouver, sa propre voie (x) »,  dit-il .

(Etienne Ballerini )

L’OEUVRE SANS AUTEUR , Parties 1 et 2 – De Florian Henckel Von Donnesmarck .
( Durée 1ére Partie : 1h 30 , 2 ème partie : 1h 39 )

AVEC : Tom Schilling, Paula Beer, Sébastian Koch, Saska Rosendahl, Oliver Masucci, Cai Cohrs, Ina Weiss, Mark Zak , Evgeny Sidikhin, Bastian Trost …

LIENS : Bande-Annonce : L’oeuvre sans auteur ( 1 et 2) ,de Florian Henckel Von Donnesmarck.

 

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