Quatre années après la sortie du dernier volet de la trilogie du Hobbit, Peter Jackson revient à la réalisation avec Pour les soldats tombés, un étonnant documentaire sur la Première Guerre mondiale.
Un documentaire de Peter Jackson sur 14/18 ? Non, il n’y a pas de confusion, il s’agit bien de Peter Jackson, le réalisateur, entre autres, des trilogies du Seigneur des Anneaux et du Hobbit, et non d’un homonyme. Pourquoi un documentaire sur la Grande Guerre ? Une reconversion pour le cinéaste pourtant annoncé (souvent à tort) sur différents projets (Tintin 2 ?) mais qui n’a plus tourné depuis le 3e volet du Hobbit (2014) ? En y regardant d’un peu plus près, l’histoire est bien plus simple… Pour mémoire, ce n’est pas une première puisque Peter Jackson avait déjà réalisé un documentaire Forgotten Silver (1995) consacré à un pionnier et génie du cinéma, oublié, Colin McKenzie, l’égal des frères Lumière, de D.W. Griffith ou de Chaplin, lequel, pourtant… n’a jamais existé ! Quant à la thématique de la Grande Guerre, ce n’est pas non plus une surprise puisqu’elle était le cadre de son court métrage Crossing the Line, sorti en 2008. Enfin, détail important et non des moindres, le grand-père de Peter Jackson a servi dans l’armée britannique de 1910 à 1919 et le film lui est dédié.

On peut s’étonner voire même s’interroger sur la date de sortie (hors Royaume Uni, Irlande et Afrique du Sud) en 2019, cela dans de nombreux pays notamment européens, soit plusieurs mois après la fin des commémorations des 100 ans de la Première Guerre mondiale. Mais après tout l’écrivain Roger Vercel et Bertrand Tavernier nous ont rappelé avec Capitaine Conan (Prix Goncourt 1934 – César du meilleur réalisateur et du meilleur acteur 1996) que la guerre ne s’est pas terminée le 11 novembre 1918, puisqu’elle se poursuivait sur le front de l’Est et que les soldats français de l’armée d’Orient puis du Danube ne furent démobilisés qu’en mars 1919.
En acceptant cette commande de l’Imperial War Museum britannique et de l’association 14-18 NOW, Peter Jackson a eu accès à des centaines d’heures de films originaux conservés par l’IWM, ainsi qu’à plus de 600 heures d’interviews de vétérans provenant d’archives (souvent méconnues ou inédites) de la BBC et de l’IWM et enregistrées au milieu des années 1960.

Ses équipes et lui ont relevé plusieurs défis, comme l’énorme travail de défrichage et, bien sûr, la restauration ou la (re)création d’images trop abîmées ou manquantes. Mais ils s’en sont imposés d’autres. Toujours sur la forme, mis à part les documents utilisés au début, les archives ont été colorisées, la vitesse de défilement a été retravaillée, pour s’approcher le plus possible du standard des 24 images par seconde, et le format de diffusion modifié. De même, Jackson a fait appel à des spécialistes de la reconnaissance labiale pour ajouter de brefs dialogues. Des manipulations (cf Forgotten Silver…) qui scandalisent certains critiques ou historiens qui parlent de « falsification » voire même de « profanation » ! Il est vrai que la colorisation de longs métrages de fiction en noir et blanc, pratiquée il y a déjà quelques années, cela au mépris du travail de réalisateurs et de directeurs de la photographie qui avaient réglé lumière et éclairages en fonction de l’image en noir et blanc, est détestable. Qu’en est-il pour le documentaire ? Dans le cas de la série d’Isabelle Clarke et Daniel Costelle, Apocalypse, la Première Guerre mondiale (2014), proche de Pour les soldats tombés, les images ont également été colorisées, sonorisées et reformatées, cela sans tenir compte de l’expérience d’opérateurs professionnels qui maîtrisaient parfaitement la technique de prises de vues, à l’instar d’Alfred Machin (chez Pathé). Il en va très probablement de même pour les techniciens d’Outre-Manche. Le débat est (re)lancé : jusqu’où peut-on aller dans la modification d’images anciennes au nom du réalisme ? Il est loin d’être clos !

Commande de l’Imperial War Museum Pour les soldats tombés se focalise essentiellement sur l’armée britannique (en raison de l’ampleur du travail sur les archives d’autres pays dont les combattants ont vécu le même enfer que les Tommies) ce qui n’en fait pas pour autant un film de propagande à la gloire de l’ex-Empire. D’ailleurs, ce n’est pas au sens propre un documentaire historique sur la Première Guerre mondiale. Il ne suit que les troupes terrestres et fait l’impasse sur les combats maritimes et aériens ainsi que sur l’effort de guerre, notamment des femmes, à l’arrière. S’il nous plonge dans le quotidien de simples soldats, depuis la mobilisation jusqu’au retour au pays (…pour ceux qui auront cette chance), en passant par la vie dans les tranchées et l’horreur des batailles, l’absence de narrateur, d’interventions d’historiens voire d’intertitres ne permet pas de situer le contexte. On ignore ainsi en quelle année nous sommes mais aussi à quelle endroit. En France, sur la Somme (1916), ou en Belgique, du côté d’Ypres (1915 ou 1917) ? L’essentiel de Pour les soldats tombés est dans la saisissante expérience cinématographique, immersive, émouvante, par laquelle Peter Jackson rend hommage à une génération sacrifiée. Si ce n’est déjà fait, le spectateur en ressortira convaincu que « la Der des Der », comme toutes les guerres, était une boucherie inutile. «(…) la guerre sera une défaite pour tous, ils y auront perdu leur jeunesse, ou leur visage ou leur raison » (voix off en commentaire de la série documentaire d’Isabelle Clarke et Daniel Costelle).
Pour les soldats tombés (They Shall Not Grow Old) de Peter Jackson (Documentaire – 2018 – 1h39)
A voir également :
La bande annonce officielle (Vostf – Warner Bros France)
La présentation du film par Peter Jackson (VO – 2mn46 – 14-18 Now)
Philippe Descottes
J’ai lu un article assassin dans Libé. Le film est pour le moins fraîchement accueilli. Est-il si indigne ?