Après celui de la jeunesse de Nocturama (2016), le huitième long métrage explore une autre piste de l’héritage révolutionnaire, via les résonances temporelles de l’histoire de la colonisation et de l’esclavage. La culture Haïtienne, le Vaudou, l’évocation de la destinée de son grand-père Zombi par la jeune orpheline héroïne du film, portée par un éclairage documenté et réaliste , est passionnante …

Dans la première séquence nous voilà transportés en Haïti en 1962 pour y assister au phénomène étrange d’un homme qui est « ramené » du royaume des morts pour être réintégré à celui des vivants, et être renvoyé à l’état d’esclavage dans les plantations de canne à sucre . D’emblée la thématique du « vaudou » s’inscrit au cœur du récit avec cette pratique de la « cérémonie » qui permet de le faire revenir à la vie , mais le rendant désormais prisonnier, exploité comme esclave. Et en état de « suspension » entre deux mondes : la vie et la mort .Clairvius Narcisse ( Bijou Mackenson ) , qui serait mort en 1962 victime de zombification , puis revenu dans le monde des vivants y ayant vécu juqu’en 1972. C’est de lui dont il est question et de sa destinée de « zombi » objet d’ouvrages et de recherches aboutissant à des avis « partagés sur son existence reconnue » , dont Bertrand Bonello s’est inspiré des documents (ouvrages d’anthropologie et autres recherches d’historiens ) y faisant référence. Le cinéaste y ajoutant son goût de cinéphile sur le genre qu’il affectionne ( le superbe « vaudou » de jacques Tourneur ), mais dont Hollywood a le plus souvent modifié le regard sur le sujet et le « lien » renvoyant à l’histoire de l’île et de la colonisation . Il l’a donc voulu empreint d’une double approche , celle d’un « retour aux origines profondes d’un phénomène mondialement connu, et important dans mon rapport fondateur au cinéma puisque, comme spectateur, j’y suis venu par le genre. Zombie est l’orthographe américaine. Zombi, c’est le zombi originel, qui est une figure profondément inscrite dans l’histoire et la culture d’Haïti. Il résulte d’un usage mauvais du vaudou, quelque chose dont on ne parle pas, dont certains nient souvent l’existence… » , explique-t-il . Le cinéphile poursuivant également, ici , l’approche d’un certain réalisme politique de son oeuvre où, Pier Paolo Pasolini et Robert Bresson entre autres , se côtoient en références esthétiques de son travail de cinéaste. L’histoire de la Révolution Française et de son écho , on le retrouve en écho de la séquence d’ouverture par le basculement cinquante ans plus tard dans la France et le pensionnat de Saint Denis, crée jadis par Napoléon comme lieu d’éducation des enfants dont les parents ont reçu la prestigieuse légion d’honneur pour « services rendus à la nation » , enseignement destiné à perpétuer les « valeurs » et l’héritage de la révolution Française. Pensionnat où l’on va retrouver Mélissa ( Wislanda Louimat )dont le grand-père… a été, Clairvius Narcisse !.

Bertrand Bonello reste fidèle à une certaine forme de construction sur laquelle son cinéma s’appuie, sur les « téléscopages » formels et temporels, dont les correspondances des contrastes renvoient à une forme d’unité matricielle, de laquelle émerge au coeur de la complexité – l’ouverture à d’autres possibles. D’emblée au centre du récit c’est l’histoire de la révolution Française devenue l’étendard emblématique de toutes celles, futures, dont elle fut l’inspiratrice . Puis y disséquant , ce qui au fil du temps, des événements et soubresauts de l’histoire , y a conduit à la ré-appropriation politique . Magnifique démonstration par l’historien Patrick Boucheron ( dans son propre rôle ) professeur au collège de France qui dans un superbe exposé d’entrée en matière à ses élèves , leur explique ( références à l’appui à Michelet et autres textes d’historiens et penseurs de l’époque …) la manière dont les courants du Libéralisme du XIXème, se sont emparés du mot liberté , pour le dévoyer ( en-isme) ,le spolier de son identité originelle et en priver les citoyens , de celle-ci. Les intégrant désormais dans le cadre d’une forme d’économie qui les l’emprisonne dans son système. Voilà donc notre Mélissa – orpheline de parents décorés de la légion d’honneur pour avoir lutté contre le régime du dictateur Duvalier , et décédés dans la tragédie du tremblement de terre de 2010. dans ce pensionnat de Saint Denis , Melissa y suscite la curiosité de ses camarades de classe. Intégrant le cercle de littérature contemporaine de celles -ci , au fil des échanges elle se confie suscitant compassion sur son tragique parcours familial et éveillant chez elles curiosité et intérêt sur les rituels culturels dont elle évoque les pratiques. La fascination joue et va se transformer en un « jeu » dangereux , lorsque l’une des ses camardes, hantées par ses déboires amoureux , va se laisser entraîner dans le tourbillon d’une expérimentation dont elle n’est pas à même de maîtriser les possibles conséquences. Entremêlant tous ces éléments , la force du récit de Bertrand Bonello est dans maîtrise parfaite dont il le conduit , et surtout dans l’approche dans ce « lien entre la vie et la mort » dont se fait écho la pratique du Vaudou. Celui , étroit, avec l’histoire de l’île et ses tremblements dont l’écho des séismes destructeurs , renvoient à celui d’une politique coloniale et ses séquelles de la traite négrière, et des effets du libéralisme naissant , puis à celle de la dictature, et aujourd’hui, à une situation économique engendrant pauvreté et violences. Mais aussi, à celle de la fierté d’avoir été ( en 1804 ) la première république Noire indépendante!…

Bertrand Bonello en conduit magistralement le récit, y décrypte au cœur des va-et- vient du montage, le moteur inéluctable des destinées qui s’y inscrivent. Des destinées emportées par l’histoire , mais au cœur des tremblements de celle-ci , c’est une « identité » culturelle qui s’y inscrit , comme éléments de survie , de mémoire. Le télescopage et le mouvement qui s’invite au cœur des éléments des deux parties et les éléments de convergence et (ou ) de correspondances qui s’y inscrivent , ouvrant à d’autres perspectives où,une certaine forme de symbiose finit par faire émerger de nouveau rapports et enrichissements .Et l’éveil de l’imaginaire qui y participe en laisse percevoir les possibles, par le biais de la camarade de Mélissa , mue pare son chagrin d’amour ,cherchant à bousculer les frontières . La Mise en scène invite à s’y laisser porter , inscrivant au cœur de sa dynamique tous les éléments suscitant ce désir., le stimulant même par tous les éléments de proposition de son écriture .Celle s’appuyant sur le récit où le réalisme devient le moteur ouvrant à la connaissance, abolissant les préjugés . Ceux dont les éléments réunis constituent un ensemble permettant d’approcher une réalité culturelle et le contexte dans lequel, elle prend forme et vie. Il en fait une magnifique démonstration en nous proposant cette approche du vaudou dépouillé des artifices d’un regard extérieur ayant occulté et relégué ( réflexe blanc?) sa nature politique et son rapport à l’esclavage . Le superbe travail de la mise en scène auquel le cinéaste nous a habitués et qu’il perfectionne et prolonge ici , par ses expérimentations sur les cadrages, le montage , sur la précision réaliste des dialogues, la superbe direction d’acteurs ( épatants… ) la plupart non professionnels . Mais aussi sur la photographie et ses nuances d’éclairages et de couleurs ( le cérémonial et ses lumières) , celui de l’ambiance sonore , et de celle musicale dont le cinéaste il signe les couleurs et les choix judicieux et l’on on se prend à se laisser porter, par les notes et les envolées des chansons qui accompagnent, en osmose, les séquences. On se laisse littéralement, envoûter …
(Etienne Ballérini)
ZOMBI CHILD de Bertrand Bonello . – 2019- Durée : 1 h 43 .
AVEC : Louise Labecque, Wislanda Louimat, Adilé David, Ninon François , Mathilde Riu, Bijou Mackenson, patrick Boucheron …
LIEN : Bande-Annonce du film Zombi Child de Bertrand Bonello .
[…] Anglais… Avec Al Pacino, Donald Sutherland, Nastassja Kinski. TCM Cinéma à 18h50 – Zombi Child de Bertrand Bonello (2019 – 1h40). Haïti, 1962. Un homme est ramené d’entre les morts […]