Au cœur du nouveau film du cinéaste Coréen : la lutte pour la survie. Habitué à transcender les genres cinématographiques, il poursuit ici son décryptage de la violence sociétale et le délitement de rapports humains qui en découlent. Aux « parasites » de sa fable en forme de satire qui en symbolisent les multiples facettes, il leur offre la magnifique dimension du vécu d’une « tragicomédie impitoyable et cruelle». Du grand Art ! . Palme d’Or , Cannes 2019.
D’emblée, la scène d’ouverture nous plonge dans le sous-sol misérable où vit la famille Ki Taek ( Song Kang-Ho, son comédien fétiche, extraordinaire ) et nous en fait découvrir le quotidien où, à la désespérance fait face le réflexe de survie. Celui qui va permettre de ne pas sombrer et trouver la parade à l’exclusion et au mépris dans lequel on est abandonnés. Au bord du précipice ?, pas question de s’y laisser emporter malgré tous les déboires à surmonter pour la famille de Ki Taek au chômage vivant dans ce lieu insalubre infesté de bestioles et sujet aux inondations lors de la saison des pluies. Comme tous les héros des films du cinéaste ils savent trouver la parade de la « distance » et de l’humour, pour défier l’inconfort de leur quotidien, et tenter de refaire surface . Rivalisant d’idées, à l’image du piratage du réseau Wi fi des voisins que les enfants de Ki Taek utilisent pour monter leurs combines et tenter de trouver des solutions pour s’en sortir !. Pourquoi d’ailleurs s’en priveraient-ils , relève le cinéaste « Au milieu d’un tel monde, qui pourrait pointer du doigt une famille qui lutte pour sa survie en les affublant du nom de parasites ? Ils n’étaient pas des parasites au départ. Ils sont nos voisins, nos amis et collègues, qui ont été poussés vers le précipice. .» . En effet , au royaume du chacun pour soi , tout devient permis!. Logique implacable . Le récit construit sur celle-ci nous entraîne dès lors dans les abîmes des rapports de forces , y sondant l’âme humaine. « C’est le début d’un engrenage incontrôlable, dont personne ne sortira véritablement indemne… » , ajoute le cinéaste , qui en décrypte les méandres…

Celles de cette « farce cruelle » dont Bong Joon-Ho, va nous proposer de suivre la déclinaison des événements dont sont les protagonistes ses « affreux, sâles et méchants » dont Ettore Scola ( en 1976) avait dans le style de la comédie Italienne brossé, jadis, le portrait . Le cinéaste Sud- Coréen dont c’est le septième long métrage , s’est fait un spécialiste de l’exploration des genres cinématographiques : Polar ( Mémories of Murder / 2003, Mother / 2009) , la science fiction ( The Host/ 2006, Snowpiercer / 2013, Okja/2017 ) . Au cœur de ces derniers s’y inscrivait, en sous-texte, un regard sur les dérives sociétales où Argent et pouvoir comme alibi de celles-ci engendrent inégalités, dérives et violences . Ici , via le genre de la fable basculant inexorablement dans l’horrifique dynamité par une distanciation magistrale où la comédie, l’imprévisible et la satire s’inscrivent en miroir. Il en concocte une déclinaison d’autant plus efficace que ses rebondissements inattendus installent constamment le spectateur dans la surprise et l’inconfort par le mélange des genres , et le déroulé d’un récit dont on vous défie d’imaginer ce qui va suivre d’une séquence à l’autre. La satire , où l’humour noir et le burlesque y côtoyant la fable sur la violence sociale, est d’autant plus féroce et brutale que celle -ci , fait dériver ensuite le récit vers le fantastique et l’horreur . Plongée dans l’enfer !. La mise en abîme est une dynamique au coeur de laquelle la mise en scène inscrit également par ses choix de cadrages , de mises en perspectives et de « flou », maintenant le suspense pour mieux nous surprendre face à l’inattendu qui nous glace et nous fait basculer en questionnements sur ce que l’avenir va réserver aux personnages emportés par le flot, où l’imprévu sert de carburant au moteur du récit ! . L’habileté du cinéaste est de nous entraîner dans les espaces et décors, reflet des différences de classes . Le sous-sol de la famille Taek , univers insalubre, de la rue , des laissés pour compte de la misère et du chômage. Et celui de la richesse pour la famille Park : Argent, villa luxueuse avec jardin , animaux de compagnie ( chiens) et les espaces intérieurs : rez de chaussée , cuisine , chambres d’étage. Ce dernier Lieu dans lesquels vont se dérouler les événements du « parasitage » . Dès lors, que , suite à la démarche du fils du chômeur réussissant à se faire embaucher comme professeur d’Anglais chez la famille Park, le mécanisme va s’enclencher inexorablement.. .

On ne vous révélera rien -comme le souhaite le cinéaste- des événements et des éléments du suspense. C’est d’ailleurs sur celui-ci que la force du film repose par rapport aux questions qui vont interpeller le spectateur devenant le témoin de sa marche inexorable. On peut par contre souligner la perfection de l’écriture et de la mise en scène qui la traduit magistralement, par ses oppositions révélatrices. Concernant la manière dont sont mises en perspective les différences de classes, mais aussi celles de la nécessité de survie qui va conduire la famille du chômeur à lui faire franchir les « lignes » . Les multiples échecs ( professionnels du père et de la mère Taek , et ceux scolaires de leurs enfants ) qui les conduiront à « briser » le tabou et basculer dans la révolte bien décidés à « parasiter » la riche famille Park à la tête d’une importante entreprise informatique. Faux diplômes , magouilles et autres arnaques valent bien une « opportunité à saisir » dira le père . Passer du sous-sol à la beauté de la riche demeure en plein air… vaut bien, le sacrifice de la soumission et se donner les moyens de devenir les serviteurs des Park!. Le coup bien joué, la co-habitation dans la villa est le moment propice pour le cinéaste d’ offrir une superbe confrontation des deux milieux sociaux. Elle s’y révèle , lorsque la famille Taek ayant réussi à se faire embaucher au complet, par la façon dont le chasse-croisé des rapports de forces va s’inscrire imperceptiblement dans les gestes et comportements quotidiens . Comme y fait écho, la superbe scène, où la mère Taek imite la présentatrice TV des informations officielles de la Corée du Nord dictées par le président Kim . La « frontière » entre les deux classes est bien réelle …comme celle- politique- du 38 éme parallèle qui sépare désormais , le pays !. S’y ajoutent les belles séquences mettant en relief tout ce qui les diversifie et ( ou ) oppose les deux familles désormais réunies, en maîtres et valets , dans la villa . Leurs modes de vie ( nourriture , liens familiaux, habitudes , argent, train de vie …) et surtout ce mépris de classe ( la réflexion sur « l’odeur des pauvres » ) affiché par le couple Park. Seule exception la tentative du rapprochement amoureux , la nuit en cachette dans la chambre à l’étage , des leurs enfants ( le fils Taek et la fille Park) aînés . Puis s’y ajoute le mystère qui entoure le petit garçon des Park, jadis traumatisé par une vision nocturne gardée secrète . Le mystère qui l’entoure , Bong Joon-Ho , en fera l’objet du possible basculement à venir de son récit . Le jeune garçon devenu fan des indiens ( la scène nocturne dans le jardin sous la tente indienne importée d’Amérique qui lui a été offerte ), désormais gâté de cadeaux , protégé et choyé comme artiste pour ses dessins « visionnaires »!? . Jusqu’à cette fête d’anniversaire improvisée après la sortie en camping abrégée pour cause de pluie diluvienne !. Les indices annonciateurs de l’orage que Bong Joon-Ho avait donnés comme éléments de dérèglement . La fête et les invités …et son dénouement dont on vous laissera la surprise , qui révélera… un autre rapport de forces secrètes qui s’est fait jour au cœur des la Villa dont les fondements vont basculer . La conduite de la séquence , impressionnante et radicale renforcée par la dimension « gore » qui amène au chaos comme logique inéluctable du constat, est d’une acuité et d’une force exceptionnelle. Nous laisserons donc le mot de la fin au cinéaste :« Nous vivons dans une époque où le capitalisme règne, sans aucune autre alternative possible. (…) le seul point de convergence entre les classes est autour de l’emploi, lorsque l’une est engagée en tant que domestique au service de l’autre (…) dans le film, bien qu’il n’y ait aucune intention malveillante de part et d’autre, les deux classes sont entraînées dans une situation où le moindre dérapage peut provoquer une fracture irrémédiable », dit-il.

Comme élément de réflexion ouvert au spectateur par la scène finale où , réel et imaginaire se télescopent, on peut trouver matière à réflexion supplémentaire dans le rapprochement de deux superbes portrait des familles démunies dont les destinées se télescopent , se répondent et s’enrichissent dans un même constat. Celui du film Une affaire de Famille du cinéaste Japonais Hirokazu Kore Eda ( Palme d’Or, Cannes 2018 ) , auquel répond en écho celui du Parasite de Boh Joon-Ho (Palme d’Or , Cannes 2019 ) . Deux grands cinéastes qui nous interpellent sur l’état préoccupant de notre monde…au bord de « l’irrémédiable » ?.
(Etienne Ballérini )
PARASITE de Bong Joon-Ho – Durée 2 h 12 – 2019 –
AVEC : Son Kang Ho, Lee Sun Kyun, Cho Yeo Jeong, Choi Woo Shik, Park So Dam, Lee Jung Eun, Hyae Jin …
LIEN : Bande-Annonce du film : Parasite de Bong Joon-Ho.
Interessante approche qui rejoint celle qui fut la mienne au sortir du film. La famille ne s’appelle pas taek mais Kim. Ki-taek est le prénom du père, comme Joon-ho est le prénom de Bong. 😉
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