Avant dernière pièce de la 5ème et hélas dernière saison d’Irina Brook (mais c’est son choix), une merveille qui, à l’instar de Vous n’aurez pas ma haine, nous montre que le théâtre qui s’écrit maintenant sait et doit être en prise avec le monde actuel. Voici Mon cœur.
De qui est ce cœur ? De Claire Tabard. C’est un personnage inventé mais pas exactement. J’écris l’histoire d’une femme qui contient un peu de chacune des personnes que j’ai rencontrées. Je l’appelle Claire Tabard. Ainsi s’exprime Pauline Bureau, l’auteur de cette pièce de théâtre. Car cette Claire Tabard est la somme de toutes ces femmes rencontrées par Pauline Bureau qui ont un point commun : pour accélérer une perte de poids elles ont pris, sur ordonnance, un coupe-faim : le Médiator.
La Claire Tabard de Pauline Bureau est hantée depuis l’enfance par des problèmes de poids. Un médecin lui prescrit du Médiator après une grossesse et elle s’effondre sept ans plus tard devant son fils. Elle subit une opération à cœur ouvert, on remplace ses valves abimées par des valves mécaniques, ce qui lui laisse des séquelles et un traitement à vie. Son cœur est changé à jamais, son rapport aux autres aussi.
Et le texte écrit par Pauline Bureau – qu’elle met en scène également- loin de se présenter comme un récit à plusieurs voix est réellement structuré comme une pièce de théâtre : on en distingue les actes, les scènes, les lieux (pertinente scénographie d’Emmanuelle Roy sachant utiliser tout l’espace scénique). Je pèse mes mots : on a l’intensité d’une pièce d’un Shakespeare.
Claire Tabard est un personnage fort, peut-être justement parce que Pauline Bureau en fait la somme de toutes ses femmes que l’auteur rencontré. Elle est inventée mais elle est ce conglomérat d’humanités qui la fait ressembler à nous. Son parcours – celui que la pièce décrit – pourrait s’assimiler à celui d’un drame- est heureusement « dédramatisé » par la plume de Pauline Bureau qui a su apporter humour et distance nécessaires, comme chez Shakespeare !
Plusieurs personnages interviennent dans ce parcours : d’abord le docteur qui, pour lui donner un médicament afin de lutter contre sa prise de poids, lui prescrit la panacée : le Médiator. Pour lui vanter les prouesses de ce médicament, elle rajoute : « Elle est pas belle, la vie ! ».Puis un cardiologue, qui lui annonce que ce traitement est fatal à son cœur et doit l’opérer à cœur ouvert pour changer ses deux valves.
Presque par hasard –sa sœur entend sur France Inter une pneumologue qui s’exprime sur les dégâts de ce médicament- elle prend rendez vous et rencontre la pneumologue Isabelle Frachon, du CHU de Brest. Personnage central de la lutte contre les laboratoires Servier, fabricants du Médiator, elle va présenter Claire Tabard à un avocat.
Pauline Bureau dessine aussi un très beau personnage avec la sœur de Claire, qui d’abord, en écoutant Irène Frachon interviewée sur France-Inter, alerte Claire, l’accompagne chez l’avocat et intervient avec pugnacité devant la réunion du « comité d’expert ».
L’art de Pauline Bureau est de nous conduire dans les méandres d’une guerre inlassable contre l’inertie et le mensonge avec adresse, avec égards, mais aussi énergie et empathie, et de dénoncer, de révéler, via le « parcours » de Claire Tabard la brutale réalité de l’un des plus gros scandales sanitaires français.
La construction dramaturgique de Mon cœur suit une ligne amenant imperceptiblement, séquence par séquence, avec ses aléas, à cette scène hallucinante où Claire Tabard passe devant le comité d’experts qui doit décider, au vu de la mission que lui assigne le Tribunal, en interrogeant Pauline Tabard, si le médicament Médiator a comporté des effets dangereux (je ne suis pas un spécialiste du droit mais cela doit être quelque chose comme cela).
Séquence hallucinante où non seulement Claire Tabard est poussé dans les derniers retranchements de son intimité mais où a l’impression que c’est elle-même qui est l’inculpée. Paraitrait-il que la réalité dépasserait largement la fiction. Tout est bien qui finit bien mais à quel prix !
Tout est bien qui finit bien, si l’on veut, car, revenons au réel, le procès se tiendra à l’automne 2019, soit 10 ans après son retrait pour risques de valvulopathie (déformation des valves cardiaques).Le retrait en Espagne et en Italie date de 2003. Cinq millions de personnes l’ont utilisé. L’alerte d’Irène Frachon date de 2008.
Tous ces acteurs ont un jeu juste, au service et de l’écriture et de la cause que celle-ci défend. Ce théâtre est utile, nécessaire, comme « le gaz et l’électricité », disait Jean Vilar.
Jacques Barbarin
Mon cœur Texte – paru chez Acte Sud- et mise en scène de Pauline Bureau
Avec Yann Burlot, Nicolas Chupin, Rebecca Finet, Sonia Floire, Camille Garcia, Marie Nicolle, Anthony Roullier, Catherine Vinatier production La Part des Anges
Photos : Pierre Grosbois
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