Il faut encore patienter un peu avant de connaître le Palmarès du 72e Festival de Cannes. L’habituel petit jeu des pronostics de la presse spécialisée aboutit cette année à un consensus pour la Palme d’Or. Tant pour les critiques français que pour la presse internationale, deux films se détachent, à savoir Douleur et Gloire, de Pedro Almodovar, et Parasite, de Bong Joon-ho. Mais on sait que les voix du jury, présidé cette année par le réalisateur Alejandro Gonzalez Iñarritu, sont impénétrables, que les pronostics n’ont aucune influence sur les jurés et que le palmarès réserve souvent bien des surprises…

D’ailleurs, au niveau de la critique, en dehors également de Mektoub, My Love : Intermezzo, d’Abdellatif Kéchiche, l’unanimité s’estompe pour les autres lauréats potentiels, tant les appréciations sur les films sont différentes. Ainsi, deux exemples parmi d’autres, les critiques, français et étrangers, sont divisés sur Once upon a time in Hollywood de Quentin Tarantino, tandis que le presse internationale, anglo-saxonne, a particulièrement aimée Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma…
Parmi les sept prix que le jury doit obligatoirement attribuer, on devrait (pourrait) retrouver au palmarès, outre Douleur et Gloire et Parasite, déjà évoqués, pour le Prix de la mise en scène, It Must Be Heaven du réalisateur palestinien Elia Suleiman, une fable politique, burlesque, dramatique et poétique ou Les Misérables de Ladj Ly, 1er long métrage de fiction et l’une des belles découvertes de cette édition, une œuvre réaliste qui décrit les tensions et la montée de la violence entre policiers et habitants des banlieues parisiennes.

Le Prix d’interprétation féminine ne devrait pas échapper au duo Adèle Haenel et Noémie Merlant, Portrait de la jeune fille en feu, sur une histoire d’amour lesbienne dans la France du XVIIIe siècle. Néanmoins, Virginie Efira, interprète principale de Sibyl de Justine Triet, dans lequel elle joue une romancière reconvertie en psychanalyste mais rattrapée par le désir de reprendre la plume, pourrait tout aussi bien être récompensée. L’incertitude est également de mise pour le Prix d’interprétation masculine. Si Antonio Banderas, double émouvant de Pedro Almodovar dans Douleur et Gloire, semble largement favori, la prestation de Pierfrancesco Favino, en mafioso repenti dans Le traître de Marco Bellocchio, pourrait également toucher les membres du jury.

Dans l’ensemble, les films de la Sélection officielle, d’Un Certain Regard et des sélections parallèles sont le reflet d’une planète qui ne tourne plus très rond, en dehors de quelques exceptions comme la comédie grinçante, mêlant fiction et réalité, présentée hors compétition, La Belle époque de Nicolas Bedos, qui confirme ses talents de réalisateur après son 1er film, Mr et Mme Adelman. Autre constatation, la frontière entre « cinéma de genre » et « cinéma d’auteur » s’estompe de plus en plus, comme celle qui séparait jadis documentaire et fiction. Pour Manuel Chiche, fondateur et dirigeant de The Jokers Films : « (…) il est quand même regrettable de constater cette obligation de distinguer les films selon leur genre. Il y a toujours cette pose prétentieuse qui sous-considère le cinéma dit de genre, sous prétexte qu’il ne donnerait pas assez à réfléchir. Je m’inscris en faux contre cette pensée. » (extrait d’un entretien accordé au « Film Français » – n° du 21 mai 2019). Parasite, distribué en France par Jokers Films, montre que le débat est en train d’être dépassé avec une comédie qui flirte à la fois avec le cinéma de genre et un cinéma social et politique. Comme un mix entre Une affaire de famille, Palme d’or 2018, et Affreux, sales et méchants d’Ettore Scola, Prix de la mise en scène à Cannes en 1976. Enfin on notera que Disney ou Pixar n’ont plus l’apanage de traditionnel film d’animation que le Festival avait coutume de présenter il y a quelques années. Ainsi, comme en 2016 (*), cette 72e édition aura été une belle année pour le cinéma d’animation français, avec trois longs métrages sélectionnés : J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin (Semainde de la Critique), Les Hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec, et La fameuse invasion des ours en Sicile de Lorenzo Mattotti (l’un et l’autre à Un Certain Regard).
A suivre, avec le Palmarès…
Voir également :
Le site officiel du Festival de Cannes
Philippe Descottes
(*) La tortue rouge de Michael Dudok de Wit, Ma vie de courgette de Claude Barras et La jeune fille sans mains de Sébastien Laudenbach avaient eu les honneurs de la Croisette.