Falicon : un charmant village, une grotte et….une pyramide !
Amis lecteurs, les beaux jours approchent et les grosses chaleurs ne sont pas encore au rendez-vous, aussi je vous propose cette fois-ci de sortir de la ville pour nous promener, pas très loin d’ailleurs, sur les pentes du Mont Chauve(1), sur la commune de Falicon pour y découvrir en plus d’une vue imprenable sur Nice et le littoral, un lieu insolite (alt. 434m) qui a fait couler beaucoup d’encre et excité les imaginations depuis la fin des années 1920, je veux parler de la grotte des « Ratapignata » et de l’édicule qui surmonte son entrée, une petite pyramide très dégradée actuellement mais dont l’histoire n’est pas sans intérêt. Je vais vous la conter en ces quelques lignes.
Cette histoire débute en 1803, l’ancien Comté de Nice est devenu 85eme département français depuis février 1793 et Bonaparte règne déjà en maître tout puissant sur la France en attendant d’endosser les habits de Napoléon 1er à la tête du premier Empire Français en avril 1804 et ce jusqu’en 1814.
En mars 1803, sur le terroir de Falicon, se promène un curieux personnage, avocat de son état mais en même temps poète improvisateur, écrivain, curieux d’archéologie, de chimie, bref un pur produit du siècle des Lumières. Domenico Rossetti est italien, originaire de Vasto (Abruzzes), en vacances dans notre région et doit rencontrer à Gairaut, un compatriote, un certain Gian-Giacomo Vinay, conseiller de préfecture à Turin qui a acquit une bastide implantée sur la colline du Tornéo, un épaulement du Mt Chauve d’Aspremont (854m), en face du village de Falicon.

Apprenant l’existence, à flanc de cette colline, côté sud, d’une mystérieuse excavation d’où s’échappent le soir des chauve-souris (ratapignata), il décide, spéléologue en herbe, d’explorer cet aven qui mène à une quinzaine de mètres de profondeur à une vaste grotte garnie de stalactites et de stalagmites dont une grosse colonne de calcite joignant le sol au plafond, visible actuellement depuis l’entrée du gouffre par une belle matinée ensoleillée. Mieux encore, dans un coin de la grotte une ouverture au ras du sol donne accès à un puits vertical étroit qui débouche plus bas dans une autre excavation, une faille qui semble se prolonger dans les entrailles de la terre. Nous sommes parvenus au fond à 43m50 depuis l’entrée. Notre avocat est émerveillé par sa «découverte» ce 24 mars 1803 et tient absolument à l’officialiser en écrivant un livre en prose et en vers «La Grotta di Monte Calvo» édité à Turin en 1804 et dédié à son ami G-G Vinay. Rossetti est tellement fier de son «invention» qu’il la compare sans modestie à la grotte d’Antiparos en Grèce mais c’est très exagéré!
Cette grotte est surmontée par une structure pyramidale tronquée, en fort mauvais état actuellement qui, à supposer qu’elle fut bien pointue à l’origine, ne devait pas excéder dix mètres de hauteur. Sa structure est formée de pierres liées par un mortier avec colmatage de briquettes et de morceaux de tuile. Ce n’est pas une construction soignée, à la romaine.
Elle a certainement été recouverte jadis par un enduit (clair?) dont il reste çà et là quelques vestiges.

Le livre de Rossetti en fait mention (gravure). L’auteur y est vu désignant le monument (une pyramide pointue) avec à droite une tour faisant partie de la Bastide, propriété du sieur Vinay.
Curieusement, dans son ouvrage, Rossetti ne mentionne pas cette pyramide qui couvre l’entrée du gouffre! En1814, une vue de «l’Album de Louvois» montre l’intérieur de la grotte avec une échappée visuelle sur l’entrée révélant un pan de maçonnerie. Cela confirme l’existence de l’édicule juste après 1803. Il ne fait pas non plus mention d’un escalier maçonné de 6 ou 7 marches édifié tout près de l’ouverture menant à la deuxième salle. Une gravure de P.E. Barberi(s) du 19eme siècle montre bien l’utilité de cet escalier qui faisait manifestement partie d’un aménagement intérieur qui permettait de descendre dans cet antre sans trop de risques, car l’endroit était visité assez régulièrement avec comme guides un ou plusieurs paysans de la Bastide, moyennant quelques pièces évidemment! Cet escalier est certainement postérieur à la «découverte» de 1803.
Pendant près d’un siècle, les ouvrages, les guides de voyage, ne manqueront pas de mentionner le site en décrivant avec emphase tous les coins et recoins de la salle principale, la plus visitée, mais rien ou si peu sur l’édicule sommital, sur son origine, rien! Des recherches « archiviques » approfondies sur les périodes antérieures à 1803 n’ont donné aucun résultat sur la présence de cet édicule.
En 1901, un spéléologue, Jules Gavet, organise une exploration du gouffre, produisant un croquis et des mensurations, par contre aucun dessin ou photo de l’ensemble du site, disant simplement qu’il existait au dessus de l’entrée le vestige d’une plaque portant une épigraphie illisible, dommage, à moins qu’il savait déjà que la pyramide n’était qu’un simple repère sans intérêt archéologique!
C’est une hypothèse, mais la plaque en question ne portait-elle pas la simple mention: «La Ratapignata»?

La Grande Guerre passée, enfin une photo, de qualité médiocre, certes, montre le site dans son ensemble. L’édifice est déjà tronqué. De 1928 à nos jours, la grotte va passer progressivement au second plan, l’intérêt se portant beaucoup plus dorénavant sur le monument pyramidal. Des théories sur son origine et celle du lieu souterrain vont fleurir ici et là. En 1927, un curieux personnage résidant à Falicon, Etienne Gotteland, pétri d’ésotérisme et de spiritisme fait remonter le site au chalcolithique (environ 4000 ans!). Une origine romaine faisant appel au culte de Mithra sera évoquée par les chercheurs les plus sérieux mais les preuves manquent cruellement pour étayer cette hypothèse même si elle semble intéressante.
Après la 2eme Guerre mondiale, vers les années 1960, une abondante littérature donnant dans l’ésotérisme pur et dur fait son apparition remettant en lumière ce site un peu oublié. L’hypothèse «romaine» fait place maintenant à un florilège de théories aussi farfelues les unes que les autres (Celtes, Templiers, visiteurs spatiaux), mais tout cela manque évidemment de sérieux.
En 2009, lassés par ces errements, trois chercheurs locaux dont moi-même, décidons d’écrire un ouvrage faisant le point sur cette affaire en se basant strictement sur des faits tangibles, rassemblant nombre d’iconographies et documents écrits (2).
La conclusion à laquelle sont arrivés les auteurs est que, de toute évidence, le monument n’est pas très ancien et remonte bien à la découverte de Rossetti en 1803 ou juste après.
La structure même de ce petit monument plaide pour une réalisation récente. On voit encore des murs bâtis de cette sorte un peu partout dans la région.
Rossetti, dans son livre semble bien fier de sa «découverte» et émet le désir qu’elle puisse être connue du grand public. La pyramide avec son revêtement clair d’époque constituait un excellent repère, visible de loin pour les visiteurs s’approchant des lieux. Ce livre pouvait donc constituer un bon guide permettant d’aller visiter commodément ce lieu devenu aussi célèbre au 19eme siècle que la «grotte» de Saint-André et celle de Châteauneuf.
Pour terminer, amis lecteurs, ci-joint un itinéraire commode pour aller voir la Ratapignata:
-Laisser votre véhicule sur un parking à l’Aire St Michel. Ne pas partir sans eau (impératif).
-Monter à pieds (bonnes chaussures) au hameau tout voisin des Giaïnes (chapelle Bleue).
-Gravir les escaliers qui aboutissent à un chemin orienté sud, le parcourir.
-Au 1er virage à droite, prendre le sentier montueux et caillouteux qui rejoint le sommet de la colline de Châteaurenard (beau panorama), traverser le plateau, on passe devant une ancienne bergerie ruinée, prendre tout de suite à droite un sentier en sous-bois qui débouche sur le versant sud de la colline du Torneo.
-Suivre un sentier à flanc de colline et dix minutes après, vous y êtes! Attention: la visite de la grotte nécessite de l’expérience spéléo et un équipement adéquat. Le meilleur éclairage du site est le matin, mais il risque alors d’y faire chaud. Bonne promenade!
Yann Duvivier
( mai 2019 )
(1): Le Mont Chauve (853m) est constitué de calcaire dolomitique et, quoi qu’en disent certains n’a jamais été un ancien volcan!
(2) : «La Pyramide de Falicon et la Grotte des Ratapignata», Tome L des Mémoires de l’IPAAM.par Catherine Hungar, Pierre Bény, Yann Duvivier (2009).
Quel plaisir de découvrir cet article j’ai bien sûr été voir cette fameuse pyramide il y a une quarantaine d’années
je l’avais découvert dans les écrits de Robert Charroux qui nous faisait rêver avec ses écrits mystérieux… Si la grotte est aussi vaste comment se fait-il qu’elle n’est jamais été exploité pour le tourisme comme ils savent si bien le faire dans la région avec différents lumières J’aurais aimé plus de photos de l’intérieur
Merci