Une grand-mère confrontée à la détermination de son petit-fils décidé à partir combattre en Syrie. Fidèle à la dimension intimiste de son œuvre , André Téchiné inscrit son approche de la construction identitaire de son héros en quête de sens. Sous la forme de la tragédie familiale portée par le refus du moralisme, il lui offre la complexité morale qui s’y joue. Et signe un film passionnant..
Au cœur de son cinéma romanesque empreint d’un certain lyrisme , André Téchiné y a souvent intégré la dimension du réel liée à l’actualité. Cette spécificité a construit l’originalité et la sensibilité de son œuvre, au cœur de laquelle ses personnages se retrouvent confrontés à faire des choix, parfois radicaux. Jeunes adolescents en quête identitaire, choix de vie et ( ou ) familiaux, dilemmes moraux et autres positionnements confrontés à un contexte quotidien politico-social, parfois déstabilisant. C’est au cœur de l’intimité des individus que le cinéaste se positionne pour les comprendre, et non pour les juger. Son choix et son point de vue se révèle d’autant plus fort que le sujet d’actualité et objet de polémiques, est ici , destiné avant tout à chercher à « comprendre » les raisons et motivations complexes du mal-être , qui peuvent y conduire . Et qui , par les réactions qu’elles suscitent, deviennent également révélatrices du « malaise » d’une société , dont elles sont le prolongement. Comme l’était , hier, dans les Roseaux sauvages ( 1995 ) le dilemme du choix auquel s’ était retrouvée confrontée une certaine jeunesse, dans le contexte de la Guerre d’Algérie, à devoir choisir de déserter ou de partir au combat et se rendre complice des séquelles d’une politique de colonisation…

« L’Adieu à la nuit, c’est l’intrusion de la radicalisation islamiste dans une nouvelle France. On peut y retrouver le préjudice causé par le colonialisme (entre autres la guerre d’Algérie…) et brandi comme un étendard identitaire et vengeur », explique le cinéaste reprenant, certains discours. Celui-ci a en effet travaillé longuement en amont sur le sujet et recueilli à son tour de nombreux témoignages dans la continuité du livre de David Thomson ( Les Français Jihadistes – éditions Les Arènes ) dont il s’est inspiré. Le matériel ainsi réuni sur ce sujet « brûlant » de la « conversion » , il a choisi de l’aborder en fiction, l’inscrivant dans un certain clivage générationnel , mais aussi , révélateur d’une certaine forme de « quête identitaire habitée par un idéal romantique» .Celle-ci prenant la forme d’une conversion dont la dimension « terrifiante », serait le miroir révélateur du rejet d’une civilisation consumériste générant confusion, perte d’idéaux et valeurs se retrouvant absorbés par ceux de l’appel de la religion…

C’est la superbe idée du choix de récit qui permet au cinéaste,dès lors, de développer toute la complexité de ce qu’il révèle, à la fois du désespoir de cette grand -mère confrontée à la décision de son petit-fils porté vers cet « idéal » dont il pense qu’il va le sortir de ce mal-être au monde et aux autres. Car en dehors de Lila ( Oulaya Amamra , révélée dans Divines ) éperdument amoureuse de lui et avec qui, Alex (Kacey Mottet -Klein) a décidée de partir en Syrie , le seul lien familial qui lui reste, c’est sa Grand-mère, Muriel ( Catherine Deneuve ) qui l’aime beaucoup. En effet , Alex vit seul depuis la mort de sa mère dans un accident et a rompu le lien avec son père qui a refait sa vie en Guadeloupe où il a crée une autre famille . Alex dont les repères familiaux ayant engendré souffrances , s’est résolu à devenir autre, épousant désormais une nouvelle destinée , dont est révélatrice la conviction avec laquelle il se soumet aux rituels religieux de ce que sera son nouvel être au monde, qu’il a choisi . Sa grand mère chez qui il se rend pour faire les préparatifs de son départ , va se rendre très vite compte qu’il lui a menti sur la vraie destination et s’en inquiète. Bouleversée et quelque peu désemparée, elle va tenter de tout mettre en œuvre pour le dissuader , refusant de le voir embrasser un choix « mortifère » dont on lui dit : « il ne reviendra pas, vous le savez ! ». C’est en créant une belle tension psychologique digne d’un polar que le cinéaste installe dès lors, pour traduire « l’enjeu moral des événements » qui vont s’enchaîner, mettant en lumière les raisons de chacun. La tension de la préparation du départ ( se cacher , réunir l’argent, définir l’itinéraire le plus sûr…) dans la clandestinité pour Alex et ses amis . A celle-ci répond, celle de Muriel désemparée , empruntant le visage de la mère protectrice de substitution, mais vulnérable et ne sachant que faire … jusqu’à en perdre la raison et tout tenter ( le séquestrant …) pour le protéger son petit-fils d’une destinée de sacrifiée …

Dans ces conditions extrêmes là, réflexes et jugements moraux ne sont pas forcément en concordance . Ainsi la justification des raisons et du geste de Muriel cherchant à préserver son petit fils , trouve-t-il son écho opposé dans celles d’Alex et de Lila portés par leur quête libératrice d’engagement vers une autre destinée. André Téchiné dans cette perspective, s’évertue avant tout à traduire les raisons de chacun de ses personnages sans porter, comme on l’a dit, de jugement moral sur leurs choix . Dans cette optique il leur offre la dimension émotionnelle qui les habite , dans sa complexité et les dérives auxquelles elle peut conduire. Chercher à Comprendre avant de juger était aussi la devise et la dimension du cinéma de Jean Renoir, à laquelle Téchiné se réfère . C’est celle-ci , ici , offre au récit l’ampleur de la tragédie des destinées qui s’y jouent auxquelles, la séquence finale ouverte, laissera s’installer l’espoir. De la même manière que s’inscrivent au coeur des séquences de la conduite du récit , les éléments qui en prolongent l’écho dramatique . A l’image des éléments faisant appel à l’enracinement, à l’inconnu, à la mythologie , au cosmos ( la scène de l’éclipse …) . Complétés par ceux, plus terre à terre, faisant référence au règne animal et végétal du cadre ( le Sud de la France…) dans lequel se déroule le récit situé dans les années 2015 . Ceux, dont métaphore de l’éclipse symbolise, ce spectre du jour et ( ou ) de la nuit , qui pèse sur leurs destinées. Celles-ci, fragiles dans leur humanité, où les clichés de la caricature et ( ou ) de la bonne conscience, sont écartés par une direction d’acteurs splendide , qui , comme souvent chez le cinéaste privilégie la mise à nu des individus et des raisons de leur quête. Aux côtés des rôles principaux confrontés à leurs choix , des beaux personnages secondaires , y incarnent d’autres possibles. A l’image de Fouad ( Kamel Labroudi ) le djihadiste repenti – ou encore – de Youssef ( Mohamed Djouhri ) l’associé de Muriel représentant lui , l’image de la réussite d’une certaine intégration sociale. Et celui du recruteur, Bilal ( Stéphane Bak) déterminé, mais qui a parfois du mal à respecter ( il fume en douce…) les prescriptions religieuses . C’est cette humanité qui est au fond de ses personnages dont André Téchiné scrute l’étincelle du retour à la lumière dont le titre de son film est porteur. C’est par tous ces choix que le film volontairement détaché de tous clichés et a-priori , offre un superbe éclairage… à la vraie complexité de son sujet.
( Etienne Ballérini )
L’ADIEU A LA NUIT d’André Téchiné – 2019- Durée : 1h 43.
AVEC : Catherine Deneuve , Kacey Mottet Klein, Oulaya Amamra, Stéphane Bak, Kamel Labroudi, Mohamed Djouhri, Amer Alwan …
LIEN : Bande-Annonce du film : L’Adieu à la Nuit d’André Téchiné .
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