La fin des années 1960 en Colombie, les familles indigènes confrontées à la colonisation des « gringos » et à la vente de la drogue. Traditions et cultures ancestrales, narcotrafic, guerre des clans et perte d’identité. Le cinéaste de L’ étreinte du serpent ( 2015), signe avec son nouveau film, une magnifique fresque tragique, empruntant les codes du genre …
La scène d’ouverture donne le ton avec cette fête traditionnelle , les chants et les danses au rythme des tambours, célébrant la vision cosmique de la Tribu Wayuu vivant dans la région aride de la Guajira dans le Nord de la Colombie. Rythmée par les sonorités et les gestuels auxquels les couleurs resplendissantes des habits offrent à la dimension mythique de la cérémonie et à ses codes, celle symbolique amplifié par le présence des oiseaux annonciateurs de certains ( mauvais?) présages. La belle Zaida ( Natalia Reyes ) y est rejointe par le jeune éleveur de chèvres, Rapayet ( José Acosta ) qui la demande en mariage. Il va falloir en passer par les exigences en dot pour laquelle la « matriarche » du clan, Ursula (Carmina Martinez ) , ne lésinera pas sur le prix à payer !. Les moyens de l’éleveur de chèvres sont loin d’y satisfaire. Alors, le voilà en compagnie d’un de ses meilleurs amis sollicité par les « gringos hippies » en quête de Marijuana, se laissant convaincre par une « juteuse » collaboration d’import -export , qui va lui permettre de financer la dot !. Ce sera le point de départ d’un cheminement doublement symbolique dont le cinéaste et sa compagne productrice et co-réalisatrice, vont prolonger – avec ce quatrième long métrage – leur réflexion sur cette « perte d’identité » en question. Celle, déjà abordée dans L’étreinte du Serpent , via le guide Chamane des deux Explorateurs occidentaux venus dans les premières décennies des années 1900 , a la recherche d’une « plante médicinale », au cœur de la forêt Amazonienne. La colonisation d’hier et celle des années 1970 dont la dimension politico- économique amplifie et génère, l’échec de la transmission des valeurs. Ici , avec l’arrivée des colonisateurs Us et leur armada, c’est par le prisme des genres « devenus les archétypes mythiques de notre temps » que les auteurs ont choisi de décrire la déchéance qui y mène, orchestrée par le déploiement d’armes et le déluge de violence qui s’y joue. Honneur et loyauté, y ont-il encore, place ?. Aveuglement et dépendance que les oiseaux de présage et autres rêves et dialogues rituels traditionnels avec les esprits ou les morts, orchestrent magnifiquement servis par une mise en images et en espaces ,superbe. Gros plans, inserts ( les pieds de l’échassier ..) et autres perspectives sonores, et ( ou ) ruptures contribuant à créer, une tension extrême…

Comme une marche inexorable scandée par les chapitres en forme de « chants » qui égrènent la période ( 1968- 1985 ) de l’ascension et de la chute de la famille du clan. Les « limbes » qui viennent clore le récit et ses emprunts ( polar , western ) aux genres, enrichis par la dimension ethnographique et historique, renvoient leur écho à cette « perte des valeurs » en question. La lutte violente et sanglante qui s’y joue, n’est que le résultat d’une sorte de « pacte toxique » qui en est le reflet, celui dont la « Bonanza Marimbera » ( âge d’or des cartels ) est le symbole :« La culture que nous décrivons dans le film, les wayuu, a des codes qui ne sont pas très éloignés de ceux des gangsters. Il existe un personnage, le palabrero, avec un rôle similaire de celui du « consigliere » dans la mafia. C’est un genre qui plait beaucoup autour du monde, mais que notre cinéma s’est souvent interdit. En Colombie, on a du mal à s’en emparer à cause des ravages de notre histoire récente… », explique Cristina Gallego. Le film, est le fruit d’un long travail de recherches et de rencontres des habitants dans la région où ce trafic s’est déroulé et « dont la plupart des faits qui s’y sont produits , n’ont jamais étés racontés », ajoute à son tour, Ciro Guerra. Ces faits constituent la « base » de la réflexion portée par le film, comme éléments de la métaphore dont la destinée tragique familiale, renvoie à celle du pays. Les auteurs ajoutant, que la nécessité de les raconter est conçue : « comme outil de processus de reconstruction de notre histoire …destiné aux jeunes générations », devenu possible et qui s’inscrit dans le contexte du processus de paix ( entre le gouvernement et les FARC… ) qui a lieu dans le pays ….

Au delà de l’importance du récit, il y a celle qui le porte, via ses personnages , qui, dans ce contexte jouent un rôle primordial comme éléments de « reconstruction » de cette identité. Mais aussi, comme éléments de compréhension complexe qu’ils incarnent, pris qu’ils sont dans l’étau des dilemmes moraux et ( ou) familiaux de leurs destinées qui s’y jouent. De la même manière que, le vécu du rapport à ces traditions et autres croyances anciennes qui en a été affecté, voire détruit, celui de toute une mémoire et une psychologie collective « vampirisée » par les colons étrangers. Dès lors, les acteurs qui sont plongés au cœur de ce contexte en deviennent passionnants, déchirés dans leurs choix et (ou ) leurs croyances, contraints de se renier ou mourir. Sacrifiés !. La force du film tient aussi, et surtout, dans le regard porté sur eux . Les auteurs, se refusant de les juger préférant s’attacher aux raisons qui les guident dans leurs choix A l’image du beau personnage d’Ursula, femme forte et figure matriarcale fixée sur les valeurs du clan à entretenir à n’importe quel prix , aveuglée par une filiation qui n’en fera qu’à sa tête !. . Ou du personnage d’Anibal en « parrain » impitoyable abusant de ses pouvoirs et de ses influences. De la même manière que Zaïda et Faradet, seront piégés dans le double enjeu de la lutte des clans et des Narco trafiquants. A l’image également, du messager et de personnalités représentatives des différents clans de la région réunies, tentant , en vain d’arrêter le bain de sang !. Dès lors , les oiseaux des légendes et croyances ancestrales , annonciateurs du danger qui rôde , laisseront la place aux ailes des « coucous » américains , ces avions autres oiseaux de passage atterrissant sur le sol Colombien, pour s’approvisionner de leur chargement de drogue…
(Etienne Ballérini)
LES OISEAUX DE PASSAGE de Ciro Guerra et Cristina Gallejo .
AVEC : Carmina Martinez , José Acosta, Jhon Navaez, Natalia Reyes, José Vicnete Cotée, Juan Martinez, Greider Meza …
LIEN : Bande-Annonce du Film : Les Oiseaux de pasage de Ciro Guerra et Cristiana Gallejo.
[…] au moment de leur présentation à CineLatino comme Joel une enfance en Patagonie de Carlos Sorín, Les Oiseaux de passage de Ciro Guerra et Cristina Gallego,Rojo de Benjamín Naishtat, Sergio & Sergei d’Ernesto […]
[…] de Blancanieves. Les deux films sont cependant très différents. Ciné+ Premier à 19h15. Les Oiseaux de passage de Ciro Guerra et Cristina Gallego (2018). Dans les années 1970, en Colombie, une famille […]