Un Village isolé dans les montagnes Turques. Sibel une jeune fille muette rejetée pour son handicap , va défier les villageois et leurs mœurs rétrogrades, en s’émancipant. Un superbe récit empruntant la dimension du documentaire , du conte pour rebondir sur, celle , politique..

Elle a Vingt cinq ans et elle est jolie, Sibel (Damia Sönmez, lumineuse) et elle vit dans ce village avec son père veuf, et sa sœur. Son mutisme elle ne le considère pas comme un handicap puisque dans cet endroit isolé, les habitants ont appris à communiquer à distance , par le « langage sifflé » qui remplace le portable « ici on ne capte pas ! », relève une ouvrière. Lors de la pause pour le repas journalier Sibel se tient souvent à l’écart , elle sait qu’elle n’est pas la bienvenue dans le groupe d’ouvrières des champs , comme le lui fait d’ailleurs savoir cette jeune femme avec laquelle elle tente de nouer dialogue et qui la repousse vertement lui signifiant …que sa proximité risque de lui faire transmettre « sa » maladie à ses enfants ! . Et puis, il y a ces conversations faisant écho à ce « loup » qui rôde dans la forêt voisine et qui hante les esprits, les craintes et les fantasmes des villageoises . D’ailleurs ces dernières redoutent de quitter le village et s’aventurer dans la forêt . Alors Sibel décide de prendre son fusil et de traquer la bête sauvage , c’est peut-être … une occasion de se faire accepter ? . Fusil en bandoulière elle explore tous les recoins de la forêt en recherche d’indices , elle construit même une cabane pour s’abriter et guetter , creuse la terre pour en faire peut-être une tombe pour le loup , en attendant elle y enfoui d’autres entrailles animales et quelques ossements trouvés. Désormais son quotidien se conjugue entre ses fugues dans la forêt désertant souvent le travail aux champs et le domicile familial dont elle a la charge du ménage et des repas ,pour sa sœur et son père occupé par son statut de « chef de village » . Mais un jour, en route pour sa cabane dans la forêt, elle y est soudain surprise par une homme surgit des buissons…

Rencontre mouvementée où la peur de l’un et de l’autre, se mue en un corps à corps de survie dont elle aura le dessus en blessant l’inconnu . Mais le soigne , le recueille…et de dernier finira par sortir de son mutisme ! . Superbe scène où le silence de l’inconnu , finit par se rendre aux gesticulations et sifflements de Sibel, tentant de nouer dialogue !. L’inconnu qui se nomme Ali ( Erkan Kolcak Köstendil ) se révèle être un déserteur recherché par la police et considéré comme un terroriste ayant refusé de « servir l’état » et son armée !. La mise en place du récit est très judicieuse qui trouve son prolongement dans la rencontre entre deux individualités rejetées par la société . Et c’est justement ce rejet là – de sa différence pour elle , et politique pour lui – que le film construit sa dynamique . Celle du défi et de l’insubordination faisant face à toutes les intolérances. . Et comme s’il fallait encore , un peu plus marquer la solidarité qui se noue dans le « duo » sur laquelle il repose , viendra s’ajouter le supplément d’une liaison entre les deux tourtereaux dans la cabane , où ils se réfugient . Lorsque celle-ci sera découverte , l’opprobre des villageois rejaillira sur Sibel qui ne manque pas de « provoquer », ces derniers en parcourant la rue centrale , fière et la tête haute face aux quolibets !. Offrant le visage rayonnant de son émancipation sexuelle , elle ouvre le chemin de l’interdit au cœur d’une société patriarcale dont le mariage , subordonné à un choix est une obligation à laquelle il faut se soumettre . Et ici , Sibel d’ailleurs, pour cause de son handicap n’a pas été demandée ( ni donnée ) en mariage , alors que sa sœur plus jeune est déjà l’objet de multiples sollicitations . Bien sûr cela , ne manquera pas de rejaillir sur un père dont l’autorité bafouée risque d’avoir des conséquences sur son statut de chef du village . D’autant que ce dernier , veuf , par amour pour ses filles , a décidé lui aussi ( beau personnage ) contrairement à la tradition , de refuser les sollicitations , à refaire sa vie….

Le couple de cinéaste dont c’est , ici , le troisième long métrage ( Noor / 2014 , et Ningen / 2015 ) se disant « ouverts aux autres et à l’altérité » , et dont leurs deux premiers longs métrages reflètent les expériences nées de rencontres comme c’était le cas avec leurs premiers essais documentaires, et leurs deux longs métrages . Ici l’héritage documentaire y est très présent encore . C’est en effet par découverte de l’histoire de ce village Turc , Kusköy ( dit le village des oiseaux) , dans le livre : « Les langages de l’humanité », qu’ils ont décidé d’ aller à la rencontre des autochtones pour construire leur récit et son authenticité, comme le montre la séquence d’ouverture du film, avec cet extrait d’un reportage documentaire Français des années 1960, montrant « des villageois scannés aux rayons X pour analyser ledit langage . Dès lors, on peut tout dire , absolument tout », expliquent les auteurs . Rencontres avec les habitants , participation et implication de ces derniers , la fiction et le personnage central de Sibel, pouvait prendre forme et vie . De la même manière que le constat qui y est au coeur . Celui de la confrontation d’un langage du passé qui perdure et ce qu’il renvoie du ( au ) présent et des nouvelles formes de communications. Et que complète , via le superbe « duo » féminin : Narin ( Meral Cetinkaya ) et Sibel ) ,avec leurs histoires d’amour emblématiques ajoutant à la dimension du documentaire et du conte , celle politique, de l’intolérance. Le personnage de Narin , la vieille femme aujourd’hui isolée dans sa demeure de la forêt attendant le retour de son amour d’hier qui lui a été enlevé…et sans doute exécuté . Entre Narin et Sibel , il y a cet héritage de leurs aventures amoureuses défiant les interdits , et le combat contre l’ostracisme dont elles sont les victimes . Celui , que jadis Narin a défié et combattu en vivant une aventure semblable avec son amant rebelle . Le film devient alors, un superbe et magnifique hommage au combat féminin d’hier et d’aujourd’hui , contre l’intolérance et pour la dignité . Ne le manquez pas !…
SIBEL de Guillaume Giovanetti et Cagla Zencirci – 2019- Durée : 1h 35.
AVEC : Damla Sönmez, Emin Gürsoy, Erkan Kolcak Köstendil, Elit Iskan, Meral Cetinkaya.
LIEN : Bande -Annonce du Film SIBEL de Guillaume Giovanetti et Cagla Zencirci.
Un très beau combat féministe, effectivement, porté à la perfection par Damna Sömnez et ses grands yeux farouches… je suis complètement d’accord ! (mon avis ici d’ailleurs : https://pamolico.wordpress.com/2019/03/27/liberte-cherie-sibel-cagla-zencirci-et-guillaume-giovanetti/ 😉 )