Et une nouvelle création-coproduction au TNN, une ! Le TNN s’est associé avec Joris Frigerio, metteur en scène de la compagnie « Les hommes de mains » et présente Frontières. La formation du metteur en scène est plutôt dans les arts circassiens, puisqu’il est diplômé en 2009 des métiers des arts du cirque. Mais il ne faudrait pas prendre ce spectacle comme uniquement circassien : Nous avons créé la Cie Les Hommes de Mains avec la volonté de mettre nos compétences acrobatiques au service d’un univers théâtral, poétique, humoristique, onirique… Avec un amour pour l’univers du muet, qui est une partie intégrante de notre ligne artistique lit-on sur le site de la compagnie, et aussi, phrase qui donne bien des clés pour la compréhension de leur travail : La Compagnie garde toujours une certaine forme d’artisanat, un regard périphérique, curieux de la scénographie, de la lumière, de l’écriture, du mouvement sous les formes les plus diverses, et de tous les modes d’expressions qui nous restent à découvrir…
Alors, de quelles frontières s’agit-il ? Lorsque je suis sorti du spectacle, le terme frontière s’appliquait plutôt à une notion formelle, les frontières entre les différentes instances de ce spectacle, l’univers de la parole, l’univers du geste, l’univers du son.
Pour être un peu plus clair, écoutons comment Joris Fricerio nous raconterait sa pièce : C’est une pièce à la fois tragique et drôle. Il y a une avocate ambitieuse en quête de l’amour, un trader obnubilé par sa réussite, un concierge dépressif et profondément altruiste, et deux colocataires fauchés effarouchés par l’avenir. Et puis il y a un ange, le comédien, qui s’invite dans leur vie. En vérité, il s’agit d’un ange de l’administration qui descend sur terre à contre cœur. On lui confie une mission, celle de faire en sorte que dans cet immeuble où rien ne va, cela tourne rond. Propos recueillis par Caroline Audibert.
Tous ces humains –trop humains ?- expriment leurs non-dialogues, leurs solitudes, par le corps. C’est lui qui parle, enfermés, enserrés qu’ils sont dans ce que l’on pourrait voir comme d’immenses alvéoles. La comparaison avec des abeilles n’est pas innocente, mais des abeilles ayant perdu le sens de la collectivité : ils vivent ensemble mais séparés. Dans ces lieux ils ne vivent pas, ils survivent, stéréotypés, presque robotisés.
La scénographie, la direction d’acteur, m’évoquent un univers digne du roman 1984.Mais comme là il s’agit d’images, l’univers de celles-ci serait plus proche de Brazil ! que du film éponyme. Et le verbe du corps exprime bien plus fort celui de la parole le schisme qu’il peut y avoir entre le comportement d’un individu dans l’intimité et le comportement social qu’il peut avoir face aux autres, la disjonction, la disjonction, comme si la société était devenue schizophrène.
Et puis donc un ange, petit fonctionnaire besogneux transformé à l’insu de son plein gré en ange sauveur. Il est déchu, cet ange, il est bizarre. C’est l’ange du bizarre. Il est joué par le seul comédien du spectacle, les autres sont des circassiens. Il s’agit de Guillaume Geoffroy, le Dracula de Dracula Asylum. Passer du statut de prince des ténèbres à celui de gratte-papier des cieux, diable ! Ici in est énervant, drôle, émouvant, facétieux, bref, il fait son possible pour sauver le monde, mais le monde veut-il être sauvé ?
Il faut donc revisiter la notion de frontières telle que je l’ai eu au sortir immédiat de ce spectacle. Frontières, ce sont aussi, et peut-être surtout, celles que nous établissons à l’entour de cotre enveloppe corporelle, notre propre territoire. Mais aussi frontières qu’imposent le désir de domination, la peur, la frustration, frontières qu’il nous faut exploser pour retrouver appartenance, communion, amour.
Il y a ce que j’appellerai une « part textuelle », paroles que dit l’ange dans son désir de communication, pensées entendues de certains personnages, pensées « sans filtre ». Ces textes éclairent notre cheminement dans ce spectacle. Le but, ici, est de mettre en lumière l’opposition qu’il peut y avoir entre le comportement d’un individu dans l’intimité et le comportement social qu’il peut avoir face aux autres. Cette phrase de Régis Frigério est, à mon sens, très éclairante sur la philosophie de cette oeuvre
Frontières, mais aussi d’autres spectacles du TNN, je pense à Racine(s), font émerger de nouvelles formes scéniques et aident à la compréhension de nouvelles formes dans l’art dramatique. Il peut y avoir Alexandre Dumas fils. Il peut y avoir Shakespeare. Mais il doit y avoir jean Jacques Minazio et Joris Frigério.
Jacques barbarin
Frontières Mise en scène Joris Frigiero
avec Guillaume Geoffroy, Lucie Lastella, Matthieu Renevret, Paulo Perelsztein, Rémy Ingrassia, Joris Frigerio conseil artistique & direction d’acteurs Jean Jacques Minazio composition musicale Samuel Sérandour compagnonnage chorégraphique Eric Oberdorff aide à l’écriture et à la dramaturgie Kevin Gallet lumière Léo Wassmer, Tom Couillerot costumes Elisa Octo scénographie Tom Couillerot, Léo Wassmer, Joris Frigerio construction Jean-Philippe Caillard conception et construction effets spéciaux ateliers du TNN stagiaire Kevin Gallet production Cie Les Hommes de Mains coproduction Théâtre National de Nice – CDN Nice Côte d’Azur, Pôle Arts de la Scène – Friche la Belle de Mai – Marseille, Archaos – Pôle National Cirque Méditerranée
Photos Gaëlle Simon