Cinéma / NOS VIES FORMIDABLES de Fabienne Godet.

Immersion au cœur d’une communauté de soins  thérapeutiques, d’Alcooliques et Narcotiques Anonymes, en détresse et en quête de reconstruction. Une docu-fiction sensible et passionnante qui décortique les mécanismes pouvant ouvrir à la résilience . Contre la dépendance , la honte et la souffrance , la découverte des vertus du soutien solidaire. Un film formidable …

Le quatrième long métrage de la cinéaste, s’inscrit dans un projet original destiné à servir la « vérité » du propos , dit-elle . Cette fameuse quête de « réalisme » dont toute fiction s’habille afin de parvenir à la transcrire. Au cœur de son travail la recherche d’une approche réunissant le réalisme de la recherche documentaire complété par une écriture ouvrant à la dimension de « troupe théâtrale » et à la liberté d’improvisation . Un travail de plus de deux ans lui a été nécessaire pour créer l’osmose… et le résultat est époustouflant !. En effet, ce qui nous avait déjà frappé dans la mise en perspective narrative ébauchée des ses précédents films, se prolonge ici, en un véritable processus créatif ouvrant des possibilités nouvelles au genre « docu-fiction » dont parfois l’alibi choisi par certains cachait des manques de réalisme, parfois révélateurs !. Rien de tel ici chez Fabienne Godet dont ses précédent films : Sauf le respect que je vous dois (2005) , Ne me libérez pas je m’en charge ( 2009) / , et Une place sur la terre ( 2013) révélaient déjà une vraie approche réaliste des individus et de leurs cadres de vie , comme de leurs fêlures. On la retrouve ici donc , au cœur de cette                      « immersion » dans la communauté thérapeutique dans laquelle Margot ( Julie Moulier, formidable, et , également co-scénariste du film ), va faire la connaissance des méthodes et des individus en perdition , comme elle, venus y chercher une quête de dignité menant à une possible sortie de secours,  à leur dépendance . Au cœur de cette communauté dont elle va découvrir le fonctionnement au quotidien, on la sent d’emblée très en retrait et dubitative. On lui fait savoir d’ailleurs que le choix de s’y intégrer comme celui d’en partir, viendra de sa propre décision !…

Margot ( Julie Moulier ) et Bruno Lochet – Crédit Photo: Mémento Films-

Voilà qui ne lui déplaît pas, et attise même sa curiosité de se laisser porter aux « rituels » quotidiens du fonctionnement où la parole libre est au cœur des réunions de groupe où chacun est conviés à écouter et , s’il le désire , se confier. De la même manière que le règlement intérieur qui -sevrage oblige- implique le respect et l’acceptation des règles auxquelles l’adhésion a été consentie, comme engagement nécessaire à la thérapie et aux soins qu’elle propose. Le cadre fixé, les jours qui vont s’égrener sur une longue période au cœur de laquelle Fabienne Godet décrit le quotidien du groupe de 25 individualités venues d’horizons et milieux sociaux très différents pour se soigner , vont se « confier » et s’ouvrir aux autres et à leur écoute . C’est dans cet exercice que le récit servi par les choix ( cités ci-dessus ) de la cinéaste , va prendre toute son ampleur , et notamment explorer au delà des passages obligés  non occultés ( les crises de manque… la tentation de la récidive ), y ajoute  les éléments essentiels réunis  au long de son travail de recherche , et de témoignes du vécu: « J’ai découvert là un lieu unique où les barrières sociales et culturelles tombent d’elles-mêmes, un endroit où les gens s’écoutent et partagent sans jamais se juger. La prise de parole dans ces réunions respecte un protocole très strict, chacun disposant du même temps pour partager son vécu, ses difficultés et ses victoires aussi… » , dit-elle. Des victoires et des échecs , il y en aura. La mise en abîme de ces éléments recueillis et la restitution brute , fait la force de son film au cœur duquel la dramaturgie ( réalisme/ fiction) s’inscrit dans toute son ampleur. Alors, au fil des échanges collectifs, se fait jour l’indispensable besoin d’écoute et de compréhension. De la même manière que le sentiment ressenti de honte de soi, ou celui de refus de pardonner à ceux qui vous ont jugé. Ce «  pardon » pourtant parfois indispensable envers les proches que l’on a fait souffrir par sa dépendance engendrant violence . Mais aussi, et c’est le plus dur, les violences que l’on a subies qui peuvent être à l’origine du refuge et la raison  de sa propre « descente aux enfers » !…

Une séance de Thérapie collective – Crédit Photo: Mémento Films –

Au cœur de l’écoute et de la solidarité communautaire , ce sont alors ces « liens » qui se tissent et qui finissent par rompre les barrières de ce qui semblait être devenu impossible et avait fini par vous isoler dans votre souffrance. Magnifiques scènes de ces échanges et lâchers-prises que l’on n’espérait plus avoir, dus  à l’écoute de l’autre . Peu à peu chacun finit par se libérer du poids qui l’enfermait dans la dépendance, et qui le ( la ) faisait rechuter inexorablement . L’écoute et la solidarité du groupe  qui finit par instiller, le retour à la vie et à la résilience. On se confie , on redécouvre l’autre et ses peines , on l’accepte et on s’accepte. Magnifiques séquences où la mise en scène nous fait découvrir les individualités de chacun  ( chacune) , guidés et recadrés si besoin par le thérapeute ( Régis Ribes) , et les rivalités et tensions qui s’atténuent. Individualités qui se révèlent au fil des jours « sans consommation » et synonymes  de victoire sur soi pour certains , résistant ou se détachant  de la dépendance. La vie du centre finit -aussi – par retrouver des aspects  plus ouverts  à l’extérieur  que complète parfois la visite des familles. A cette occasion ,  celle de la famille de Margot  fait l’objet d’une confrontation étonnante sur le «  déni », complétée par une mise en perspective « théâtralisée » de toute beauté , qui n’est pas sans rappeler  Le Charme Discret de la Bourgoisie de Luis  Bunnel . Une vie quotidienne au cœur du lieu , complétée par les jeux et exercices dans le parc extérieur qui parfois aussi, devient un espace d’isolement ou de confidences amicales , comme l’illustre la scène entre Margot et Jalil ( Cédric Maruani ) qui finissent par se livrer un peu sur leurs souffrances respectives .  Certains ne le pouvant pas  , repartent  à la vie extérieure  , où , parfois le drame ou l’irrémédiable , s’invitent. Car  c’est  d’ailleurs sur certaines douleurs, trop lourdes à porter  de ce « secret qui les empoisonne« , que la résilience  attendue tardera  parfois à venir , comme ce sera le cas pour certains violences subies par nos héros  … dont on vous laissera le suspense de la découverte, du secret qui se libère !. Elles sont révélatrices de tous les   possibles qui peuvent entraîner , vers  la destruction de soi  par le refuge dans  l’Alcool et la drogue , afin d’oublier . Disant  par ricochet , l’importance de la thérapie qui  peut permettre,  d’y  remédier …

Fabienne Godet, nous offre un film important sur un sujet qui ne l’est pas moins , au cœur duquel sa mis en scène et en immersion au cœur d’un lieu où , rarement le cinéma a entr’ouvert les portes, avec autant de réalisme et de justesse , permettant d’en saisir le travail et les résultats . Du très, très beau travail . Un film à voir sans hésiter …

( Etienne Ballérini)

NOS VIES FORMIDABLES -2019- Durée : 1h57-

AVEC : Julie Moulier,Zoé Heran, Bruno Lochet, Françoie Pinkwacher, Camille Rutherford,Régis Ribes, Jade Labeste, Véronique Dossetto, Johan Libéreau, Louis Arène, Jacques De Candé, Camille Cayol, Cédric Maruani , sandor Funtek, Isabelle Florido….

LIEN : Bande-Annonce du film, Nos Vies Formidables de Fabienne Godet .

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