L’église, les prêtres et la pédophilie. L’affaire du Père Preynat accusé d’abus sexuels et l’absence de sanctions de la part de la hiérarchie au cœur des interrogations du film . La souffrance et, enfin, la parole libérée qui demande justice. Un film dossier, juste et nécessaire, à ne pas manquer. Ours d’Argent au Festival de Berlin 2019…

Cette parole sortie du silence et de l’effroi de ceux qui ont subi les abus, la non dénonciation par la hiérarchie ( le Cardinal Barbarin), le film s’appuyant sur les faits avérés évoque leur long combat . Le film , a fait l’objet d’une demande d’interdiction pour « atteinte à la présomption d’innocence » par les avocats de l’accusé demandant la suspension de sa sortie , la Justice a tranché en faveur du cinéaste et de la liberté de création. On s’en réjouit …car ce n’est pas la première fois que l’église catholique fait pression et veut imposer sa loi , lorsqu’un film conteste ses positions ( 1, voir encadré ci-dessous ) . A cet égard le titre du film : Grâce à Dieu, ne fait que reprendre la phrase « les faits sont prescrits, grâce à Dieu ! » qui échappa des lèvres du Cardinal Barbarin ( François Marthouret) interpellé lors d’une conférence de presse à Lourdes. Insupportable !… bien sûr, mais tellement révélateur ! . Et c’est cette matière là qui fait le « cœur » du récit et des interrogation que le film soulève sur la « chape de plomb» qui a finit par détruire des vies, et les rendre insupportables. D’autant qu’elle s’accompagne d’un autre déni, celui des familles et -ou- des proches , qui n’ont rien voulu voir …ou croire! . Plongeant dans la solitude et l’effroi , les enfants abusés. Mais heureusement la société et les mentalités évoluent, et le temps finit- ici et là -, par faire son œuvre. Le cinéma de François Ozon est souvent construit sur ces « zones d’ombre » révélatrices des comportements sociétaux et humains, s’appuyant sur des valeurs morales , qui se font révélatrices de rapports de forces, justifiant abus et autres dérapages qu’il fustige dès ses première œuvres , adaptant par exemple le superbe Gouttes d’eau sur pierres Brûlantes d’après Rainer Werner Fassbinder . Ici dans Grâce à Dieu , c’est le piège prédateur qui s’abat sur les jeunes scouts dans les années 1980, via les agressions sexuelles que leur fait subir le père Bernard Preynat ( Bernard Verley ). Longtemps après , la douleur de celles-ci restant vivace , à l’image d’Alexandre ( Melvil Poupaud ) découvrant que le prêtre qui a jadis abusé de lui …officie toujours auprès des enfants ! , va enfin « oser » en parler à la hiérarchie religieuse, et donc au Cardinal Barbarin , qui restera de glace !…

Par cet acte de refus atroce d’entendre la douleur, c’est toute la fragilité des êtres qui l’ont subie dans leur chair, que François Ozon veut exprimer afin de sensibiliser le grand public à l’insupportable qu’elle génère . Mais aussi , le scandale de l’oubli et de l’impunité …que l’institution religieuse banalise !. Celui dont témoigne les personnages principaux qui vont se battre pour rompre le silence assourdissant en s’investissant dans cette association « la parole libérée » qui va devenir , au delà de la possibilité de « médiatiser » leur combat , un instrument de soutien moral par la double opportunité qu’elle ouvre de témoignent afin de se sortir de ce refuge solitaire d’une douleur vécue, insupportable. Et porter enfin, sur la place publique, ce que l’église refuse d’entendre et condamner ces actes criminels ignobles . Et dont la prétendue « prescription » de ceux-ci évoquée , ne l’est d’ailleurs pas pour toutes les victimes qui les ont subis !. La nécessaire reconnaissance des souffrances et la sanction du délit ressentie et demandée ,comme apaisement nécessaire à la reconstruction de soi, c’est ce parcours que nous invite à suivre le cinéaste. La construction du récit prend la forme habile , d’un suspense psychologique dans les démêlés du vécu et ressenti de chacun des personnages, débouchant sur le combat collectif à mener est la belle et magnifique idée du film. Elle permet , à la fois de mesurer la diversité et les raisons de chacun pour en faire l’élément dramatique majeur du récit, où la nécessité de l’écoute , puis de la libération de la parole s’impose interpellant les raison du silence de l’église … et des familles. Avec Alexandre en père de famille modèle et resté catholique convaincu , rompant le silence et croisade via courriers explicites sur les actes subis envoyé à la hiérarchie ( à Barbarin et au Pape) qui sera à l’origine de la révélation de l’affaire . Puis le combatif et Athée, François Debord ( Denis Ménochet ) qui va entrer en jeu concrétisant avec son ami Gilles Perret ( Eric Caravaca ) l’idée du site internet qui va- en publiant d’autres témoignages- permettre de donner la dimension publique des mots et de la parole, pour dire au grand jour, les actes subis …

Ceux auxquels le magnifique personnage d’Emmanuel ( Swann Arlaud ) dévasté et traumatisé dans sa chair, apporte la dimension de la sidération auto-destructrice…jusqu’à ce que la main tendue salvatrice du collectif, le récupère dans son écrin. François Ozon construit un superbe « quatuor » de dévastés dont les vécus et les positionnements rebondissent magnifiquement en interrogations sur le silence d’une institution dont le devoir de sauver les « âmes blessées » est pourtant l’une des priorités ! . Le récit , porté par ce constat , il le prolonge par l’autre silence, celui d ‘une société Bourgeoise empreinte d’éducation religieuse qui en prolonge les effets, comme le souligne cette réplique cinglante de la mère d’Emmanuel reprochant à son fils « de remuer la merde ! » , de la même manière que le frère de François sera furieux ( la superbe scène du réveillon qui tourne en règlement de comptes ) de voir ce dernier porter au grand jour les faits, sur ce qui est sujet « tabou » ! . la question est bien là . Et les magnifiques scènes y faisant référence sont traitées en flash-back suggestifs d’autant plus forts qu’ils laissent l’imaginaire du spectateur, les remplir de sa propre perception, de ce que cet acte ( mais le peut-on vraiment?), peut avoir comme conséquence destructrice . Seule , et c’est l’objet du film, la parole de ceux qui l’ont subi, peut en apporter témoignage. Le silence est resté trop longtemps assourdissant de ceux qui « n’ont rien vu » ou « rien voulu voir » , et (ou ) refusé d’entendre et de comprendre. A cette parole portée au grand jour ( belles séquences de débats ..) François Ozon lui offre un superbe prolongement par de beaux personnages féminins qui soutiennent ( on vous laisse découvrir les raisons …) leurs époux , Alexandre et François . Tandis qu’Emmanuel déplorera « l’effet toxique » du comportement de sa compagne, contrebalancé par celui de sa mère ( Josiane Balsko) qui regrettera de « n’avoir rien vu venir ! » et pour se racheter s’investira dans l’association et l’aidera à faire face . D’autres enfermées dans le silence ou le déni , ou encore à l’image de celui de Régine Maire ( Martine Ehrel ) chargée de recueillir les témoignages pour l’église , à la fois bienveillante et distante …

La parole libérée qui bouscule et oblige , mais qui réveille aussi les interrogations « papa , crois-tu encore en Dieu? »), demande l’un de ses fils à Alexandre. La parole qui oblige à assumer ses responsabilités, écouter et prendre les mesures de protection nécessaires . C’est ce devoir là qui n’a pas été accompli par l’institution . C’est à cette parole là que François Ozon a voulu donner écho et prolongement au silence qui la paralyse , et continue a prolonger les souffrances, de tant de jeunes ,abusés hier et aujourd’hui . Et il le fait magnifiquement porté par une mise en scène forte et une interprétation collective magistrale , avec ce film citoyen bouleversant. En référence assumée dit-il au film Spotlight de Tom McCarty ( 2016 ) dont il a voulu prolonger le constat qui révélait les nombreux pays du monde dans lesquels le silence sur les plaintes , les abus sexuels sur des enfants , sont restés sans suite . Et les porter à son tour au grand jour , pour que les crimes soient punis, que justice soit faite . On attend désormais des actes …
(Etienne Ballérini ) .
(1)- Souvenez-vous de La Religieuse de jacques Rivette ( 1967 ) dont l’interdiction suscita un « tollé » à l’époque , mobilisant le tout cinéma Français . « Institution Religieuse et cinéma » n’ont jamais vraiment fait bon ménage. Dès 1900 « l’influence pernicieuse du cinéma », est dénoncée par l’église . En 1927 , le Jeanne d’Arc de Carl Dreyer est interdit par l’église .En 1930, le fameux code Hays fut rédigé par le Catholique M. Quinley et le père Jésuite D.Lord, et le « code de Moralité », s’installe et désormais , on veille… et de nombreux pays mettent en place un « cotation de l’office Catholique » avec avertissement moral pour les films. Les grenouilles de bénitier , qui souvent ne voient même pas les films déconseillés par l’église – sortent pourtant leur panoplie, lorsque d’aventure on critique la position de celle-ci (Amen de Costa-Gavras ) fustigeant la « timidité » de l’église face à la Shoah !. Et vont même jusqu’à l’intimidation et la violence aveugle ( l’incendie par un groupe de catholiques traditionalistes d’un cinéma Parisien Espace Saint Michel , fit quatorze bléssés ) pour empêcher les projections du film La dernière tentation du Christ (1988 ) de Martin Scorsese. Ou encore, le pape prenant position contre le film de Jean-Luc Godard Je vous salue Marie ( 1985 ) osant faire le « parallèle entre le mystère de la conception d’un enfant à celui de la conception artistique d’un tableau » !. Mais alors , que faut-il faire des tableaux représentant la naissance du Christ qui ornent tant d’églises, les interdire aux yeux des fidèles ?.. De la même manière que « sexe et religion » évoqués par les films deviennent leur cible « tabou » et favorite !. Pourtant beaucoup vous dirons ( peut-être l’avez-vous constaté ou en avez-vous fait l’expérience ? ) que -enfant- quand on va à confesse, on vous pose pas mal de questions à ce sujet : « avez vous commis des actes impurs ? » … bizarre , non !. Mais bref , aujourd’hui grâce à Dieu…et à la justice qui a débouté la demande du père Preynat, c’est le cinéma qui a gagné la partie ! . Viva le Cinéma !…
GRACE A DIEU de François Ozon – 2019- Durée : 2 h17
AVEC : Melvil Poupaud, Swann Arlaud, Denis Ménochet, Bernard Verley, Eric Carvaca, François Marthouret, Josiane Balasko, Hélène Vincent, Aurélia Petit, Frédéric Pierrot…
LIEN : Bande-Annonce du Film : Grâce à Dieu de François Ozon .
Les métapmorphoses physiques et mentales de Josiane Balasko sont remarquables et géniales. On ne le dit pas assez mais elle est une des plus grandes actrices françaises et la plus discrète!
Je viens de lire ce livre:
Dans le chapitre 11 et 15, il y a une intéressante narration des faits qui sont mentionnés dans cet article; dans le chap 11 c’est une confession humoristique chez un évêque qui montre l’obsession du sexe chez les religieux et dans le chap 15, c’est une petite fille qui s’est sauvée d’un pédophile grâce à sa mère mais les choses sont restées secrètes. Sa mère lui a dit de se taire parce que ce sera sa faute, pas celle du prof de gym.