Le TNN présente le 25 et 26 janvier 2019 un événement à ne pas rater : la dernière création – et ce mot prend ici tous son sens- de Jean Jacques Minazio, Racine(s). Et quand je dis : « tout son sens », c’est que ce Racine(s)-là à un rapport avec le surgissement, une mise à jour, une naissance.
Mais avant toutes choses, j’aimerais revenir sur une interview de Jean Jacques en 2014, dans ces colonnes. Déjà le Minazio de Racine(s) perçait sous ces propos :
Qui est-ce qui te motive dans le théâtre, te pousse ?
C’est essentiellement le travail en troupe… Le théâtre, une fois la création bouclée, se confronte au public. Mais avant même que cela soit un échange avec le public, c’est une confrontation – tout ce qu’il y a de plus amicale, bien sûr- avec une équipe, avec différents corps de métiers… Bien sûr pour chacun d’entre nous il y a une part qui se fait seul, mais après ce qui est intéressante c’est l’échange. Après, quant aux formes de théâtre, quant au répertoire que je peux aborder, je suis très instinctif : je n’ai pas de règles, de méthode… Je peux tout aussi bien déclencher une idée, une envie, un projet sur un auteur, sur une personne, sur un personnage, sur un lieu, car j’aime beaucoup travailler en fonction des lieux.
Cette phrase d’Olivier Cena (Télérama) Jean Jacques la ferait volontiers sienne :
L’art a une extraordinaire puissance : nous consoler et nous rendre intensément vivants, désirants.
Un simple dessin, un livre, un film, des corps dansant sur une scène, chantant ou jouant, peuvent nous transmettre l’espoir, la confiance et ce sentiment si fort d’être au monde. »
Qu’est donc que ce spectacle ? Si l’on devait utiliser des mots on dirait : Être humain sur la Terre, qu’est-ce que cela veut dire ? Pieds nus, le corps suspendu, une jeune femme vagabonde dans les airs autour de cette question fondatrice. À presque 10 mètres du sol, elle tourne autour d’une corde lisse qu’elle serre, perd et retrouve.
Il faudrait pouvoir partir/ et malgré ça être comme un arbre / comme si la racine restait dans le sol/comme si le paysage passait et que nous demeurions fermes [Paysage Passager, poème de Hilde Domin, traduit par Stéphane Chaumet] Cet extrait de ce poème est à mon sens, constitutif, à la genèse de ce projet.
Ce projet est né de la rencontre entre la jeune artiste de cirque Inbal Ben Haim, le musicien compositeur et arrangeur David Amar et le metteur en scène Jean Jacques Minazio. Ces derniers travaillent régulièrement ensemble depuis une dizaine d’années.
Tout tourne autour de l’idée du rapport à la terre, la terre natale, la terre d’adoption, le voyage, l’exil. C’est très autobiographique. Inbal Ben Haim est née à Jérusalem. Cette jeune acrobate Israélienne est venue en France en 2011 pour poursuivre son chemin artistique. Cette thématique de la terre, elle l’a amenée avec elle. On a imaginé un personnage de passage, qui voyage et se questionne sur le sens de sa vie par rapport aux racines, à la migration. Elle est en quête d’identité.
La corde symbolise son lien à la terre, qui est aussi la Terre nourricière, comme un cordon ombilical. Son rapport à l’agrès, son toucher de corde est très singulier, et c’est ce qui m’a plu chez cette artiste. L’agrès n’est pas simplement un morceau de corde, c’est pour elle un véritable partenaire. Elle dépasse le cadre de l’exploit ou du risque pour aller vers autre chose qui va droit au cœur. (Jean Jacques Minazio)
Il faut également savoir qu’il y a deux versions de ce spectacle, une version « in situ » – méthode artistique ou œuvre qui prend en compte le lieu où elle est installée- et une « en salle » à l’instar de cette version qui nous est proposée au TNN.L’une n’est donc pas l’adaptation de l’autre, chacune est une œuvre sui generis.
Ainsi, en juillet 2016, les trois artistes ont été accueillis et soutenus par le 11ème Festival de cirque actuel « Scène de Cirque » à Puget-Théniers. Ce premier travail commun en résidence a donné naissance à un « essai » présenté au public dans le cadre de la programmation du festival.
Pour Inbal Ben Haim, le point de départ est la terre. SA terre C’est sa terre natale qu’elle porte en elle, dans son bagage, qui s’ouvre, prend racine(s) à nouveau. Pour elle, la terre est une matière sonore, et parle de la voix de la terre. Comme Félix Leclerc elle pourrait dire : Moi, mes souliers ont beaucoup voyagé/Ils m’ont porté de l’école à la guerre/J’ai traversé sur mes souliers ferrés/ Le monde et sa misère. Dans ce spectacle, le fond et la forme s’interconnectent.
Où s’arrête l’écriture, où commence la mise en scène ? Pour jan Jacques Minazio, Imbal écrit avec la corde, et le metteur en scène opère en fonction de ce que l’artiste propose.

Quant à la musique que compose David Amar, elle donne toute son importance à la voix, mais ici conçue comme un flux sonore.
La circassienne Inbal Ben Haïm travaille à la corde lisse, agrès de préhension et de proximité avec la logique terrestre. L’instrument de travail d’Inbal
lui permet de s’exprimer en hauteur mas la rattache à la terre puisque le pied de la corde repose sur le sol. Pour savoir où l’on va, il faut connaître d’où l’on vient. Dans l’univers du spectacle vivant, le corps du circassien, son occupation de l’espace le rapport avec sa corde, son agrès, crée, met à jour, impulse un nouveau langage. Il me semble donc que, plus que de mise en scène, on devrait parler ici de mise en ondes, ondes visuelles, ondes sonores.
Quant au titre, racine(s), j’imagine une proposition d’explication : chacun d’entre nous possède une racine, celle de son lieu de naissance, et des racines : celle de sa culture, celle de son éducation, celle de ses émotions… Mais peut-être me trompé-je.
Ce spectacle, production de l’Attraction Compagnie, est en coproduction avec le TNN qui montre, si cela était encore à prouver, son attachement avec les compagnies d’ici. Je note parmi les coproducteurs un nom qui est pour moi une référence, la Compagnie Archaos.
Je crois que ce spectacle va agir sur nous comme une véritable épiphanie. Je le pressens aussi nécessaire que le gaz et l’électricité.
racine(s) pièce de cirque poétique entre terre et ciel, dramaturgie et mise en scène Jean Jacques Minazio
Vendredi 25 février 20h et samedi février 26 15h TNN- Salle Pierre Brasseur
Scolaire : Jeudi 24 février 14h
Avec David Amar [chant & musique], Inbal Ben Haim [corde lisse] scénographie Domitille Martin costumes Sofia Bendhérif lumière Alexandre Toscani Régie générale Raphaël Malny
Jacques Barbarin
Crédit photo Inball Ben Haïm © Robin Minazio
Crédit photo David Hamar Julien Sanine