Un éditeur et un écrivain , leur amitié et leurs vies de couples entrelacées . Le nouveau film du cinéaste superbement écrit et dialogués , au delà des rebondissements sur les relations personnelles , installe une belle réflexion sur le monde de l’ édition et de l’art, confronté à internet et aux nouvelles technologies . Passionnant .
Ils ont la quarantaine et sont amis depuis longtemps. Alain( Guillaume Canet ) dirige une importante maison d’édition , Léonard ( Vincent Macaigne ) est un écrivain attaché à une certaine originalité flirtant avec la marginalité provocatrice , dont les livres sont édités par Alain . La compagne d’Alain , Selena ( Juliette Binoche) est une actrice à succès d’une série TV , tandis que Valérie ( Nora Amzawi ) la compagne de Léonard travaille comme attachée parlementaire d’un homme politique en vue . Le monde de l’art et de sa diffusion , et le monde politique dans lequel baigne les personnages et leurs amis , sont au cœur du récit, qui va les faire se confronter dans leurs réunions et discussions amicales et (ou) professionnelles. Rapidement on va s’apercevoir que le sujet de la « mutation » de la diffusion de l’art via les nouveaux médias , va les diviser et les conduit à s’affronter en deux camps antinomiques . Les partisans de la révolution numérique et ceux refusant de voir l’art devenir la proie des nouveaux intérêts économiques liés à celle-ci , et qui en détournent la finalité originelle . Le combat entre livre -papier et le e-book , pour faire bref , est au cœur du récit abordant le sujet de la « toile » et de ses dérives . La révolution de l’édition et de sa diffusion moderne en marche , confronté à la demande et aux nécessités économiques qu’elle entraîne . Le cinéma d’Olivier Assayas s’est souvent attaché dans ses récits ( inspirés pour certain d’auteurs littéraires ) où le romanesque et la nostalgie se font miroir du rapport intime , entre, Art et vie . Comme c’était le cas dans Sils Maria ( 2014) , où il y avait cette adéquation. D’ailleurs dans une scène du film, celle -ci se retrouve résumée par la référence faite au film Les communiants (1963) d’Ingmar Bergman, et son personnage principal idéaliste « attaché à ses engagements », et aux valeurs morales . L’idéalisme dont le sens fort et son revers de la médaille, se retrouve ici au cœur du débat …

L’opposition qui va se décliner dès lors , entre Alain et Léonard, y trouve toute sa signification dans la décision prise par Alain liée à l’opportunité économique ( mais pas que..) le conduisant à refuser à Léonard, l’édition de son nouveau manuscrit. « Je ne te reconnais pas ! » rétorque Leonard blessé , qui voit son ami changer de camp !. . C’est un peu aussi ce que constate de son côté Valérie, concernant l’aspect Politique « fluctuant » de l’homme politique pour lequel elle travaille, soucieux de ménager son électorat!. . Au cœur du développement de l’action , l’humour et l’ironie qui s’inscrivent t dans le « joutes » verbales des réunions où le débat sur internet et l’art s’envenime et renvoie un superbe écho . Celui qui finit par laisser entrevoir , au delà des affrontements qu’il suscite , la réalité d’une continuité que reflète l’émergence de certains figures , en forme de « clones » d’un même pouvoir « économique et politique dominateur » qui se perpétue sous des formes modernes de l’économie « globalisante » de la toile addictive et de ses intérêts financiers dont témoigne le stratagème de l’éditeur Marc Antoine (Pascal Gréggory ) qui va se servir de Paul afin d’écarter , un rival . En parallèle des joutes verbales des deux camps qui s’affrontent pris dans le tourbillon , le cinéaste y développe les échappatoires dans lesquelles chacun tente de trouver refuge et où , le romanesque cher à ce dernier, trouve son prolongement sous la forme habile du « thriller » , enrobé à la sauce « vaudeville » . La numérisation du monde et son constat, laissant place alors, à la ronde des mensonges et autres trahisons ou adultères tout aussi stratégiques dans laquelle chacun va se complaire, en une fausse intimité… que la rupture, finira forcément par sceller. La belle séquence finale dans la villa au bord de mer , y apportant la déclinaison habile de la réconciliation hypocrite , sous le soleil et la mer d’Azur . Le nuage de l’amour conjugal malmené des couples s’éclipse , tandis que les écrits des livres d’hier et ceux du web d’aujourd’hui , resteront à l’image de ceux de l’ex-femme de Léonard qui se déchaînera sur Twitter , furieuse d’avoir vu sa vie privée utilisée dans le roman de ce dernier … qui se verra d’ailleurs interpellé , lors d’une séance de dédicaces par certaines personnes du public sur ce même thème de l’utilisation de la vie privée et de son déballage public …

Tandis que le beau personnage de Laure ( Christa Theret ) chargée de la promotion du Marketing Web finira , elle , par prendre ses distances avec la toile . Olivier Assayas , passionné par le sujet , explique « l’adaptation au numérique transforme nos vies, ou plutôt à la manière dont le monde se transforme sans cesse. A d’autres époques c’était l’industrialisation, les machines à vapeur, le téléphone, l’avion, etc. Aujourd’hui le vecteur du changement c’est le numérique, et ce changement nous interroge sur des convictions ancrées dans nos habitudes les plus chères, nos valeurs les plus essentielles ; chacun essaie de se situer par rapport à cela, est bousculé par cela ». Et il l’illustre, via les multiples écarts et ruptures de ses personnages , auxquels il apporte – avec le recul de l’humour – une belle et riche approche , servie par une superbe pléiade de comédiens , en grande forme .
(Etienne Ballérini)
DOUBLES VIES d’Olivier Assayas – 2019- Durée : 1h43 .
AVEC : Juliette Binoche, Guillaume Canet, Vincnet Macaigne , Nora Hamzawi, Christa Theret, Opascal Greggory, Lionel Dray, Sigrid Bouaziz , Laurent Poitrenaud …
LIEN : Bande -Annonce du film, Doubles Vies d’Olivier Assayas