Pour répondre à la fermeture pour « résultats d’insertion insuffisants » d’un centre d’accueil de femmes SDF , les assistantes sociales organisent une révolte en forme de réponse solidaire . Au réalisme « documenté » et à sa gravité , l’hymne à la vie et à la dignité lui renvoie un bel écho par la tonalité de la comédie. Superbe !…

Le cinéaste dont c’est le troisième long métrage , après- Discount ( 2015) et Carole Matthieu ( 2016) est très attaché à une forme de « réalisme social » dont il revendique l’engagement attaché qu’il est , aux valeurs citoyennes. Son cinéma s’inscrit dans l’héritage de la Comédie italienne inscrite dans un contexte social, ou celui d’un humanisme à la Frank Capra, ou encore celui utilisé par ken Loach dans Looking for Eric et La part des Anges. Un cinéma qui refuse l’apitoiement, et en appelle à la prise de conscience . A l’image de ces employés d’un magasin Discount refusant de continuer à faire le jeu de la grande distribution, et qui décident de créer un commerce équitable …en récupérant les produits jetés par la grande distribution. Ou de cette femme médecin du travail , Carole Matthieu, qui va être confrontée aux suicides en entreprise, et en dénonçant les abus qui y mènent. Les invisibles s’inscrit dans la continuité de son approche de la société, dont le cinéaste met en lumière les incohérences et les manques . Ici , c’est un centre d’accueil – l’envol- auquel la municipalité décide de couper le « ailes » de sa subvention faute de résultats « seulement 4% des femmes réussissent à se réinsérer !» , dit un responsable focalisé sur les « chiffres des statistiques » . Et l’humain dans tout ça ?…alors , en attendant que le lieu soit récupéré et que soit procédé à l’expulsion des femmes qui y sont accueillies , les assistantes sociales qui le dirigent , Manu ( Corinne Massiero) et Audery ( Audrey Lamy ) et celles bénévoles qui les aident , vont prendre le flambeau de la révolte destiné à permettre à ces femmes que l’on stigmatise, de reconquérir, une dignité…

L’occupation du centre durant les trois mois précédant l’expulsion , devient une sorte de lieu d’expérimentation ouvrant à tous les possibles , et surtout de mettre en place des débats et ( ou ) autres ateliers, permettant à ces femmes de se confier , et leur ouvrir des opportunités d’épanouissement tenant compte de leur savoir-faire . On se réunit et échange, , on occupe le local jour et nuit . Les langues vont se délier, on se confie enfin , et les choses vont prendre forme . Les combines et les opportunités utilisées par les assistantes sociales pour faire aboutir les possibilités de réinsertion flirtent avec l’illégalité. Mais tout ce beau monde finit par y croire , et être emporté par le tourbillon . C’est la belle idée du film dont les magnifiques et jubilatoires scènes font mouche avec ce « parfum » de comédie et de dérision qui s’y installe. Inspiré par le travail de Claire Lajeunie ( qui a co-signé le scénario du film ) , auteure du documentaire Femmes invisibles , Survie dans la rue ( 2015) et du livre Femmes dans la Rue ( éditions Michalon) . Le travail du cinéaste complété, en amont , par un long ( un an ) parcours de rencontres avec d’authentiques femmes SDF, dont il a recueilli les témoignages sur leur vécu de la précarité. On retrouve dans le film , certaines d’entr’elles , qui ont participé à des ateliers afin de « jouer » leur propre rôle ( scénarisé… ) dans le film. Sous l’anonymat des noms d’emprunt de femmes qu’elle admirent « …en pouvant s’abriter derrière une personnalité autre , elles ont trouvé le courage de se livrer dans toute leur vérité , oubliant la caméra.. », dit Louis- Julien Petit . Et le résultat est jubilatoire pour le spectateur. A cet égard la séquence « culte » du casting vidéo destiné à Pôle -Emploi, est à mourir de rire lorsque celles-ci déclinent leur identité d’emprunt : Lady Di , Dalida, Edith Piaf, Brigitte Macro, La Cicciolina…ou Françoise Hardy! . Dès lors le film prend une magnifique dimension laissant percevoir , derrière ce masque du jeu et du lâcher – prise, leur désir de reconnaissance tant souhaité de devenir, enfin visibles !…

La force du film est dans cette approche d’une réalité, dont le cinéaste refuse la complaisance d’un certaine forme de misérabilisme , préférant de loin y déceler cet irrépressible espoir d’un regard , compréhensif et chaleureux . C’est celui-ci qu’il veut susciter chez le spectateur envers celles qu’il appelle : « mes invisibles », celles qui, dit-il : « elles représentent 40% des sans domiciles fixes. On ne s’en rend pas forcément compte parce qu’elles se griment, se cachent pour se protéger de la violence de la rue, se rendant parfaitement invisibles ». Celles dont , en parallèle de ce qu’il dit du vécu dans ce lieu d’expérimentation, il n’oublie pas de décrire les rejets et violences subies dans le passé , où il leur a fallu dormir sur un trottoir ou sous une tente , et être confrontées au chômage , à la faim, au froid , à la violence ( viol parfois… ) , ou à l’expulsion. Mais c’est aussi, au travail des ces bénévoles et assistantes tout aussi « invisible » et en tout cas, pas reconnu à sa juste implication solidaire, à laquelle le cinéaste rend hommages « ces travailleuses sociales, celles qu’on n’aide pas à aider les autres. On en parle peu, on ne les entend presque pas, on ne les voit que très rarement et pourtant, tel Sisyphe sur son rocher, et en dépit d’une législation d’une rigidité parfois confondante, elles s’occupent de leurs « accueillies» jour après jour, avec la conviction inébranlable que leur réinsertion est possible… ». Et c’est aussi ,en parallèle , le quotidien personnel de ces dernières que le cinéaste décrit , à l’image de celui d’Hélène ( Noémie Lvovsky) ou de Audery ( Aufrey Lamy ) , qui sont loin d’être de tout repos !…ce qui ne fait qu’ajouter, à leur mérite.
Servi par tous les éléments cités, dont la mise en scène traduit par ses choix , l’efficacité et la force du propos en une fiction superbement documentée. Celle-ci , à laquelle la qualité des comédiens professionnel,s en osmose avec les non- professionnels bluffants, ajoute à la chaleur du regard et du propos. Et, le public applaudit . Nous, on aime quand le cinéma populaire Français nous offre un film aussi juste et touchant , on vous invite à partager ce précieux plaisir …
( Etienne Ballérini )
LES INVISIBLES de Louis -Julien Petit – 2018- Durée : 1h 42 .
AVEC : Corinne Masiero, Audrey Lamy , Noémie Lvovsky, Déborah Lukumuena, Sarah Suco, Pablo Pauly, Brigitte Sy, Quentin Faure …et les huit femmes SDF, sous leur nom d’emprunt!.
LIEN : Bande- Annonce du film , Les invisibles de Louis- Julien Petit .
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