Relations familiales, liens du sang, famille recomposée ou de substitution au cœur du nouveau film du cinéaste Japonais qui en explore avec maestria les différents « possibles » permettant de re-construire des vies en perdition. Un grand film humaniste. Palme d’or méritée du Festival de Cannes 2018.

C’est une fois encore au cœur de la thématique qui irrigue ses récits et films que le cinéaste Japonais nous entraîne dans son nouvel opus pour en explorer les souffrances intimes qui s’y déploient et les possibles pouvant ouvrir la porte à l’espoir. Son cinéma est imprégné de cette quête dont les âmes délaissées et en souffrance portent les stigmates d’une condition humaine que la société moderne amplifie par l’indifférence et la solitude dans laquelle ils se retrouvent plongés. A l’image de cette petite fille affamée et battue se retrouvant seule , hagarde et impuissante, dans la nuit et le froid.Image très forte que le cinéaste renvoie au spectateur comme une interpellation : et vous que feriez-vous, si vous y étiez confrontés ?. Son cinéma se décline à partir de cette interpellation que ses films depuis de nombreuses années explorent sous tous les aspects dont sa formation de documentariste prolonge dans la fiction qu’il nourrit de ces éléments réalistes dont elle s’inspire. Contexte social et environnemental y sont au cœur permettant de « pénétrer » au plus profond de ces souffrances qui finissent par permettre de dépasser les handicaps ( la légalité?), afin de récréer les liens indispensables. La force de son récit est d’emprunter avec ses personnages, les chemins de traverse qui peuvent y mener, permettant de s’interroger sur la vraie finalité de vie, constitue tout l’enjeu de son film..
Dès la première séquence, le ton est donné avec un père Osamu ( Lily Franky) et son fils , qui à la sortie d’un vol à l’étalage croisent dans la rue une petite fillette ,Juri ( Sasaki Miyu) désemparée , perdue … et vont la recueillir dans leur modeste demeure . Dans celle-ci y vit la grand mère et sa petite fille d’une vingtaine d’années ( qui fait son business dans les Peep-Shows) , le couple Osamu et leur fils , Shota (Jyo Kairi ) dont on apprendra qu’il a été trouvé abandonné . De la même manière que l’on apprendra que la petite Juri s’est enfuie de sa famille qui la maltraitait. Pas question de prévenir la police, et comme cela a été le cas pour Shota, la petite fille sera adoptée par la famille . On ne pense pas aux risques possibles encourus par cette démarche de « recomposition familiale » considérée hors -la loi. Ceux de séquestration et d’enlèvement, au cas où la famille de la petite fille la réclamerait. La famille qui l’adopte ainsi recomposée vit en belle harmonie , et le cinéaste ne manque pas de nous y entraîner au cœur , avec son cinéma scrutateur des petites choses de la vie et de ses liens affectifs qui se tissent petit à petit au quotidien entre les individus. La petite fille qui y trouvera un frère , des parents et la confiance. Les parents découvriront ce qu’ils avaient oublié en chemin plus préoccupés – par les petits trafics , petits boulots ou vols auxquels il initient les enfants – que par un certain sens des responsabilités. Car si ceux-ci se construisent en marge de la normalité, elle n’en sont pas pour autant, tout aussi respectables…surtout pour les enfants en question à qui ils offrent et apportent l’amour, dont ils ont étés privés …

On ne vous révélera pas la suite des événements qui vont bouleverser ce bonheur construit en marge d’une société et de ses normes et codes sociaux traditionnels. Celle dans laquelle les enfants se retrouvent parfois abandonnés et maltraités , et dont les familles se désagrègent, partant à veau l’eau. Cette cellule familiale « choisie » Kore-Eda, la sublime ici, avec ses personnages d’une humanité déchirante qui rendent toute leur valeur à cette famille « illégitime », sans identité biologique, mais qui a de l’amour à revendre !: « il ne suffit pas d’accoucher pour être mère » , dira justement la femme d’Osamu !. Tandis que , par exemple,la grand-mère ( Kiki Kirin , grande comédienne habituée des films du cinéaste et décédée récemment ) ne s’émeut pas outre mesure, des accommodements avec la loi et la morale dont chaque membre de la famille fait fi, fatiguée d’être contrainte de sacrifier sa pension pour faire vivre tout ce beau monde !. Vieille dame indigne ?. Mais, est-il normal de devoir vivre dans une maison misérable et dans une pièce unique où l’on mange et dort les uns sur les autres ?. Cela ne les empêche pas , en tout cas -eux- de recueillir cette petite fille abandonnée dans le froid!. Et surtout d’ouvrir la porte à ces « liens » dont les souffrances vécues et partagées constituent le socle. Pour Shota et Juri , ce seront les liens frère-soeur, qu’ils pourront imaginer dans un présent de partage au cœur de cette famille reconstituée, offrant tendresse, jeux et repas en commun … tandis que dans l’ombre le danger rôde , à l’image de cet employé municipal en l’attente de s’emparer du logement de la grand-mère …et qu la société dont ils se sont extirpés avec leurs pratiques hors-la -loi, va forcément finir par reprendre la main…

Le cinéaste renvoie pourtant à celle-ci, le mal profond dans lequel elle laisse les démunis contraints de survivre,mais qui, dans leur précarité savent tendre leurs mains, comme ici , à ces enfants abandonnés ou maltraités. Ceux dont déjà le cinéaste faisait le portrait d’une mère célibataire cherchant vainement aide et soutien des autorités afin de les élever normalement dans Nobody Knows ( 2004), et qui vont se retrouver livrés à eux-mêmes, pour tenter d’échapper à leur destin. Hirokazu Kore-Eda signe ici , avec cette Affaire de Famille qui renvoie aux marginaux et autres sans grade leur dignité rebelle empreinte d’humanité solidaire, sans doute son chef-d’oeuvre. Ne le manquez surtout pas …
(Etienne Ballérini )
UNE AFFAIRE DE FAMILLE d’ Hirokazu Kore-Eda- 2018- Durée : 2 h 01.
AVEC : Lily Franky, Ando Sakura, Matsuoka Mayu, Kirin Kiki, Jyo Kairi, Sasaki Miyu…
LIEN : Bande-Annonce du Film : Une Affaire de Famille d’Hirokazu Kore-Eda.
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[…] flirte à la fois avec le cinéma de genre et un cinéma social et politique. Comme un mix entre Une affaire de famille, Palme d’or 2018, et Affreux, sales et méchants d’Ettore Scola, Prix de la mise en scène à […]
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