Théâtre de la Cité / Miranda fait son Cyrano

Quoi ? Encore un Cyrano ? A quelle sauce l’a-t-on mangé, cette fois-ci ? Comment Thierry Surace – le « lider maximo » de Miranda – l’a t’il revisité ?  Arrêtez vos clichés. On ne revisite pas plus que l’on incarne X ou qu’on se met dans la peau de Y.  Ca, c’est pour le catalogue des idées reçues.

Une chose qui me plaît dans le travail de Miranda, entre autre dans ce travail théâtral actuel, c’est l’axe qui est prédéterminé sur le référent implicite que l’explicite. Le temps et le lieu de ce dernier, dans le cas de Cyrano, c’est l’époque du siège d’Arras – 1640 – et de celle de la morte de Cyrano, 1655, donc le temps et le lieu de la fiction.
Le réfèrent explicite est celui du temps de l’éciture de la pièce, 1897. Politiquement, le contexte est plutôt à la morosité : la France est encore sous le coup de la  défaite de 1870, l’affaire Dreyfus commence débute, un attentat anarchiste coûte la vie au président Sadi Carnot, la République sort à peine de sa tentation boulangiste, de nombreux  scandales éclaboussent les hommes politiques.
Avant toute chose, il convient de dire que chaque œuvre de  la compagnie Miranda  est le fruit de l’entièreté de ladite compagnie. Même des œuvres bien antérieures à eux ? (Le bourgeois gentilhomme, L’illusion Comique, Don Juan, Cyrano) ?  Surtout celles-là. Mais enfin, ils ont bien un metteur en scène, non ? Tout à fait, Thierry, Surace de son nom.  Je comparerai leur travail à celui d’une équipe de rugby : le texte, c’est le ballon, et le joueur qui s’en empare, lui-même devient ballon, il lui donne sa personnalité, le ballon devient  son œuvre…
Un élément qui a énormément d’importance dans les créations de Miranda est quelque chose qui peut paraître, c’est l’affiche.  Qu’est-ce que c’est que ça, s’il vous plaît ? C’est le titre. L’affiche, c’est le titre du spectacle, elle en donne les clés. Ici nous avons un homme dans la lune, au sens réel et au sens métaphorique. Nous avons une caméra. En 1895 le cinématographe arrive « Je ne vous offre pas un emploi d’avenir, mais plutôt un travail de forain. Ça durera un an ou deux, peut-être plus, peut-être moins. Le cinéma n’a aucun avenir commercial »*1902 : Le voyage dans la lune, des Frères Lumière. Le dessin de la lune est composé d’éléments symboliques du monde de l’industrialisation triomphante avec une allusion au monde du rail, univers du rail qui encontre celui du cinéma en 1895, L’arrivée d’un train en gare de la Ciotat.
Regardons le dessin préparatoire. Comme le personnage a un nez long, on peu songer qu’il s’agit de Cyrano. Mais, curieusement, le nez cyranien est rattaché à une sorte de masque qui couvre la partie haute du visage. Notre période de référencement au sens large couvre peu ou prou la période dite de la Belle Epoque, 1980-1914. 1914… Le masque de Cyrano devient donc clair : c’est celui que l’on posait sur les visages abimés par la guerre, les gueules cassées », les « visages écrasés dont parle Saint Exupery. C’est la souffrance que Cyrano dissimule.
Il a dans la main une curieuse arme : c’est l’épée du duel. Ce n’est pas une canne-épée mais une épée-canne. Cette  période 1880-1914, c’est aussi celles des Apaches, terme générique servant à désigner des bandes criminelles du Paris de la Belle Epoque, dont les armes favorites étaient le couteau… et la canne.
Ce qui m’a toujours séduit avec les Miranda, c’est cet art qu’ils ont, comme je l’expliquais avec la métaphore du rugby, de faire de chaque œuvre leur œuvre, cet art de se l’approprier, de le revendiqué est un acte d’amour envers le public : public, regarde ce que je te donne, c’est nous multiplié par chacun. J’ai l’impression que ce qu’ils nous offrent est la trace tangible d’une choralité permanente. Il n’y a pas de héros, puis un protagoniste… Il n’y a que des choristes. Je me demande parfois si Thierry Surace existe vraiment.
Et cette choralité, marque de fabrique des Miranda,  elle se donne à voir avec délectation dans la tirade des nez : chacun des traits de caractère est dit par un comédiens, tandis que les lumières se concentre sur un écran où des images de film muets « illustrant » ce trait de caractère. Sacrilège ! Blasphème ! Non. Plaisir du jeu allié à l’intelligence illustrative du propos.
Bon. Je sens les puristes s’impatienter. « Et le texte ? Il y est bien tout entier ? » Si la réponse est par Oui ou par Non, alors c’est non. Si la question est de savoir pourquoi y a-t-il eu cette réduction, voilà une question intéressante. Je pense que la démarche de Thierry Surace est : Qui est ce qui fait sens ? Quel est le « jus » de ce monument ? « Ce monument, monsieur, comment le visite  t- on ? » Comment en rendre compte dans un bref délai ? Comment enlever ce qui est joli, avenant, léger, mais n’est pas l’essentiel ? Miranda n’a pas coupé, Miranda a sculpté.
Et ce qui est essentiel, c’est cette histoire d’amour contrarié. Un amour contrarié, cela doit il se passer automatiquement au milieu du 17ème siècle ? La pièce Roméo et Juliette ne peut-elle que se passer dans la Vérone du 15ème siècle ?
Point n’est besoin de un décor par acte qui ruinerait et la compagnie et la continuité du propos : un plateau tournant central, une seule structure de décor, tantôt manteau d’Arlequin, tantôt pâtisserie de Ragueneau, tantôt balcon de Roxanne, tantôt lieu de bataille, tantôt jardin de couvent. L’imaginative du spectateur fait le reste, aidé par la sublimité des lumières (celle du 5ème acte sont à tomber)
Cyrano de Miranda s’est joué jusqu’au 1er décembre ; Pourquoi n’ont il pas joué le dimanche 2 ?
Parce que le 2 décembre 1918 à Paris, au 4 de l’avenue de la Bourdonnais  Monsieur Edmond est mort de la grippe espagnole. Respect.
Ah  Rostand ! Ne me remerciez pas de tant vous applaudir ni de vous défendre avec passion contre ce qu’il vous reste d’ennemis !  (Jules Romain, Journal, 30 décembre 1897, première de Cyrano)

Cyrano, d’après Edmond Rostand Avec : Jessica Astier, Julien Faure, Lucas Gimello Gonçalves, Thomas Santarelli, Sylvia Scantamburlo, Jérôme Schoof, Thierry Surace. Production : Compagnie Miranda.

Jacques Barbarin

 

*Louis Lumière à Félicien Mesguich, un des opérateurs des Frères Lumière

 

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