Savez-vous ce qu’est une marinade ? C’est un liquide agrémenté de condiments, servant à faire macérer des aliments avant de les cuire. C’est une technique culinaire dans laquelle l’aliment est placé (généralement dans du vin et de l’huile d’olive) pendant un certain temps.

Ça y est. Voilà qu’il se prend pour un critique gastronomique, maintenant. Que nenni, que nenni, hennis-je. Mais le dernier spectacle que j’ai vu au TNN me fait bougrement penser à une marinade (à prononcer avé l’assent du Sud). Quid ? Commodo ? Quando ?
Les aliments – le texte – c’est Bouvard et Pécuchet, de Flaubert. Le liquide – la mise en scène- c’est celle de Jérôme Deschamps, les condiments, c’est la « toucb » des « Deschiens » à laquelle se mêlerait la pointe d’absurde de « En attendant Godot ».
Par un chaud dimanche d’été, à Paris, deux promeneurs, Bouvard et Pécuchet, se rencontrent par hasard sur un banc public et font connaissance. Ils s’aperçoivent qu’ils ont eu tous deux l’idée d’écrire leur nom dans leur chapeau. Tombés sous le charme l’un de l’autre, Bouvard et Pécuchet découvrent que non seulement ils exercent le même métier, mais qu’en plus ils ont les mêmes centres d’intérêts. S’ils le pouvaient, ils aimeraient vivre à la campagne, ce qu’ils vont faire à la suite d’un héritage.
L’œuvre de Flaubert dénonce avec une rage dévastatrice, la bêtise et la vanité de ses deux héros ridicules qui veulent tout savoir et tout comprendre : agriculture, sciences en tout genre, littérature, politique, amour, philosophie, religion, éducation… Rien n’échappe à leur boulimie de connaissance, à la curiosité tout autant insatiable que maladroite.
L’art et l’intelligence de Jérôme Deschamps est de coller ce que l’on pourrait appeler « l’esthétique Deschiens » au bouvardo – pécuchionnisme. Les Deschiens ont un style très personnel et reconnaissable : costume au kitch volontaire (vêtements surannés, couleurs démodées, matières bon marché). Les dialogues, en langage courant voire relâché, font surgir l’absurde dans le quotidien de personnages incarnant un certain bon sens populaire, mais dont l’ignorance ou l’étroitesse d’esprit vire souvent au burlesque.
En utilisant comme arrière-plan cette esthétique si particulière faite d’absurde, de grotesque et d’ironie dévastatrice, Jérôme Deschamps se coule dans les pas de Flaubert. Quelque part, tout se passe comme si Deschamps se comportait avec le texte de Flaubert comme avec le canevas d’une commedia dell’arte. Le sens de cette dernière, c’est « l’art du comédien ».
Chaque acteur adopte et conserve un personnage en rapport avec ses aptitudes, et, pour enrichir son discours, se fait un fonds de traits conformes à son caractère. Dit autrement, le personnage qui se love dans Jérôme Deschamps, Lucas Hérault, Micha Lescot, Pauline Tricot, se définit par le corps de ces quatre interprètes, par leur habitus. Autre appel vers la commedia : l’utilisation du grommelot, style de langage utilisé dans le théâtre satirique, charabia composé d’éléments onomatopéiques utilisé en lien avec le mime et l’imitation, la tirade en grommelot s’achevant pas un mot en langage clair, comme si toute la tirade en langage incompréhensible ne devait qu’aboutir, était faîte pour ce dernier mot.
Au total, comme le dit Jean François Perrier, Jérôme Deschamps se met fidèlement dans les pas du romancier pour offrir une version pleine d’humour, de tendresse parfois, mais d’une méchanceté réjouissante et salvatrice
« Jérôme Deschamps se met fidèlement dans les pas ». En effet, plus qu’adaptation » il y a véritablement transposition, c’est-à-dire reproduction d’une situation ou d’une condition dans un autre contexte ou sous une autre forme, et que cela est valable pour chaque élément du spectacle, chaque élément « dit » cette transposition : les costumes, les postiches, le décor, la gestuelle des acteurs, tout « parlent » le Bouvard & Pécuchet.
— « Tiens ! » dit-il « nous avons eu la même idée, celle d’inscrire notre nom dans nos couvre-chefs. »
— « Mon Dieu, oui ! On pourrait prendre le mien à mon bureau ! »
— « C’est comme moi, je suis employé. »
Alors ils se considérèrent.
Ce « ils » c’est bien entendu Flaubert et Deschamps
Bouvard et Pécuchet Gustave Flaubert Adaptation et Mise en scène Jérôme Deschamps avec Jérôme Deschamps, Lucas Hérault, Micha Lescot, Pauline Tricot costumes Macha Makeïeff lumière Bertrand Couderc scénographie Félix Deschamps accessoires Sylvie Châtillon postiches & perruques Cécile Kretschmar conception décors Clémence Bezat fabrication des décors Atelier Jipanco assistant à la mise en scène Arthur Deschamps
Jacques Barbarin
Du sam. 08/12/18 au mar. 11/12/18 Scène nationale Le Volcan Le Havre Tel. 02 35 19 10 20
Du ven. 14/12/18 au dim. 16/12/18 Scène Nationale Théâtre Sénart, Lieusaint, Tel. 01 60 34 53 60
Photos : Marc Enguerrand, Pascal Victor