Cinéma / LETO (L’été ) de Kirill Serebrennikov.

La musique Rock Underground et la jeunesse « refusnik » des années 1980 rêvant de liberté dans le Leningrad d’une Russie où la Perestroïka était en gestation. Magnifique regard d’un cinéaste insoumis  sur un passé faisant écho à une présent où l’expression de la liberté est toujours menacée.

Mike( Roman Bilyk) et Victor Yeo ( Teo Yoo ) figures de la Musique Alternative ( Crédit Photo: Kinovista/ Bac Films )

En avant -propos de notre critique , on se doit de rappeler que le cinéaste, également metteur en scène de théâtre ( du centre Gogol), suite à des positions indépendantes et libres soutenant le mouvement de contestation des élections législatives russes de 2011,  les « Pussy Riots », s’opposant à la limitation des libertés et droits fondamentaux des minorités (LGBT),  dénonçant les multiples restrictions de la liberté de création en Russie, et fustigeant l’intervention militaire en Georgie du Sud ( Ossédie) . En Août 2017 à la fin du tournage de Leto , il  sera arrêté pour « détournement de fonds »  et assigné à résidence , une méthode souvent employée pour persécuter les dissidents du régime. Soutenu par de nombreuses personnalités du spectacle en Russie dont l’écrivain Russe Boris Akounine y voyant « l’approbation de Poutine ». De nombreuses personnalités du spectacle du monde entier s’y joindront demandant la liberation du cinéaste. Au festival de Cannes où son, film a été présenté en compétition officielle , l’équipe de film lors de la montée des Marches a brandi une pancarte de soutien . Aujourd’hui le cinéaste, est toujours sous surveillance !. Après son remarquable film, Le Disciple ( 2016) présenté à la section Un certain Regard au Festival de Cannes, abordant le radicalisme Religieux d’aujourd’hui sous les traits d’une jeune étudiant, son nouveau film, Leto ( L’été / 2018) revient sur  la période de l’avant Pérestroïka. Situé dans le Leningrad des années 1980 il évoque l’émergence de la contestations via les sonorités musicales d’une scène Rock reflétant par ses compositions , textes et propositions , les frustrations d’une jeunesse qui dit son rejet du cynisme d’une société dans laquelle elle ne se retrouve pas … exprimant son désir de liberté et d’y être reconnue.

Les membres des deux groupes réunis sur la plage ,font la fête ( Crédit Photo : Kinovista/ Bac Films) 

A cet égard les premières séquences du film sont significatives, à l’image du concert dans la salle bondée du club de  Rock de Leningrad où le public est l’objet d’une surveillance rapprochée afin d’éviter tous débordements , mais subjugue l’auditoire  au grand Dam des autorités! . Puis dans la scène suivante sur la plage, Mike (Roman Bilyk) et son groupe  Zoopark de Blues-Rock et ses amis, font la fête. Rejoints par les amis de Victor Yeo ( Teo Yoo) qui va se mettre à chanter  avec eux . le film est inspiré de la vie du fondateur du groupe rock Kino, Victor Yeo  considéré comme le pionnier du Rock Russe . Mike et Victor vont devenir amis , à cette amitié se greffe une histoire d’amour au coeur de laquelle se retrouve, Natasha (Irina Starshenbaum) la compagne de Mike . Amour , amitié , partage …et créativité . Kirill Serebrennikov , mène habilement les éléments qui participent à décrire ce que fut cette période au cours de laquelle il a fallu faire face à tous les interdits, se plier sans se renier, se battre sans répit comme le relève la réplique , lors d’une discussion sur leur engagement pris au piège des compromis , la référence faite à Bod Dylan «  il dénonçait la guerre du Vietnam, défendait le boxeur noir Hurricane.. ». La lucidité , mais aussi cette énergie qui anime le film , où la mise en scène scande les séquences musicales par des clips au graphisme inventif . Le noir et blanc et parfois la couleur comme un ajout. Les délires dans lesquels ils se laissent emporter , les imitations de leurs idoles ( Iggy Pop, David Bowie , Lou Reed , etc ..) et tout un univers que s’inventent et se construisent ces musiciens pour enchanter un quotidien dont la banalité de certaines paroles de leurs chansons laissent percevoir la noire grisaille du « marécage » dans lequel le pays s’enfonce…

Mike ( Roman Bilyk) et sa compagne Natasha ( Irina Starshenbaum ) – Crédit Photo : Kinovista/ Bac Films)

Rester debout et dignes est une gageure, Viktor refusera de se compromettre à enregistrer pour le « label » d’état . A lui qui s’est suicidé en 1990 , et à Mike mort en 1991 d’une crise cardiaque, le cinéaste dédie son film . Mais aussi à une jeunesse de « refusniks » que leur musique a bercés d’espoir , hier . Et à celle d’aujourd’hui dont les libertés pour lesquelles le cinéaste paie son engagement à  les défendre,  et surtout à cette création qui ne cesse d’être persécutée quand elle sort des « barrières » derrière lesquelles on veut l’enfermer. Alors , on se plait à vous dire avec d’autant plus de conviction , parce que son film est un grand film , qu’il faut aller le voir …pour défendre cette liberté de création  pour laquelle  le cinéaste se bat ,  et faire que le succès de son film puisse contribuer , à permettre de l’arracher aux bras de ceux qui n’ont de cesse que de museler la parole . Dans le dossier de Presse du film une notre d’intention écrite avant le tournage de son film , le cinéaste expliquait les raisons qui l’ont poussé a faire son film «  je fais ce film dans le but de capturer et de souligner la valeur de cette liberté , celle que cette génération considérait comme un choix personnel et comme le seul choix possible… », dit-il . Ajoutant que son travail de cinéaste et d’auteur de théâtre , s’inscrit dans cette même optique dont ces jeunes d’hier cherchaient eux aussi «…  à donner vie à une culture qui est inacceptable par à un niveau officiel , selon les codes de notre gouvernement » . Le parallèle est donc totalement assumé entre le hier et l’aujourd’hui d’un pouvoir pour qui tous les moyens sont bons pour museler les « dissidents » (1). La liberté créatrice de la mise en scène qui brasse tous les possibles et références ( couleurs , mouvements de caméra, graphisme , split screen, vidéo-clips, sonorités musicales , introspection des personnages et /ou,dérision, déambulations et rencontres , références cinématographiques etc …) . On se laisse porter par ce déchaînement de désir de vie et de liberté ,empreint parfois de mélancolie, renvoyant à la réalité du quotidien. Un grand film , à voir et à défendre …

(Etienne Ballérini )

LETO (  L’été ) de Kiril Serebrennikov – 2018- Durée :2 h  09.

AVEC: Roma Bilyk,Irina Starshenbaum, Teo Yoo, Filipp Avdeev, Evgueni Serzine, Alexandre Gortschiline, Alexandre Kouznetsov, Nikita Efremov, …

LIEN : Bande-Annonce du film , Leto ( L’été ) de Kirill Serebrennikov.

(1)- Le cinéaste  Oleg Sensov  condamné en 2015 à 20 ans de prison  » pour terrorisme et trafic d’armes  » pour  avoir  dénoncé en 2014 l’annexion de la péninsule de Crimée   dont il est originaire par la Russie , et demandé  la liberation des prisonniers Politiques en Russie.  En grève de la faim depuis Mai 2018,  le large mouvement de soutien du monde du spectacle  demandant sa liberation le sachant très affaibli. Les autorités  décident alors  de l’alimenter  de force  sachant qu’ils seraient rendus responsables de sa mort , son corps très affaibli par    145 jours de lutte . Refusant de se  soumettre aux autorités ,  mettra  fin à  sa grève de son propre chef   et remercier tous ceux  qui  l’ont  soutenu  préférant  de son propre chef arrêter  celle-ci  comme un point d’honneur  afin de remercier tous ceux  qui l’ont  soutenu  et  il terminera  son par  un  émouvant  » gloire  à l’Ukraine! »  qui en dit  long sur sa  détermination   et son combat dont il lui reste  à faire céder le pouvoir  sur  sa  condamnation dont les motifs  qui la justifient, qualifiés  par  Amnisty International  de          » procès Stalinien ».

 

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