Le réalisateur français Paul Vecchiali est sera à Nice du 23 au 25 novembre, invité de l’association Cinéma sans frontières.
Paul Vecchiali viendra présenter au cinéma Mercury son film Les 7 déserteurs le vendredi 23 novembre à 20h30 au Mercury (voir critique plus bas), Train de vies, le 24 à 20h30 et Faux Accords le 25 à 14h en partenariat avec l’association Les Ouvreurs.
Inlassable explorateur du sentiment amoureux
Paul Vecchiali est très certainement le cinéaste le plus atypique du paysage cinématographique français et ce dès ses tout premiers films.
Être critique aux Cahiers du Cinéma dans les années 60 et aimer passionnément Danielle Darrieux, Jean Grémillon ou Julien Duvivier, voilà sans doute un grand écart inconcevable pour bon nombre de ses co-équipiers, mais c’est précisément à ce croisement-là que se situe Paul Vecchiali. Nouvelle vague et cinéma français des années 30 que l’on qualifie souvent de populaire, c’est cet hybride improbable qu’incarne Vecchiali avec une inventivité sans pareille. Auteur reconnu dans le monde entier – de grandes rétrospectives lui ont été consacrées ces dernières années un peu partout dans le monde, de la Cinémathèque de Tokyo à celle de Sao Paolo, de Lisbonne ou de Séville– il dit souvent à quel point il aimerait que ses films passent plutôt sur les grands boulevards que dans les salles d’art et d’essai confidentielles. Mais l’artiste, on le sait, ne choisit pas son public…
L’indépendance chevillée au corps, il produit dès 1963 les premiers films de son ami Jean Eustache. Dans cette même ligne, il créera dans les années 70 sa propre maison de production « Diagonale » qui a permis l’éclosion de toute une génération de cinéastes français : Jean-Claude Biette, Jean-Claude Guiguet, Gérard Frot-Coutaz, Marie-Claude Treilhou en se mettant d’ailleurs souvent lui-même au service de tous ces jeunes réalisateurs en tant que monteur. On disait alors « la bande Diagonale ».
Ce sont les années 80 de triste mémoire, brûlées au vif par le Sida qui va décimer son entourage et plus généralement le monde des artistes. Vecchiali, cinéaste engagé comme il respire, en sortira « Once more » ( 1987), chronique de ces années de braise, qui ébranle encore aujourd’hui par son intensité à la fois ravagée et romantique, au bord du désespoir.
Lorsqu’il n ‘arrive plus à mener sa barque comme il l’entend avec sa société de production, il préfère en vendre les droits et passer à autre chose. Il n’a jamais eu peur de la télé et comme il le dit lui-même, à deux exceptions près, il a réussi à y faire de vrais films et à gagner l’argent… qui lui permettra de faire ses propres films en se passant de l’avance sur recettes ( même si ça le met en rogne : il en fera le très drôle et très féroce À vot’ bon cœur !). 60 projets refusés à ce jour, tout de même !

Quand il désespère du cinéma, il rebondit avec Antidogma. C’est à dire, une seule règle: pas de règles. Là encore, on reconnaît la réponse du berger à la bergère sur la petite planète du cinéma. Résultat, il en est aujourd’hui à 14 longs-métrages et quelques courts sous cette estampille radicale.
Des films en circuit court, tournés chez lui ou en bas de chez lui, avec ses fidèles lieutenants : Philippe Bottiglione, son chef-op, Francis Bonfanti, son ingénieur du son, Roland Vincent son compositeur attitré.
Son cinéma, Vecchiali le vit avec une véritable troupe d’acteurs et d’actrices au sens ancien du terme, une troupe qu’il recrée autour de lui au fil du temps et des générations. Hier Sonia Saviange et Hélène Surgère, Jean-Luc Delahaye ou Nicolas Silberg. Aujourd’hui Astrid Adverbe et Pascal Cervo, mais aussi Marianne Basler que l’on voit malheureusement trop peu sur les écrans ou Simone Tassimot à qui il confie des rôles hors-format à la mesure de son physique et de sa voix.
Ces films, pour la plupart, attendent toujours leur sortie en salle, notamment une Pentalogie -excusez -nous du peu- qui en décoiffera plus d’un si elle trouve un jour son chemin jusque sur les écrans.
Mais ça n’empêche pas Vecchiali de continue à tourner et de nous surprendre à chaque fois, quand on a la chance de voir un des ses films. Notamment le magnifique « Nuits blanches sur la jetée » dont il nous a régalés en 2015.
Adaptation amoureusement fidèle du texte de Dostoïevski, le film tourné dans la nuit, éclairé par le phare intermittent du port de Ste Maxime et les bons soins de « Botti », est un petit bijou d’intensité dramatique et d’intelligence cinématographique.
Vecchiali observe le déploiement du sentiment amoureux un peu comme un entomologiste penché sur son microscopique. Il ne se lasse pas d’en représenter les multiples, les innombrables facettes. Ça nous vaut parfois -souvent- un « film de jeune homme », tant il explose de vitalité comme dans « C’est l’amour ».( 2016) ou un film mélancolique quand il fait retour sur le passé comme dans « Le cancre ». ( 2016 aussi).
Cette plongée au plus profond des émois et des affects – thème universel et atemporel s’il en est- est résolument contemporaine et, quelque soit le registre, la mise en scène est marquée par une liberté de ton et d’esprit qui n’appartiennent qu’à lui. Elle se fait même de plus en plus radicale au fil des années.
Si la présence persistante de chansons dans tous les films de Vecchiali est un clin d’œil assumé aux années 30, la manière dont elles sont insérées sans la moindre rupture au cœur même des dialogues relève d’une audace toujours renouvelée. Les paroles sont presque toujours de lui, d’où peut-être aussi ce fondu enchaîné dans lequel on se laisse prendre volontiers.
Adepte de dispositifs minimalistes qui permettent aux acteurs de déployer tout leur talent, Vecchiali est, de fait, le virtuose du « less is more ». Ses films constituent une parfaite illustration de la maxime populaire « nécessité fait loi ». On sent que la contrainte libère chez lui une énergie décuplée et qu’il prend, apparemment presque sans le vouloir, mais avec bonheur, le contre-pied de la plupart des recettes du cinéma mainstream avec, encore et toujours, une volonté d’en découdre parfaitement bluffante. Le cinéma qu’il fabrique, comme on dit en anglais « a film-maker », est un cinéma qui brille comme une étoile solitaire, ou peut-être une galaxie à lui tout seul.
En tout cas, on peut affirmer sans risque, pour paraphraser Brassens, que le cinéma qui marche au pas, ça ne l’intéresse pas!
Du physique des acteurs à leur phrasé, du rythme du film à la bande son, du scénario au mouvement de la caméra en passant par la musique, tout porte la marque de son auteur.
Les trois films que nous présentons ici en sont une illustration palpitante.
Chacun explore par des thématiques et des angles différents, les voies inépuisables du désir, les jeux du sexe et de la mort, du dit et du non-dit, du dévoilé et du refoulé. Et à chaque fois, nous sommes saisis à la fois par l’élégance et l’intensité de ce que Vecchiali nous donne à voir et à entendre, à savourer et à rêver. Merci Monsieur Vecchiali de nous faire partager cet amour indéfectible pour le Cinéma.
Les sept déserteurs ou la guerre en vrac de Paul Vecchiali
“Film is like a battleground. Love, hate, action, violence, death, in a word : emotion”[1] Samuel Fuller
Si l’ombre portée de la guerre est presque toujours présente dans les films de Paul Vecchiali, de la seconde guerre mondiale à la guerre d’Algérie, en passant plus récemment par celles d’Irak ou d’Afghanistan, c’est la première fois, à ma connaissance, qu’il y consacre un film tout entier.
Et ce n’est certainement pas par hasard si Samuel Fuller ou William Wellman figurent parmi les 4 cinéastes auxquels le film est dédié, eux qui révolutionnèrent durablement le genre à Hollywood. Raymond Bernard, cinéaste français aujourd’hui injustement oublié, fut célèbre en son temps pour deux films de guerre à contre-courant de la légende nationale : « Les croix de bois » sur la première guerre mondiale et le très beau « Un ami viendra ce soir » sur la Résistance.
Quant à Jean-Luc Godard, « Le petit soldat » et « Les Carabiniers » étaient déjà un cri d’alarme enragé dans les années 60, mais depuis « Allemagne 9.0. » et la guerre en ex-Yougoslavie, ce sujet irrigue en profondeur tous les films du réalisateur.
Nous savons donc d’emblée où se situe Paul Vecchiali, cinéaste cinéphile, même si sa manière d’évoquer la question ne ressemble à aucune autre. Là-dessus, on peut lui faire confiance. En effet, d’entrée de jeu, le parti pris est radical. Dès le premier plan, les décors en carton pâte ne font pas semblant d’être autre chose et cette nonne qui fait à peu près aussi vrai que les décors eux-mêmes ! C’est déjà une déclaration de foi : nous sommes au cinéma et nulle part ailleurs. Ne vous attendez pas à une de ces reconstitutions minutieuses où même la boue des tranchées a l’air propre à force d’artifice. Qu’on se le dise une bonne fois pour toutes, ce n’est pas le copié-collé d’époque qui fait la véracité! Ce n’est pas la peine de saturer l’image de toutes sortes de détails pour faire comme si vous y étiez. À ce titre, Vecchiali s’avère, une fois de plus, un maître du hors-champ.
Dans « Les sept déserteurs », la guerre on ne la voit pas, on l’entend. La bande-son est implacable, et pour le coup omniprésente. La guerre, on la parle, dans un crescendo vibrant où la pulsion vitale le dispute à l’angoisse. Les dialogues sont ciselés et puissants, portés par des acteurs incandescents. On connaît l’amour de la langue qui caractérise toute l’œuvre du réalisateur et sa direction d’acteurs où il faut tout donner dès la première et… unique prise. Et puisque nous sommes chez Vecchiali, parfois même, la guerre, on la chante.
Le réalisateur réunit donc cette petite troupe de personnes, sa troupe au sens noble du terme, qui refuse de faire partie de la troupe. Et c’est déjà tout un programme.
Comme dans les plus belles comédies du théâtre du XVIIIème siècle, la plupart des personnages , par petits groupes de deux ou trois, se connaissent d’une vie d’avant, où ils portaient souvent un autre nom et d’autres habits. La rencontre/ retrouvailles va faire l’objet de révélations, d’aveux, de souvenirs refoulés. Avec ce dispositif d’une grande simplicité, chacun se raconte, se dévoile et/ou se cache face aux autres, et surtout face à nous. C’est la comédie humaine avec tout ce qu’elle a de troublant, parfois pathétique, parfois tragique, toujours sur le fil du rasoir.
La personnalité de chacun des personnages est ainsi tour à tour mise en lumière, dans un vrai film choral où aucun n’éclipse l’autre, comme dans un de ces big bands de jazz où tous les musiciens peuvent devenir solistes d’un moment à l’autre.
Et puisque la mort rôde et frappe sans crier gare, la pulsion sexuelle surgit avec force et circule violemment entre les personnages. Chez Vecchiali, le sexe se dit et se parle sans détours , mais non sans délicatesse. À cet égard, l’une des scènes emblématiques du film, celle dont la charge érotique est certainement la plus forte, est encore une fois une scène parlée où Alexandre raconte son désir et imagine enfin la rencontre intime avec la femme qu’il aime et qu’il n’ose aborder. Il le fait à la demande pressante de Denis, son ami homosexuel, son petit frère en amitié, comme il dira plus tard dans le film. Les deux hommes sont assis dos à dos et cette simple idée de mise en scène s’avère d’une efficacité absolue. La caméra, la plupart de temps frontale, sur le profil des deux hommes, passe par moment du visage d’Alexandre, qui imagine, qui vibre et vit la scène, à celui de Denis, dont l’excitation grandit de minute en minute. Désir, fantasmes et jouissance à leur comble sans le moindre petit cm2 de peau nue à l’écran. Quelle leçon de cinéma ! Quelle foi dans le pouvoir de l’imagination! Puisque c’est bien ça la grande force du cinéma, de mettre en mouvement tout notre imaginaire le plus intime en écho à celui qui s’exprime à l’écran. Quelle leçon de vie aussi! Car, notre époque l’oublie trop souvent, le désir se nourrit de suggestion et non pas de dévoilement forcené.
« Les sept déserteurs » est ainsi un film d’une folle intensité où Éros et Thanatos se défient de minute en minute. La mort insensée, imprévisible. L’amour, tout aussi insensé et tout aussi imprévisible. Deux forces qui nous dépassent et qui nous mènent.
Les acteurs sont véritablement habités par ces deux forces qui les enveloppent et les traversent. De Simone Tassimot, la nonne au franc-parler, ex-pute et ex-marquise à Astrid Adverbe qui incarne à elle seule toute la jeunesse, capable de passer de l’insouciance à la gravité en une fraction de seconde ou Marianne Basler à l’élégance nonchalante et sensuelle, les trois actrices sont tout simplement formidables. Veccchiali avec un sens aigu du casting, choisit volontiers des physiques qui ne correspondent pas complètement aux canons en vigueur. On reconnaît bien là la grande liberté de l’auteur. N’oublions pas que depuis bientôt 15 ans, tous ses films sont estampillés « Antidogma » !
J.Scoleri
[1] Le cinéma, c’est comme un champ de bataille. L’amour, la haine, l’action, la violence, la mort : en un mot, l’émotion.