Théâtre/ TNN : Le malade Imaginaire de Michel Didym, une intelligence rare

Oui, je sais, j’entends d’ici les souffreteux, les aigris : Le malade imaginaire, c’est de Molière pas de ce Didym . Bien sûr, Michel Didym n’est que le metteur en scène, mais j’ose dire que c’est une mise en scène qui écoute réellement le texte de Molière : celui d’un homme qui sait qu’il va mourir, qui en à peur, et qui cherche à exorciser cette peur. Et dans mourir, il y a rir(e).

Je parlais d’intelligence rare. Tout se passe comme si Michel Didym avait travaillé sur l’intériorité de texte de Molière. Il n’en fait pas une tragédie, certes non, mais il n’en fait pas la comédie à laquelle on fait cette pièce de manière traditionnelle : c’est UN Malade imaginaire, et je ne suis pas loin de penser que c’est LE Malade imaginaire.
Michel Didym est né à Nancy. Il découvre, au théâtre de Poche à la MJC de Jarville, le plaisir de la scène sous la direction de Roger Müller. Son talent le conduit à l’école du Théâtre National de Strasbourg— direction Jean Pierre Vincent- Il se forme ainsi auprès des metteurs en scène André Engel, Jorge Lavelli, Georges Lavaudant  et Alain Françon, dont il a été l’assistant. Dis-moi qui t’as appris, je te dirais qui tu es. En 2010 il est nommé directeur du Théâtre de la Manufacture (CDN de Lorraine) à Nancy. Parmi ses nombreuses mise en scène, nous avons vu, sous « l’ère » Brook,  J’avais un beau ballon rouge de Angela Dematté, qu’interprétait Romane et Richard Borhinger (Voir article dans ciaovivalaculture).
Thomas Bernhard disait (je cite de mémoire Nous croyons écrire une tragédie, mais nous écrivons une comédie. Entre comédie et tragédie, tout dépend de l’angle de vue dans lequel on se place. Si un passant heurte le trottoir est tombe à terre, pour le passant qui regarde, c’est un acte comique. Pour celui qui va peut-être se tordra la cheville, cela peut être tragique. Et vous, de quel coté vous placeriez-vous ?
L’intelligence, c’est la faculté de comprendre. Comprendre, c’est prendre avec. Didym « prend avec » Molière, c’est-à-dire à la lumière de ce qu’il est, de ce qu’il propose. Et, comme le dit Daniel Mesguich, il ne faut pas chercher ce que le texte veut dire, mais ce que le texte peut dire.
Et ce en quoi je peux parler d’une intelligence de la mise en scène, c’est que, s’agissant de cette œuvre où Molière met tout son savoir, toute sa connaissance du théâtre – est-ce pour cela qu’il s’agit de la dernière – le metteur en scène, sans – et de loin – renoncer au rire démesuré, à la vigueur de cette farce –macabre-  pour qui sait le voir et sans interférer dans le cours des événements nous montre –attention ça va barder – la théâtralité de l’acte théâtral de Molière. Ouf !
Il faut d’abord poser les choses. Un souple rideau doré occupe une partie du fond du plateau et laisse parfois deviner des scènes, en transparence. On aperçoit l’arrière de la maison d’Argan, avec ses murs tapissés. Pas de meubles, seul le fauteuil qui ressemble à celui de Molière. La solitude d’Argan à la scène 1, d’abord parce qu’il est seul en scène. Solitude accentué  par le ton quasiment monochrome de la scénographie (Jacques Gabel). La solitude du seul en scène.
Les couleurs, la lumière (Joël Hourbeig). Intelligence également dans celles des costumes (Anne Autran).   Celles de Toinette (sublime forcement sublime Norah Krief) la rattachent à l’intériorité. Celle du manteau d’Argan (Michel Didym, un bonheur) la rattache aussi à l’intérieur, mais en plus « noble ». Celle de la robe d’Angélique, la fille (Catherine Matisse) montre un souhait d’extériorité  mais le pastel de sa robe bleue désigne son rattachement à l’univers du logis. Le costume contemporain du frère, Béralde (Jean-Claude Durand, mon frère il me vient une pensée), désigne à l’envi cette extériorité : c’est le regard de Molière, mais c’est aussi le nôtre. Seule la couleur de son pantalon le rattache à l’univers du foyer. L’excentricité Diafoirus père et fils, leur costumes, comme le bizarre de leur gestuelle, les rattachent à la commedia dell’arte. Le trio notaire – Beline (la femme d’Argan)-Argan- nous rattache presque au boulevard (Le mari-la femme – l’amant). Le  théâtre dans le théâtre, Angélique et Cléante jouant leur propre histoire dans une « sorte d’opéra » devant entre autre le fils Diafoirus et Argan, quand Hamlet fait jouer par un comédien l’assassinat de son père devant son assassin, le génie de Molière est de partir d’une trame narrative et d’aborder d’autres univers. Et s’inscrit tout au long cette peur récurrente non de la mort, mais de sa représentation, de son image : Louison contrefaisant la morte pour effrayer son père, son père contrefaisant le mort pour « tester » Béline et Angélique et cette phrase où toutes les peurs sont recueillies : « N’y a t-il aucun danger à contrefaire le mort ? »
Et c’est là la grande force de Didym, c’est que Si la facture demeure un tantinet classique, comme le soutient mon excellent confrère de La Croix,  c’est grâce à ce glacis classique que Didym nous rend intelligent, pour percevoir, avec la finesse de détails, les univers  où l’auteur nous entraine.
Lorsque j’ai vu la scène finale – Argan recevant le grade de docteur par une confrérie –pour de rire- de docteur, avec un rituel, pour moi la scène n’était pas cette farce que l’on veut y voir, mais 0l’intronisation dans une secte, et le déroulement de son étiquette.
Au fond, régressif, puéril et maniaque, Argan, sur son siège est comme un enfant qui trépigne et qui flirte avec la mort. Son hypocondrie n’est qu’une configuration mentale. Le rire est vraiment le pansement de l’âme, que cela soit au XVIIème siècle comme aujourd’hui. Michel Didym nous montre, nous dé-mont(r)e le rire et le chemin qui y mène. A l’intérieur de mourir il y a rir(e).
Les deux premiers spectacles programmés par Irina Brook sont deux très bon choix pour cette saison qui démarre sur des chapeaux de roue. Nous sommes sur qu’il y en aura d’autres, des spectacles, des saisons et des chapeaux.

Jacques Barbarin

Le Malade Imaginaire avec Michel Didym, Norah Krief, Jeanne Lepers, Catherine Matisse, Bruno Ricci, Jean-Marie Frin, François de Brauer, Jean-Claude Durand et en alternance une fillette dans le rôle de Louison musique Philippe Thibault scénographie Jacques Gabel lumière Joël Hourbeigt costumes Anne Autran assistante à la mise en scène Anne Marion-Galloischorégraphie Jean-Charles Di Zazzo maquillage & perruque Catherine Saint Severenregistrement & mixage musique Bastien Varigault avec le Quatuor Stanislas Laurent Causse, Jean de Spengler Bertrand Menut, Marie Triplet modiste Catherine Somers couturières Liliane Alfano, Éléonore Daniaud

Tournée
Le 06/11/2018 VAL-DE-DEUIL (27) | Théâtre de l’Arsenal
Le 08/11/2018 LE CREUSOT (71) | L’Arc – Scène Nationale
Du 15/11/2018 au 01/12/2018 VILLEURBANNE (69) | TNP

 

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