Le troisième long métrage du cinéaste ( Whilplash, La La Land ), revisite à nouveau les genres. Cette fois-ci, c’est celui de la conquête spatiale, sur les pas de Neil Armstrong dont il nous propose, en miroir un étonnant portait d’anti-héros, accentué par la distanciation du récit privilégiant l’intimisme et les « ratés » des expériences spatiales, au cœur du contexte de guerre froide, poussant à la surenchère…
Adapté de la biographie officielle de Neil Armstrong, signée James R.Hansen dont Damien Chazelle, utilise les nombreux éléments significatifs d’un parcours exceptionnel qui en fit le héros d’une Amérique en perte de vitesse face à son rival soviétique d’alors multipliant les réussites avec ses Spoutniks et ses héros ( la chienne Laika, le cosmonaute Yuri Gagarine premier homme à voyager dans l’espace ) propulsés à la conquête de l’espace. Le film évoque le choc et la frénésie qui s’empara alors des autorités politiques et scientifiques Américaines, pour y répondre et refaire le retard. Comme le souligne le président John F. Kennedy, afin de «rétablir la domination Américaine dans l’espace ». La très belle séquence d’ouverture du film est à cet égard significative,, montrant, Neil Armstrong ( Ryan Gosling) secoué, lui, par la frénésie d’une carlingue expérimentale, de laquelle s’échappe des bruits inquiétants. Le raccourci utilisé par le cinéaste, se révèle d’emblée élément de choix de point de vue et de mise en scène, induisant par celui-ci, les risques d’une mission à laquelle au début des années 1960, l’industrie scientifique Américaine, va devoir faire face. En témoignent, les « couacs » et autres incidents plus sérieux, qui vont se succéder pendant les neuf années qui aboutiront au succès du 21 Juillet 1969, au premier pas sur la lune, ce « grand pas pour l’humanité… ». Le cinéaste en décrit les différentes phases en l’inscrivant, en parallèle d’un contexte de mouvements sociaux, et celui d’une intimité familiale sur laquelle, il pèse forcément par l’implication demandée, qui l’en éloigne…

Cette intimité familiale s’en trouvera doublement bouleversée par le drame vécu par Neil, de la perte de sa petite fille de deux ans, Karen, victime d’un cancer. Perte qui le rendra inconsolable . C’est une des belles idée du récit que le cinéaste investi, en forme de défi et de chemin de deuil dont va se parer Neil, se réfugiant dans le travail. Focalisant son énergie dans celui-ci et le danger qu’il représente, comme exutoire. Affrontant le danger des expériences au cours desquelles certains de ses camarades trouveront la mort , y échappant lui , parfois miraculeusement. Il s’inscrit, comme le dira sa femme Janet ( Claire Foy ), désormais « hors du monde » et dans le repli , au point de sacrifier le bonheur familial. Les jeux qui faisaient jadis le quotidien avec ses deux enfants sont désormais exclus, sous prétexte du travail qui l’accapare. Celui-ci, que révèle la scène-terrible et troublante-, à la veille de son départ pour l’aventure de l’alunissage dont le danger de l’échec et de la mort, n’est pas exclu, où il ne cède aux adieux avec ses enfants… que sous la pression de sa femme. Cette dernière sacrifiée, devra supporter elle aussi l’indifférence et faire face comme elle le peut. L’absence de sa petite fille devient pour Neil, une sorte de fixation dont les images récurrentes, en flash-back, rappellent le souvenir du deuil impossible à faire. Même les rencontres avec les personnalités politique ou les différentes conférences de presse suite aux expériences des vols expérimentaux, il y affiche , la distance des réponses basiques, ou des esquives. Son sacrifice à la réussite n’est plus celui du héros traditionnel , il est mû par un acte d’amour, dont on vous laissera découvrir l’image qui le symbolise. Celle d’une père inconsolable, associant pour l’éternité, la petite âme disparue à son exploit !. C’est Bouleversant !…

Damien Chazelle, grand cinéphile, s’il aime fustiger, les codes des genres, de l’emphase
et de l’héroïsme ; lorsqu’il s’agit d’éclairer un point de vue il peut avoir recours, comme ici, à l’emphase mélodramatique , à laquelle il renvoie habilement, en contrepoint via le montage, celle des images, celui de l’emphase médiatique. L’intime et le collectif se télescopent. La pose du pied sur la lune de l’homme, plutôt que celle du drapeau triomphant ( qui a suscité les protestations de certains sénateurs Us , irrités par l’absence du drapeau national dans le film!) , ou encore , celle du retour au pays et de la quarantaine à laquelle il est soumis qui lui évitera les fastidieuses célébrations, le laissant en retrait comme le suggère la scène des tièdes retrouvailles ( séparées par le vitrage de protection de la quarantaine) avec sa femme. Neil marqué par la tragédie de sa fille mais aussi, celle de ses amis disparus, ne peut ( veut ) plus, renaître au monde. Ce dernier au long du chemin, n’a d’ailleurs pas manqué d’alerter les supérieurs sur la nécessité de s’atteler à la tâche de la sécurité, plutôt qu’à celle de la reconquête de la suprématie mondiale. Les séquences qui illustrent les différentes tragédies ( des différents essais et expérimentations ) auxquelles elle a conduit, sont au cœur de la première partie du film. Il y souligne la précarité des premiers engins et surtout le manque de fiabilité via les multiples incidents ( incendies et autres dysfonctionnement de commandes …), que prolongeront encore, les matériels pourtant plus sophistiqués et améliorés des expériences Gemini et Appolo 1. C’est d’ailleurs, suite à celles-ci que la presse s’interroge, et que la remise en question se fait jour dans la population civile qui s’inquiète, et surtout s’insurge sur les sommes astronomiques investies, alors que de nombreux problèmes, secouent le pays…

La persistance des ghettos et du racisme, la guerre du Vietnam de plus en plus contestée, et certains couches sociales touchées par la pauvreté et la précarité. L’indécence des sommes investies soulèvera, suite aux échecs cités, des manifestations de rejet importantes que le spectre brandi du danger Soviétique, ne réduira pas au silence. La réussite de cette conquête spatiale l et le retentissement de fierté nationale du premier pas de l’homme sur la Lune, le cinéaste le célèbre à sa manière dans le beau final , et lui offre la dimension humaine du parcours de son héros, Neil Armstrong. Le prolongeant vers le spectateur , en alliant les ingrédients divertissement et réflexion sur les genres – depuis ses début au cœur de son œuvre- avec un talent indéniable. Nous, on est preneurs …
(Etienne Ballérini )
FIRST MAN de Damien Chazelle -2018- Durée : 2h 20.
AVEC . Ryan Gosling, Claire Foy, Jason Clarke,
LIEN : Bande- annonce du Film : First Man de Damien Chazelle .