La passion de la cuisine transmise par sa grand-mère, le jeune Marocain Elias, rêve de l’exporter , et veut tenter sa chance en France . La forme de la chronique villageoise , puis, la rupture du départ et le bascule dans le quotidien de la clandestinité, ouvre le récit à la tonalité de la fable réaliste. Portrait sensible porteur d’espoir refusant le misérabilisme, le premier long métrage du cinéaste, fait mouche…

Le cinéaste qui a grandi dans le département du var, passionné d’opéra et de cinéma , a fait ses gammes à la Fémis dont il sortira ,diplômé, comme monteur. Travaillant dès lors avec de nombreux cinéastes comme monteur, avant de se lancer dans la réalisation avec des courts métrages. Mabrouk Moussa (1998) est son premier, suivi par d’autres qui auront les honneurs petit écran. S’essayant aussi comme producteur, avec Nader Takmil Homayoun, dont il co-scénarise et monte , Teheran (2009) qui recevra le prix de la critique au Festival de Venise. Tazzeka a été conçu comme prolongement de ses documentaires ( Au quotidien (2004 ) était consacré sur l’école maternelle du 18 ème Parisien) ancrés dans le réel. Tazzeka, son premier log qui vient de sortir sur les écrans, a connu une longue gestation, il y a travaillé dès 2011, amassant témoignages, repérages et documents, pour nourrir sa fiction. Créant, pour le faire aboutir, en complément des aides, sa propre société de Production : Takka films. Dans Tazzeka , il aborde le sujet de l’émigration avec , dit-il , la volonté de proposer « une approche moins dure et dramatique que ce qui fait généralement la une de l’actualité. Le pari du film était d’avoir un ancrage dans le réel , sur un ton léger ». Les séquences d’ouverture en sont l’exemple parfait avec le petit Elias , dans le jupes de sa grand-mère, (Khadija Bouzekri ) qui lui apprend la cuisine et la conception des plats traditionnels. Il se plongera ensuite dans les livres de recettes, les apprenant par cœur . On le retrouve plus tard, devenu jeune Homme ( Madi Belem) faisant les courses au marché et travaillant chez son employeur, Youssef ( Abbes Zhamani) et son l’épicerie-restaurant, à qui il tente vainement , d’imposer ses recettes !. Celles-ci influencées par les émissions de la télévision française sur les grands chefs, dont il ne rate aucun épisode …

Jusqu’au jour, où celui-ci , Julien Blanc( Oliveir Sitruk) en vacances , vient s’attabler comme client du restaurant de Youssef . Branle bas de combat ! , Elias s’affaire et décide de contre l’avis de Youssef, de séduire par sa composition du menu, les papilles du chef Français . Pari Gagné , pour Elias « si tu passe à Paris, viens me voir au Restaurant ! » lui dira le chef Français qui en profitera pour lui demander quelques suggestions …de mélanges des saveurs. Elias qui rêve de réussir et assouvir sa passion, voit l’opportunité s’ouvrir, mais, pas si facile que ça de quitter la famille et le pays !. C’est au cœur de ce dilemme que le récit se construit en deux parties distinctes . Celle de la chronique enjouée de la petite communauté villageoise , puis celle du départ vers la France et les difficultés de l’immigration ou s’inscrit une tonalité plus grave, mais refusant le misérabilisme et la dramatisation . Inscrivant, via la tonalité voulue par le cinéaste de « la comédie dramatique », surfant sur une jolie musique douce-amère faisant écho au constat réaliste de la rupture avec son pays et la découverte de la clandestinité , à laquelle Elias , va se cogner . Celle-ci, va pourtant s’ouvrir par la solidarité et la rencontre , à l’espoir. La première partie plus lumineuse dans le sillage d’Elias vivant sa passion avec son caractère « cash » se moquant de son patron Youssfef et adorant sa grand-mère et ses recettes . Elle est l’objet de scènes savoureuses , où s’installe par moments la tonalité de la « comédie à l’italienne » Ce dernier , se montrant parfois taciturne, mais aussi séducteur avec la belle Selma à l’image de la superbe séquence où il lui fait goûter les yeux fermés, un plat préparé à son intention. Le relationnel humain lié à la nourriture , aux échanges et l’ouverture à l’autre qu’elle permet , prend tout son sens ici, faisant référence aux nombreux films ( le festin de Babette , Les délices de tokyo ...ou le récent La saveur des Ramen ) qui l’ont célébré. Ce plaisir distillé par les saveurs d’ailleurs , il trouve un bel écho dans la séquence où Elias reçu par la famille de son copain Africain émigré , Souleymane , découvre à son tour celles d’une autre culture qu’il ne connait pas . En remerciement, Elias leur concoctera un recette personnelle « un couscous au pain perdu » qui fera dire à Soulymane « tu as de l’or dans les mains , Elias ». L’invitant à creuser son sillon et vaincre l’adversité .

Dans la seconde partie , au cœur de la clandestinité de la capitale Française et des travailleurs immigrés sur les chantiers confrontés à l’ exploitation, et où, la
chasse aux clandestins par la police sévit et oblige à se cacher. La gravité du constat affleure, mais y répondra la solidarité qui s’organise et les petites débrouilles qui permettent d’aider celui qui est dans le besoin. Le soutien moral est là pour faire rempart au « mal du pays » que l’on a quitté , et se rassembler pour tenter de se divertir (la sortie en boîte de nuit ) pour oublier son spleen. Etre sur le qui vive, Elias n’y est pas habitué , surtout quand les difficultés rencontrées font resurgir les souvenirs douloureux. Ceux qui ravivent chez lui le le cauchemar de la tragédie du frère « qui a voulu traverser la mer pour aller en France , et dont on a jamais retrouvé le corps !». Alors il lui faudra tenir bon pour s’accrocher à son rêve et se sortir de ces « chantiers » qui le brisent, et lui ferment l’horizon . La belle amitié avec Souleymane ( Adama Diop ) , sera le remède contre le désespoir. Elias retrouvera sous l’impulsion de son camarade d’exil, la détermination qui lui permettra de retourner au pays, non pas en vaincu … mais en vainqueur . C’est un peu , le même combat que sera amené aussi à vivre le beau personnage de Selma ( Ouidad Elma) après son séjour de retour au Pays où elle a été rejetée par sa famille et son oncle intégriste, la traitant de « prostituée » , parce qu’elle porte des habits indécents !. De retour dans la cité de Banlieue Parisienne , il lui faudra à elle aussi trouver son chemin de liberté …
Tourné avec un budget serré , Jean – Philippe Gaud , signe un premier juste , très attachant et prometteur. Un cinéaste à suivre …
(Etienne Ballérini)
TAZZEKA de Jean- Philippe Gaud – 2018- Durée : 1h35.
AVEC : Madi Belem, Ouidad Elma, Adama Diop, Abbes Zahmani , Oliveir Sitruk, Khadija Bozekri…
LIEN : Bande- Annonce du film, Tazzeka de Jean- Philippe Gaud .