Le nouveau film de l’auteur de La Désintégration et de Fatima ( César du meilleur film 2016) sort sur les écrans. Le cinéaste y poursuit l’exploration de ses thèmes sur les exploités de la société contemporaine, sur l’émigration, l’exil et le déracinement. Magnifiques portraits d’hommes et de femmes portés par des comédiens exceptionnels et le regard cinéaste qui explore leurs solitudes et meurtrissures. Superbe récit, par petites touches, des diversités culturelles .
Au cœur du nouveau film du cinéaste, le déracinement de l’émigration dont la thématique déjà présente dans son oeuvre, y trouve cette fois-ci, un développement central au cœur du récit. L’itinéraire de son héros, Amin ( Moustapha Mbengue, remarquable ) devient emblématique d’un déracinement géographique dont les conséquences sur les vies, est au cœur. Le va- et -vient entre le pays d’origine et le pays d’accueil, est donné à voir comme symptomatique de ce que ce « choc » est représentatif ( ou le devient …), des enjeux qui s’y font jour. Enjeux dont le triple aspect économique, social et humain, est une dimension essentielle des perceptions, des conditions de vie, et des « confrontations » qui s’y jouent dans le monde globalisé, d’aujourd’hui. C’est cette multiplicité des « ressentis » que le cinéaste nous invite à suivre dans ce récit écrit à trois mains (avec Mustapha Karmoudi et Yasmina Nini-Faucon ), offrant la pluralité des points de vues. Le choix de la dimension chorale au cœur de la fragmentation des itinéraires et des vies de chacun, offre à la diversité des situations et des personnages, une belle ampleur. Amin, au centre de ce récit, fait parfois le lien via ses rencontres, mais il est aussi parmi tant d’autres hommes et femmes, le symbole plus large , d’un « état du monde »…

Et c’est cette dimension qui offre au film, son approche sociologique dont la thématique de l’exil permet au cinéaste de nous interpeller plus largement. Par l’approche formelle d’une mise en scène dont la sensibilité et la densité du regard poétique ne cesse de privilégier de film en film, celle, intimiste des individus par les mots, les gestes et les comportements les rendant à la fois uniques et universels , dans ce qu’ils reflètent du multiculturalisme du monde. C’est rare et magnifique, et rien que pour ce regard là qui ‘il nous propose ; cette dignité et ce respect qu’il diffuse, comme espoir en forme de réponse à tous les obscurantismes , on ne peut que lui en être gré !. D’autant que son constat ou état des lieux, est loin d’être béat d’optimisme, il en devient parfois même encore plus terriblement amer. Comme l’illustre une des première séquences du film où l’on fait la connaissance de ce vieil immigré, Abdelaziz, ayant travaillé « au noir » exploité pendant des années, dont le « silence » douloureux ouvre le film. Celui-ci, qui ne pourra bénéficier d’une retraite décente, va se retrouver démuni … et encore, une dernière fois exploité. La dignité bafouée est au cœur du film, et c’est elle qui sera le moteur du sursaut dont certains, à l’image d’Amin ou de sa femme plus tard, vont tenter de trouver rempart face à la dureté du quotidien, à l’exploitation ou à la Xénophobie. S’il y a la solidarité pour se réchauffer dans les foyers de réfugiés, il y a aussi l’humiliation qui guette, à l’image de ce jeune homme que la misère sexuelle entraîne chez une prostituée , et dont la « panne » au moment de l’acte, sera fustigée ..

Philippe Faucon décrit admirablement cet entre -deux, dont le déracinement de l’immigration entraîne bien des souffrances. Ici, et là bas au pays, où les familles sont restées et à qui l’on rend visite, trop rarement. C’est le cas d’Amin et de beaucoup d’immigrés travaillant sur les chantiers en France ou dans d’autres pays Européens, parfois illégalement , pour faire vivre leurs familles au Pays. Au Sénégal son pays , il s’y rendra parfois après de longues absences , on le suivra cette fois-ci avec l’argent recueilli chez ses compatriotes exilés, afin d’aider l’école de son village à apporter le savoir aux enfants. Il y retrouve, sa femme et ses trois enfants qui rêvent de le suivre en France, mais ce n’est pas possible « il y a des difficultés , le chômage aussi là bas .. » leur dit-il, et il lui faudra répartir et s’habituer à vivre avec ce déchirement de la séparation, de la solitude et de l’absence. Une situation dont sa femme Aïcha (Marème N’diaye, lumineuse ) va avoir de plus de mal à affronter le quotidien , d’autant que ses beaux-frères , en l’absence d’Amin la surveillent. Et qu’elle va devoir tenir tête à leurs pressions d’intégristes cherchant à la faire rentrer dans le rang , l’obligeant à faire porter le voile à ses filles et cherchant à la cantonner au foyer, interdite de sortir ! . Mais elle saura leur résister, à l’image des autres femmes dont le cinéaste a brossé les beaux portraits féminins ( Sabine / 1992, Samia / 2000, ou Fatima …) de résistantes au patriarcat (ou) au machisme sociétal. A celui ci dans les pays Africains, le cinéaste renvoie en miroir celui de la société occidentale dont Gabrielle ( Emmanuelle Devos, épatante ) subit elle aussi les effets du harcèlement de son mari dont elle est séparée, celui-ci se servant de l’alibi de leur fille, pour tenter , de la faire rentrer dans le rang !…

Au cœurs des ellipses du récit et des va-et-vient entre les continents ; face aux civilisations, mœurs et cultures qui enferment dans l’incompréhension, la stigmatisation et le rejet de l’autre. Philippe Faucon cherchant à y déceler les solitudes qui s’y inscrivent comme barrières, y ouvre la porte de l’espoir. Tenter de retrouver une dignité , se sortir de l’isolement, de la solitude et pallier à l’absence afin de pouvoir s’ouvrir d’autres espaces , et reconquérir une dignité. La subtilité de sa mise en scène, ouvre la possibilité exprimée par les gestes et les corps,dont la nécessité de reconstruction et d’affirmation parfois, remplaces les mots. A cet égard, est magnifique la symbolique des plans et du montage qui habillent le récit et le font évoluer par association. Pour exprimer, un fait ( l’argent caché dans les chaussettes pour passer la douane), ou un sentiment ( le furtif rapprochement des mains d’Amin et de Gabrielle ) qui en disent long. L’argent, l’exploitation et la corruption dans le premier cas; la manifestation du désir dans l’autre. C’est par un geste tout simple qui vient compléter des non-dits, que la liaison irrépressible entre Amin et Gabrielle, viendra combler deux solitudes souffrantes. Elle est d’autant plus magnifique qu’elle est montrée comme un espace de liberté qui a été gagné. Sans formes d’obligation ou de jugement, ni à donner , ni à recevoir ( la lettre anonyme explicite… ) qui soit susceptible de changer le cours d’une nécessité… qui n’implique que les concernés. C’est, cette liberté là, que Philippe Faucon , donne en exemple comme le plus beau des remèdes à la souffrance et à la solitude. La belle symbolique de l’amour en offerte, permettant à chacun de reconquérir une dignité…
(Etienne Ballérini)
AMIN de Philippe Faucon – 2018- Durée : 1h31.
AVEC : Moustafa Mbengue , Emmanuelle Devos, Fantine Harduin, Marème N’Diaye, Loubna Abidar, Nourredine Bennallouche, Moustafa Naham, Jalal Quariwa…
LIEN : Bande-Annonce du film : Amin de Philippe Faucon .
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