Théâtre – Une nécessité : Les suppliantes d’Eschyle

La résistance magnifiée, transcendée, c’est l’essence même de la tragédie. Ainsi s’exprime dans le n° de septembre du mensuel La Terrasse, l’acteur, dramaturge et metteur en scène Simon  Abkarian. Je crois que je ne pourrais mieux m’exprimer à propos de la pièce d’Eschyle, Les Suppliantes, vue à la fête de l’Humanité. 


« Pièce forte, magnifique, transcendante » et patin et couffin…. Non, tout simplement du théâtre NECESSAIRE. Point final. Je pourrais m’arrêter là. Mais moi, vous m’connaissez ? Pour m’arrêter, c’est pas gagné. Allez, un petit rafraichissement.
On s’accorde aujourd’hui à reconnaître dans les Suppliantes la plus ancienne pièce d’Eschyle La pièce débute par un chœur où les cinquante filles de Danaos expriment leur aversion pour le mariage auquel leurs cinquante cousins, fils de leur oncle Égyptos, prétendent les contraindre. Pour y échapper, elles se sont enfuies de l’Égypte pour se réfugier à Argos. Le roi du pays, averti de leur arrivée, vient les interroger. Elles lui font reconnaître leur origine et leur parenté avec les Argiens et lui demandent sa protection. Il hésite à l’accorder, dans la crainte d’avoir à soutenir une guerre avec les fils d’Égyptos ; mais elles invoquent avec insistance les droits de l’hospitalité, et le roi, après avoir consulté son peuple, se décide à les défendre.
Cela ne vous rappelle rien ? Des femmes contraintes à l’exil allant demander au prince du pays où elles ont pris refuge de pouvoir y demeurer ? Ce ne serait pas ce qu’on appelle  des migrants, par hasard ? Pour une œuvre écrite il y a 2500 ans, que voilà une problématique hélas bien contemporaine !
C’est ce qu’a dû se dire le metteur en scène Jean Luc Bansard à la lecture de la pièce. Et une évidence : seuls des migrants pouvait s’emparer de ce texte. Quels autres actrices et acteurs pouvaient ressentir ces mots vieux de 25 siècles, mieux appréhender cette histoire ?
Je disais que ce théâtre était nécessaire, et ce n’est pas qu’un mot. Je dirais même plus : ce travail est dans la lignée de celui de Peter Brook. Un instant, vous allez comprendre.
D’abord, le spectacle est joué en français surtout et dans la langue des migrants eux-mêmes. Ils viennent de neuf pays différents : Syrie, Erythrée, Mongolie, Kosovo, Albanie, Guinée, Algérie, Tunisie, Afghanistan, Afrique centrale…)
 La scénographie a l’évidence des choses simples. En fond de scène, quelques bancs disposés en arc de cercle disposés sur toute la largeur. Ils indiquent bien sûr l’espace de jeu, mais aussi, par métonymie, l’espace d’un pays, et donc ses frontières. Quelque part, cette « frontière », c’est l’antichambre racinienne.
Quant  à l’occupation de l’espace, elle tient constamment de la chorégraphie : lorsque les suppliantes forment un bloc pour résister aux soldats – tous également sont des migrants- quand elles se déplacent vers le roi, quand elles dansent la liberté retrouvée.
«C’est une histoire comme la votre », dit le metteur en scène à ses acteurs.
Malek, lui, faisait de l’alphabétisation au Secours Catholique quand Jean Luc Bansard est passé à la recherche d’acteurs. Originaire de Sétif, en Algérie, Malek était encore plus éloigné du théâtre : il était policier, membre de la brigade spéciale anti-terroriste. Dans les années noires du terrorisme, sa patrouille a été prise dans une embuscade, la voiture a sauté sur une bombe.
Alice Atieno, kenyane, a été mariée de force à 17 ans, une première fois. Répudiée, elle est à nouveau promise à un homme plus âgé. Elle a finalement réussi à s’enfuir. Aujourd’hui, elle est une Danaïde. Elle raconte une histoire qui est aussi la sienne. Une histoire qui est aussi la sienne… Et nous, sommes nous sûr que cette histoire n’a pas été aussi la nôtre ?
Qui est Jean Luc Bansard ? Il aura été soudeur, électricien, chauffeur, instituteur, calorifugeur, tuyauteur, balayeur, comédien, metteur en scène, technicien, responsable artistique. Il est né en 1952 à Mayenne. Passionné de théâtre depuis l’âge de 18 ans, il se professionnalise à 35 ans à travers une formation d’acteur dans des stages professionnels dans les centres dramatiques nationaux. C’est en 1987 qu’il crée avec Brigitte Prévost et Martine Libot, la compagnie du Théâtre du Tiroir et en assure depuis la responsabilité artistique. Passeur de théâtre, Jean-Luc Bansard encadre de nombreux stages en France et à l’étranger (Belgique, Tunisie, Russie, Dominica, Haiti, Moldavie, Pologne, Algérie).
Je laisse la fin à Michel Rouger :
Avec les comédiens lavallois amateurs qui les accompagnent (la pièce réunit quelque trente acteurs au total), Walid, Malek, Odko, venue de Mongolie avec son mari Eegii, Vera et Pranvera les Albanaises, Zérit l’Érythréen, Elezi et Nuredini les Kosovars et tous les autres ont commencé à s’échauffer corps et voix. Ensuite, le chœur des femmes s’est formé, le silence s’est fait,  le chant de la tragédie grecque a alors empli la scène. Superbe chant créé par le musicien de la compagnie, Olivier Messager, parvenu à fondre dans une même couleur des parlers différents.

Jacques Barbarin

Droits photos : Philippe Chéret

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