La mort est con. Elle enlève la vie des gens, bêtement. D’ailleurs, elle est bête. Elle ne sait pas que les gens restent. L’ouvrier qui transmet le métier à l’apprenti. L’enseignant qui transmet son savoir ses élèves. Et cette transmission, cet héritage, pas de droits de succession dessus.
Marceline Loridan- Ivens est morte. Elle n’est pas « décédée », pas « disparue »
elle est morte. Tout simplement.

Si je devais la comparer, je parlerais de Marie Curie. Toutes deux courageuses, tous deux amoureuses, toutes deux veuves, toute deux perpétuant l’œuvre entamée par le mari, qui était également le leur.
Marceline Rosenberg naît en 1928 de parents juifs polonais, émigrés en France en 1919. Au début de la seconde guerre mondiale, sa famille s’installe dans le Vaucluse. C’est là que Marceline Rosenberg entre dans la Résistance. Capturée par la avec son père, Szlama Rosenberg,elle est envoyée à Auschwitz Birkenau par le convoi 71 du 13 avril 1944, dans le même convoi que Simone Weil, puis à Bergen Belsen et enfin au camp de concentration de Theresienstadt. Elle recouvre la liberté à la libération du camp, le 10 mai 1945, par l’ ‘Armée Rouge.

En 1963, elle rencontre et épouse le réalisateur de documentaire Joris Ivens .Elle l’assiste dans son travail et co-réalise certains de ses films. En 2003, elle réalise un film de fiction : La petite prairie aux bouleaux avec Anouk Aimée, très inspiré de son parcours dans les camps (le titre est la traduction du terme polonais Brzezinka, germanisé en Birkenau). Un témoin de son histoire.
Au demeurant, les lecteurs de ciaovivalaculture la connaissent bien: j’y ai consacré deux article sur deux de ses livres, « Et tu n’est pas revenu », portrait émouvant de son père, dont on ne sait ce qu’il est devenu » Ma vie balagan« , bien autre chose qu’une autobiographie. Un autre livre à lire, « L’amour après » . Comment retrouver la joie; aimer, désirer? Marceline y arrive très bien. Simone Veil disait d’elle : « Même dans les camps, elle arrivait à nous faire rire ».

Si vous deviez n’en lire qu’un (les trois serait bien ) je conseille « Ma vie balagan » Balagan est un terme yddish qui signifie à peu prés « à la va comme j’te pousse ». Les souvenirs de Marceline sont cassés comme son passé, mais ils sont là. Ce qui me fascine dans ce livre c’est le ton, la liberté de ton. On a l’impression qu’elle est en face de nous et que nous bavardons. Comme dans toute conversation, parfois ça dévie, on a presque l’impression de l’entendre dire : « Bon, où est-ce que j’en étais ? » Je me cite moi-même, donc pas de contrefaçon. 90 ans. Mais il n’y a pas d’âge pour « partir »
Marceline au Panthéon, je suis pour. Elle retrouvera sa copine, Simone. Elle la fera encore rire…
Jacques Barbarin
Photo de Marceline Loridan Ivens: Jean François Paga.
Note : les livres cités dans cet article existent aussi en édition de poche .