Le libertinage moderne cher au cinéaste de Un Baiser s’il vous plaît ( 2007) et de Une autre vie (2013) trouve son prolongement avec l’adaptation d’un épisode de Jacques le fataliste de Diderot. Le récit de la vengeance d’une femme délaissée , dont la modernité du texte et du conte de l’auteur du XVIII ème , renvoie ses échos à certains combats des femmes d’aujourd’hui . Mariage réussi des mots et de l’image . Un régal…
Le cinéaste qui a su manier dans ses œuvres le plaisir des mots et ceux des sentiments et des désirs masculins et féminins, via la tonalité de la comédie, s’y retrouvant souvent au cœur des situations , où la maladresse servait à ses héros ou héroïnes de rempart habile pour parvenir à leurs fins . La passion amoureuse est une constante qui traverse les siècles et les génération avec les conséquences qu’elle génère : dissimulations , mensonges, trahisons , vengeance. .. qui le sont toujours au nom de l’amour . Et c’est le privilège de la littérature (… et du cinéma ) que d’ explorer , sans juger , les vices et ( ou ) les vertus, des âmes qui y sont soumises . La création permet cette liberté de s’en détacher afin de donner à comprendre les excès , et ce n’est donc pas un hasard , si finalement le cinéaste a fini par aller puiser dans la littérature et chez Diderot ici , son inspiration . Jusque là , seuls les « marivaudages » de celle-ci y faisaient écho , au cœur de la modernité des récits du présent. Cette fois-ci , il franchit le pas de l’adaptation « en costumes » comme ont dit , avec une partie du texte de Jacques le fataliste et son maître . On y retrouve , Madame de La Pommeraye ( Cécile De France ), qui après avoir résisté au assauts du libertin Marquis des Arcis (Edouard Baer, maniant le verbe comme jamais …) finit par céder à ses promesses, le croyant sincère . Mais le temps qui passe ,va faire faner comme les plus belles fleurs , les promesses d’amour éternel, et voilà notre aimante qui , sans mot dire jouant elle aussi sur la lassitude , va fomenter en secret sa vengeance impitoyable …

Celle qui lui permettra de répondre à la trahison amoureuse dont elle se sent la victime,du désamour . A celle -ci , elle va ajouter un cynisme imperturbable dans le cheminement qui doit lui permettre , blessée dans sa chair et sa dignité bafouée, de corriger celui qui la déshonore par un tel comportement . C’est ce cheminement- porté par une Cécile de France froide et calculatrice qui va tout faire pour corriger et humilier celui qui l’a trahie – qui fait la force du récit et du film dont la mise en scène de la dramaturgie qui y conduit, est magnifiquement habillée par l’élégance d’une mise en scène qui l’inscrit dans le cadre des décors , intérieurs et extérieurs , où les dialogues y sont mis en perspective dans l’espace . Superbes séquences où les jeux de mots et de lumières, renvoient l’écho des frissons des sentiments qui s’y jouent . Au coeur d’une ballade dans les jardins , les allées , au bord d’un étang , ou encore dans des intérieurs où comportements et sentiments, se » jaugent » en catimini. L’élégance du « ne rien laisser paraître »,ou celle du « libertinage » toujours présente dans les comportements comme dans les mots choisis et mesurés , irrigue le récit du suspense . En même temps qu’elle offre à la dimension du sentiment de trahison ressenti poussant à renvoyer à l’autre la cruauté de l’humiliation subie , en une sorte d’effet boomerang implacable . Il le sera d’autant plus , que , au delà de la victime désignée, l’humiliation ourdie impactera …celles qui serviront d’appât à sa vengeance . Celles, que Mme De La Pommeraye , fera ses complices piégées : Mademoiselle de Joncquières( Alice Isaaz, épatante ) et sa mère ( Natalia Dontcheva, émouvante ) . Une mère et une fille de noblesse déchues , vouées à la prostitution , et qu’elle sacrifiera à son désir de vengeance . Déjà faibles et humiliées , elle prolongera leur martyre. C’est le beau contrepoint , introduit par le récit pointant le revers de la médaille de la vengeance, poussant à « sacrifier » à celle-ci, ses pareilles déjà touchées par l’infortune …

C’est d’autant plus fort que cela installe un véritable malaise difficilement justifiable dont l’habileté , consiste à montrer qu’une « oppression » peut … en entraîner, une autre ! . Dès lors , se décline au cœur du récit la subtilité d’un constat , aussi , de rapports de classes et de forces qui s’y jouent. Ceux où la notion de sacrifice qui se glisse – ou s’invite- au cœur de celui-ci , donne à comprendre le long chemin du respect et de la liberté qu’il reste à parcourir , pour la conquérir . Celui qui passe par le respect de chacun , quel que soit sa condition sociale , sa race , son sexe ou sa religion… afin de ne plus avoir recours à l’oppression pour y parvenir , il en va de la dignité et de la liberté de chacun. C’est ce qui fait la force de l’oeuvre de Diderot à laquelle Emmanuel Mouret, dans sa superbe adaptation, renvoie tous les éléments qui font sens et écho au monde d’aujourd’hui . « Les questions morales que se pose le 18e siècle sont toujours à l’œuvre de nos jours. Pendant et après la Régence, la société est clivée comme jamais, comme la nôtre, entre l’amour profane, le goût des plaisirs, et un amour plus sacré. Libertins ou pas, ceux qui ont traversé cette époque sont aussi intérieurement clivés que nous le sommes aujourd’hui », relève le cinéaste . Il y est aussi question de réflexion et , de questionnement , sur les notions de loi , de la morale et de la raison, thèmes chers aux intellectuels du XVIII ème siècle . Cette idée de raison , au cœur des préoccupations morales et littéraires des auteurs du siécle de Diderot, qui parfois comme ici , se retrouvent en contradiction – dans la population , y compris dans la haute société et ses règles -,avec les sentiments et désirs qu’ils ont du mal à maîtriser et , qui parfois , les enferment dans leurs pièges …

L’autre belle idée d’Emmanuel Mouret , en prolongement des questionnements soulevés par le texte de Diderot , est d’avoir eu l’idée afin de donner de l’ampleur à certains éléments du récit , ou personnages qui les représentent . Passionné par ce que ces derniers portent comme failles révélatrices , le cinéaste loin de trahir Diderot a souhaité enrichir et prolonger , ce qui était resté à l’état d’ébauche au coeur du livre , Jacques Le Fataliste et son maître. Ainsi celui de Madame de la Pommeraye qu’il développe davantage, lui offrant même le contrepoint du personnage – lui inventé – de sa confidente et amie ( Laure Calamy) , comme élément modérateur de ses excès . Il épaissit également, celui de Mademoiselle De Joncquières dont le marquis va tomber Amoureux, celle-ci qui n’apparaissant chez Diderot, qu’en fin de récit. Ici , elle est au centre victime avec sa mère de la machination de vengeance , mais surtout terrorisée par ce qu’elle lui révèle d’une société qui la jetée dans l’opprobre dont elle veut à tout prix se sortir , et tenter de reconquérir sa dignité de femme . Son chemin de liberté à elle, il se construira au cœur de la machination . Beau et émouvant personnage au cœur d’un récit qui , au bout du conte , laisse s’insinuer l’espoir. C’est vraiment du , très , beau travail. Le plaisir du spectateur est entier porté par celui des mots et des sentiments dont les failles et faiblesses , explosent au coeur de cette entreprise de vengeance ravageur ( la superbe scène finale …)qui ne laissera personne indemne …
( Etienne Ballérini)
MADEMOISELLE DE JONCQUIERES d’Emmanuel Mouret – 2018- Durée ; 1h 49.
AVEC : Cécile De France , Edouard Baer , Alice Isaaz, Natacha Dontcheva, Laure Calamy,…
LIEN : Bande-Annonce du film Mademoiselle De Joncquières d’Emmanuel Mouret.
Jolie critique.
[…] de l’interprétation avec une mention spéciale à Alice Isaaz (vue dans Rosalie Blum, Mademoiselle de Joncquières, Le Mystère Henri Pick) et Deborah François (Le Premier Jour du reste de ta vie, Cézanne et moi, […]
[…] qui règle ses comptes. Avec Bérénice Bejo, Cédric Kahn et Marthe Keller. OCS City à 16h25 Mademoiselle des Joncquières d’Emmanuel Mouret (2018). Libre adaptation de Jacques le fataliste de Denis Diderot et le 1er […]
[…] Jean-Pierre Bacri, Vincent Rottiers, Ludmila Mikaël, Sylvie Testud. Ciné+Frisson à 19h10 – Mademoiselle des Joncquières d’Emmanuel Mouret (2017 – 1h45). Au XVIIIe siècle, madame de La Pommeraye, jeune et jolie […]