Cinéma / PREMIERE ANNEE de Thomas Lilti.

La première année du concours de médecine et ses enjeux, le cinéaste d’Hyppocrate (2014) et de Médecin de campagne (2016 ) , nous entraîne dans le sillage d’Antoine et Benjamin , au cœur d’un système éducatif et de formation, reflet du modèle « libéral » et des inégalités qui s’y expriment. Le roman d’apprentissage auquel la tonalité humoristique imprègne la juste distanciation du constat réaliste, fait mouche…

Le cinéaste qui a fait lui- même des études de médecine l’ayant amené à pratiquer le métier et dont le passage derrière la caméra , nous a révélé avec le succès d’Hyppocrate, la volonté à la fois , de porter à la connaissance du grand public les coulisses d’un métier et d’une vocation dont on a du mal -souvent- à mesurer les enjeux d’un parcours , et d’un vécu quotidien. C’est au cœur de celui-ci qu’il nous entraînait dans le sillage de ses héros jeunes médecins stagiaires , dans l’hôpital en pleine effervescence conflictuelle liée au manque d’effectifs et aux appareils vétustes, mettant en danger la vie des patients . De la même manière que le vécu quotidien du Médecin de campagne proposait un « état des lieux » sur le manque des médecins et de la prévention de la santé dans les zones rurales, et les possibles conséquences dramatiques qui peuvent survenir . Son troisième film sur le sujet , Première année  qui viens de sortir  sur les écrans est une sorte de retour aux sources sur une vocation qui se retrouve confrontée à la réalité d’un contexte global liés à des choix de société et politiques , dont ici, le concours de cette première année , dévient emblématique . C’est ce « symptôme » qui est à l’origine du désir du cinéaste  de  poursuivre sa réflexion sur le sujet , lui permettant de donner à voir et à comprendre comment celui-ci, dès le début , se construit sur une sorte de «  malentendu » . Celui où les volontés et l’énergie des étudiants postulants , se retrouvent prisonnières d’ un système qui les forme ( formate…) , et ce qu’il révèle des enjeux, éducatifs et sociétaux …

Au centre : Antoine ( Vincent  Lacoste)  et Benjamin ( William Lebghil ) , sur les bancs de l’amphi pour la rentrée – Crédit photo:Le Pacte distribution –

Le cinéaste pointe donc d’emblée, les raisons qui l’ont poussé à faire le chemin inverse pour décrire ce qui , dès les premiers pas de l’engagement des étudiants postulants au métier , semble les installer sur des mauvais rails : «  Ce qui m’intéresse ici, c’est la jeunesse et la façon dont le système ne fait rien pour les aider et les mettre en valeur. Je voulais raconter la violence et l’épreuve que sont ces grands concours qui déterminent toute une vie. Cette première année de médecine (…), je l’ai vécue. La médecine n’est pas, ici, un prétexte mais plutôt un « contexte », une porte d’entrée qui doit permettre aux spectateurs de comprendre très vite le but des personnages. Un moyen de parler de cette « hyper compétition » dans laquelle notre époque nous oblige à vivre. On sort à peine du lycée et déjà le système des études supérieures nous met en compétition, nous classe, nous oppose. À quel moment on a fini par trouver ça normal ? Est-ce que ce système marche vraiment ?. Par ce film, je voulais faire un constat et soulever ces questions » , dit-il . La rencontre d’Antoine et de Benjamin dans l’amphi bondé lors de la première journée , où comme tant d’autres ils jouent leur avenir , nous propose dès lors la lecture d’un mécanisme aux accents Kafkaïens dans lequel ils se retrouvent soumis , qui leur  impose d’emblée les règles d’une concurrence effrénée au résultat,  avec tout ce qui l’accompagne comme sacrifies . En effet, seuls 300 d’entr’eux sur les  plus de 2500 postulants seront retenus !. La sélection –  va entraîner bien sûr la  compétition où les inégalités sociales vont se révéler,  faisant écho à la fameuse  » égalité des chances « ,devenant un « leurre »-  celle-ci en définissant les limites, car les sacrifices et privations à faire , ne sont pas les mêmes pour tous ….

Antoine et Benjamin préparant leur examen au milieu des documents de travail – crédit Photo , Le Pacte Distribtion-

C’est bien le constat qu’en a fait Antoine ( Vincent Lacoste ) aux origines modestes et venant de la banlieue , Antoine qui tente de s’accrocher, mais a déjà essuyé deux échecs ! . Pourtant il va persister, et il trouve même dans les commentaires et attitudes de certains qui affichent  leur supériorité de classe , une certaine motivation . A ce petit jeu, l’humour provocateur de Vincent Lacoste fait merveille , complété par celui qu ‘ajoutera le soutien de son associé , dans le travail de préparation en commun à l’examen , Benjamin ( William Lebghil ) , et le  « duo » fonctionne à merveille .  La complicité stimulante qui y est au cœur , fait l’objet de magnifiques scènes où tout un système des mise en branle , est ingénieusement mis en place . C’est par ce biais, que le « mécanisme » de la dérive absurde à laquelle conduit celui -ci , est mis en évidence par Antoine et Benjamin qui s’y plient …jusqu’à l’épuisement . « on se rapproche plus du reptile que de l’être  humain  » , comment  Benjamin . Ils ne laisseront rien au hasard , planifiant tout jusque dans les moindres détails afin de pouvoir « ingurgiter », livres et polycopiés, tapissant les murs de « notes » de rappels mnémotechniques. Même lors des trajets en ville ou des repas , les révisions remplacent les dialogues habituels … leur quotidien est minuté , scandé en vue de l’objectif . A cet égard , ils deviennent les objets au service… de l’objectif à atteindre !. Se couler dans le « moule » , jusqu’à  devenir esclave de la concurrence au service de la productivité . Leur rythme est soutenu par une belle partition musicale pleine d’énergie , composée par le groupe, loW…

Même les sorties sont studieuses pour Antoine et Benjamin – Crédit Photo , Le Pacte Distribution –

C’est ce ressenti , cette forme de « violence sociale » que Thomas Lilti décrit avec une efficacité d’autant plus forte qu’il nous la fait percevoir par le biais d’un vécu personnel, dont Antoine et Benjamin sont les acteurs modernes d’un système par lequel ils sont contraints de passer. Au cœur de leur «  stratégie » de travail en commun , c’est pourtant aussi leurs différences sociales et d’éducation , qui vont se faire jour . C’est le point , sur lequel le cinéaste insiste en le mettant en avant de manière subtile , faisant à un moment donné « décrocher » Antoine qui en a pris conscience , et se soit renvoyé à cet, « état » d’infériorité qui le bloque , et provoque chez lui le malaise et la peur de son avenir dont il voit l’espoir  s’assombrir . Le trouble d’Antoine , lié au sentiment de valorisation sociale ,via lequel l’examen tend à privilégier les candidats , devient un barrage psychologique le poussant, à un repli . La compétition détruit : « Les études ne sont plus là pour former, elles valorisent des compétences qu’on a déjà… » , relève Thomas Lilti, offrant à son récit la dimension politique . Le constat s’il est amer , il le porte par un récit et une mise en scène à la « Frank Capra » à laquelle le  «  twist » final – pas si simpliste ou idéaliste que ça- offre la dimension solidaire, chère au cinéaste . Ce dernier préférant l’ouvrir à la dimension humaine, comme «  ..une sorte d’antidote à ce monde hyper compétitif ,dans lequel on nous fait vivre », conclut-il .

(Etienne Ballérini )

PREMIERE ANNEE de Thomas Lilti – 2018- Durée 1h 32 –

AVEC : Vincent Lacoste , William Lebghil , Michel Lerousseau, Darina Al Joundi, Benoit Di Marco, Graziella Delerm, Gillaume Clérice , Alexandre Blazy , Némi Silvania ….

LIEN : Bande -Annonce du film , Première Année de Thomas Lilti.

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