Le grand documentariste , pose cette fois-ci son regard sur les élèves infirmières ( iers) , celles et ceux qui ont choisi, d’écouter et soigner les maux du corps et la souffrance psychologique des patients dont ils auront , à l’issue de leur formation , la charge . Un regard d’une rare humanité , un récit poignant sur un rouage essentiel de la vie collective…

Le cinéaste qui est à compter parmi les plus grands documentaristes nous a habitués à ce regard attentif et juste qui dès ses premiers courts métrages, était la marque d’un grand humaniste s’attachant à décrire les parcours et les destinées humaines de toute nature ( 1). Les aventuriers sportifs de ses premiers courts métrages , ou les handicapés ( Le pays des sourds /1993 ) de son premier long métrage, et les institutions : l’institut psychiatrique ( La moindre des choses/ 1997) , les musées ( la ville Louvre / 1990) , la Télévision ( la voix de son maître et Patrons / télévisions co-réalisé avec Gérard Mordillat / 1978 ), la radio ( La maison de la Radio / 2013 , l’école ( Etre et avoir / 2002 ) . Mais aussi , les animaux ( La nuit tombe sur la ménagerie / 2010, Un animal des animaux / 1995 et Nenette / 2010). Le cinéaste avait depuis longtemps l’idée de se pencher sur un secteur fondamental en charge de la santé publique . C’est , un des événements de la ( sa ) vie privée qui en a précipité la mise en marche , dit-il dans le dossier de presse . Hospitalisé en 2016 pour une embolie , il s’est donc retrouvé aux urgences et dans la peau d’un patient en soins . Le voici donc , cette fois-ci , nous entraînant dans le vivier de la formation aux soins infirmiers . Ils sont 330 instituts de formation en soins infirmiers en France , qui tous « doivent respecter le même référentiel des compétences », préparant au diplôme d’état . Six stages , dont un stage par trimestre , en « familles de situation » dont : « soins de courte ou longue durée », en « santé mentale et psychiatrique », en « soins et réadaptation » suite à accidents ou opération , et stage de soins ( individuels et collectifs en milieu de vie : Crèche, Hepad etc …) . 60 000 candidats s’y présentent chaque année ….

C’est donc à cet « apprentissage » d’un métier auquel il se destinent dans les différentes structures auxquelles seront attachées les destinés les futurs stagiaires ayant réussi le concours , dont le cinéaste nous en décrit les premiers pas dans le quotidien de la formation. A la fois pour montrer ce que celui-ci représente « en amont » de règles de soins et d’hygiène à respecter afin d’acquérir le bon geste, mais aussi savoir affronter psychologiquement les différentes réactions des patients inquiets qui se trouveront face à eux , confrontés à un petit ( blessure légère… ) ou grand ( blessure ou maladie grave ), drame de sa vie . Un moment d’inquiétude auquel le soutien psychologique du personnel est indispensable pour , accompagner le malade et le préparer afin de faire face aux défaillance auxquelles son état de faiblesse l’expose . Le film construit en trois chapitres , nous propose donc de suivre les jeunes élèves stagiaires de l’institut de Montreuil ( 93 ) dans leur parcours de formation . D’emblée l’attention du regard du cinéaste y fait merveille avec les premières réunions face aux formateurs , où se font jour les inquiétudes de certains de savoir » s’ils seront à la hauteur » , puis vont se fondre dans la détermination collective avec le soutien de leurs camarades , accompagnés par les conseils des formateurs . Mettant en avant , ce sentiment de « se rendre utile » qui a motivé leur démarche qui oblige à s’y préparer , afin d’être à l’écoute des patients qu’ils auront la charge de rassurer en se montrant sûrs d’eux-mêmes . L’ entr’aide y est essentielle , accompagnant le travail des formateurs , pour permettre de se désinhiber et surmonter les peurs , afin de réussir une injection musculaire ou intra-veineuse , appendre le geste qui sauve… d’une blessure au couteau , ou savoir déplacer du lit vers le fauteuil un patient hémiplégique. Nicolas Philibert qui aime bien avoir le recul de la distanciation et du sourire, ne rate pas certaines situations cocasses . A l’image de celle où la simulation d’ un accouchement urgent à affronter dans la vie quotidienne , c’est un jeune noir en cobaye devant simuler les douleurs et contractions qui sera exposé au soins des mains féminines devant avoir les bons gestes et réflexes … ponctués par un éclat de rire général , lorsque l’enfant paraît !..

Le cinéaste fait également par son attention de tous les instants, le miracle de la réussite de certaines scènes où les élèves se retrouvent en stage , en « milieu de vie » face à de vrais patients, sur lesquels- suivis par le médecin formateur – ils doivent exercer pour la première fois en « live ». Passer du vituel à la pratique . On y découvre des séquences pleines de réalisme et de réactions inattendues où le cocasse là aussi, côtoie le bouleversant. A l’image de cette patiente qui contrôle et commente le moindre geste d’une stagiaire , lui assurant que compte tenu de son caractère inquiet « et de son expérience des hôpitaux elle sait détecter aussitôt si le produit injecté pour calmer son mal l’a été …dans le bon dosage ! » . Ou encore, cette réflexion d’un autre patient cloué sur son lit après une opération délicate , pour laquelle le stagiaire prodiguant les soins ,lui demande « du temps et de la patience » , à qui ce dernier lui rétorque : « ça tombe bien , j’ai rien à faire de l’après-midi ! » . il y a aussi les réactions de ces enfants , yeux tous ronds, observant les moindres gestes des jeunes soignants leur retirant le plâtre du bras, et heureux de la délivrance . Ces séquences ponctuées de beaux moments , on en retrouve encore , lors du passage en fin de stage au moment du bilan ,et de la discussion avec les responsables . Le plus beau et émouvant sur le ressenti , l’apport et le vécu de l’expérience , raconté par l’un d’entr’eux, marqué à vie dit-il par la rencontre avec un malade en phase terminale d’un cancer , avec lequel il a eu le sentiment d’avoir noué un dialogue tout au long des derniers jours passés avec lui et jusqu’à son dernier souffle , où il a vu ce dernier » partir apaisé, ça m’a marqué pour la vie », dit-il . Illustrant superbement la » mission » et le dévouement qui est au coeur du métier…

On est là donc , au cœur de l’un des rouages essentiels dont ce beau témoignage montre , si besoin était , l’obligation de continuer à le faire vivre pour préserver l’accompagnement de la souffrance dans la dignité . Lui donner les moyens et non pas le spolier de ses forces vives en réduisant les effectifs ou les budgets au nom de la rentabilité ! Le choix est celui d’une politique de santé à sauvegarder . Comme le souligne au cours d’une discussion une des formatrices , qui explique « commet voulez-vous que l’on puisse consacrer des soins normaux qui demandent du temps, alors que l’on réduit de moitié le personnel … pour faire le même travail ! » . De la même manière , c’est une élève qui se plaint lors de l’entretien
post- stage des conséquences qu’un contexte difficile peut entraîner , et se plaignant d’avoir subi des pressions des humiliations. Des comportements indignes que ne justifie pas la pression et qu’il faut dénoncer lui dira une responsable de stage, car » elles seront sanctionnées pour manque à la déontologie « . Au regard attentif à tout de Nicolas Philbert cela ne pouvait échapper , et s’il le soulève au cœur d’un film qui par ailleurs , se veut avat tout , un vibrant hommage à tous celles ( les plus nombreuses , dit le cinéaste ) et ceux qui embrassent ce métier, dont le dévouement mérite le respect, et surtout, devrait être appuyé par les financements politiques nécessaires . Afin qu’il reste , le noyau central de la solidarité d’un système de santé ( belle séquence du texte fondateur y faisant référence, lue en début de stage par une formatrice ) qui doit respecter tout individu ( sexe , couleur , nationalité , religion …) dont la priorité est d’être soigné sans tenir compte de sa « différence » , particularité , voire handicap .Pas d’ostracisme , on est tous les mêmes confrontés à la douleur et l’épreuve de la maladie , de la souffrance, de l’infirmité , jusque et y compris, dans le chemin qui mène à la fin de vie …
Nicolas Philibert signe un film où l’humain irradie pour nous donner la leçon qui compte : celle que nous transmettent les mots des élèves dont l’objectif est de se sentir utiles à l’autre et de s’enrichir de ce que tel ou tel patient , a pu lui apporter. C’est cette humanité et cet espoir dans le futur , dont les jeunes que le film nous invite à suivre , se disent unanimement investis dans un parcours de travail et de vie qu’ils souhaitent embrasser . Nicolas Philibert, donne à voir et entende cet investissement . C’est ce qui fait le prix , la richesse humaine et la dignité de son film . A voir sans hésiter …
(Etienne Ballérini)
DE CHAQUE INSTANT de Nicolas Philibert – 2018 –
Avec les éléves , et fromatrices et formateurs de l’IFPS de Montreuil .
LIEN : Bande -annonce du film : De chaque instant de Nicolas Philibert
(1) La sortie en version restaurée d’une dizaine de ses films , est prévue dans les semaines à venir .