Un jeune coursier retrouve lors d’une livraison une amie d’enfance de son village natal dont il tombe amoureux . Au retour d’un voyage en Afrique elle lui présente Ben, un garçon qu’elle a rencontré . Autour des rapports du trio , le cinéaste ( de Secret Sunshine / 2007 et de Poétry / 2010 ) y inscrit le mystère, la poésie , et la forme du thriller porté par une mise en scène hypnotique . Prix de la Critique internationale au dernier Festival de Cannes. Superbe !…

Adapté d’un récit d’une nouvelle du Japonais Haruki Murakami , Les Granges brûlées dont le cinéaste dit, avoir aimé le mystère qui s’y cache dans les « petits riens » du quotidien révélateurs d’un profond questionnement sur la ( les ) désillusions sociétales , auxquelles sont confrontés les jeunes d’aujourd’hui , toute classes sociales confondues. Le trio de jeunes au coeur du film qui les symbolise, dont il explore les non-dits et les comportements mystérieux , par une mise en scène qui nous entraîne à les décrypter , avec une fausse nonchalance . Afin de sonder l’invisible , dit- il : « Ces trous béants dans l’enchaînement des événements, la pièce manquante qui nous empêche de connaître la vérité, font référence au monde mystérieux dans lequel nous vivons aujourd’hui, ce monde dans lequel on sent bien que quelque chose ne va pas, sans pourtant réussir à expliquer précisément de quoi il s’agit » . La force du récit et du film, est dans cette quête dans laquelle le cinéaste nous entraîne dont il distille les angles d’approches possibles, des non-dits qui n’y trouvent pas réponse , obligeant le spectateur, à s’interroger y compris au delà de la projection , sur les zones d’ombre laissées en suspension. Et notamment sur cette « colère » rentrée dont chacun des personnages du trio en question, est porteur. Celle qui définit le rapport à l’autre et le rapport au monde. Celui d ‘un vécu où le passé et le présent, se télescopent au cœur d’un mal-être ressenti et d’une rage intériorisée . Celle qui va finir par attiser le feu brûlant du titre, éclatant dans la séquence finale , tragiquement libératrice de toutes les violences . A l’image de celle qui , petit à petit , sous le feu de la passion consume le jeune livreur , Jongsu ( Ah-in Yoo) qui va finir par laisser exploser sa colère …

Ce dernier , au delà de son activité de livreur à mi-temps , ses études finies et un avenir en construction , rêve de devenir écrivain . Il se dit d’ailleurs admirateur de William Faulkner dont le film s’inspire également de son récit ( Ban Burning / 1939 ) portant le même titre que la nouvelle de l’auteur Japonais. D’ailleurs ce « lien » est loin d’être un hasard, puisque les œuvres – à distance – des deux auteurs, font état d’un sentiment de colère , lié au mal- être sociétal auquel le cinéaste fait écho dans la citation ci-dessus . C’est d’ailleurs dans la description subtile , accompagnée des non-dits reflétant le ressenti intime de chacun de ses héros , que le cinéaste fait merveille . En cherchant à le sonder au plus profond , surtout dans ce qu’ils gardent en secret et ( ou ) dans les postures derrières lesquelles il se cachent. Et Lee Chang-Dong , si vous avez vu son Poétry, est orfèvre en la matière pour vous entraîner au cœur de l’âme humaine et de ses multiples états . Il fait merveille , ici , avec un soupçon de dérision qui investit le mystère . Dès lors, les multiples facettes de ses héros sont autant d’instantanés comportementaux avec lesquels ils font face aux situations, en laissant toujours planer le non -dit, les rendant fascinants mais aussi énigmatiques, et inquiétants . Il y a d’ailleurs souvent un indice révélateur d’une atmosphère: fumée de cigarette , brouillard , soleil couchant , rayon de lumière , feu . Ou d’un comportement : le regard ou la démarche louvoyante de Jongsu , l’instabilité de Haemi la jeune fille ( Jong-Seo Jun ) , et l’assurance provocatrice de Ben ( Seven Yeun ) , l’ami riche . Des indices , habillant un plan ou une image , à la manière d’un pinceau dessinant sur un tableau , un trait ou le geste d’un portrait …

Dès lors , le film distille curiosité et mystère , voire trouble avec tous ces traits révélateurs ou restés ambigus , et les sentiments ou ressentis enfouis . On a du mal à se faire une opinion sur chacun dans les fuites qu’ils se renvoient : méfiance, rancoeur , Jalousie … on se teste ou l’on se « piste », jeux d’acceptations et (ou) de refus . La valse des comportements en forme de jeu de miroirs, où la trousse de maquillage de Ben ( belle scène) devient symbolique des postures dont chacun , selon la situation, maquille son visage ou son comportement envers l’autre . Une autre symbolique, politique viendra s’inscrire doublement dans le film . Celle, faisant référence à la Corée dont la ligne de démarcation Nord /Sud , s’inscrit dans le récit avec cette séquence où l’on retrouve nos trois héros réunis dans la maison du village d’enfance de Jongsu situé près de la frontière avec le Nord , d’où parviennent au loin , les sons de la propagande , diffusés par les hauts parleurs du régime du Nord . De la même manière que la rivalité entre Jongsu et Ben , n’est pas seulement amoureuse même si ce dernier avoue avoir « pour la première fois ressenti ce sentiment » , qui lui était jusque là étranger . Elle semble aussi révéler , le ressenti d’une certaine arrogance de classe affichée dont fait preuve la richesse étalée par Ben ( son appartement , son train de vie , les soirées festives et son comportement …) , parvenu d’une société du Sud et du système libéral que Jongsu compare, au « Gatsby le magnifique » du roman de Francis Scott Fitzgérald . Ben , s’estimant au-dessus des lois , qui finira par avouer à Jongsu son secret: mettre le feu au serres abandonnées !. Tandis que se poursuivent les relations au cœur trio , le glissement de la dimension sentimentale et du ressenti des désirs de chacun , semble basculer dans une rivalité s’inscrivant insensiblement dans une dimension , où s’immiscent les rapports de classes …

Ceux dont le ressenti des deux jeunes enfants d’hier – Jongsu et Haemi- qui se sont retrouvés désormais dans la ville qui les a happés dans le tourbillon de la vie moderne et dans laquelle ils ont du mal à se faire leur place . Comme le reflète leur refuge dans l’imaginaire vers lequel Haemi s’évade , se recroquevillant dans le sommeil, ou, à peine a-t-elle un peu d’argent, dans les voyages à la découverte d’autres civilisations et coutumes . Tandis que Jongsu , lui, c’est l’imaginaire de la création littéraire, qui l’attire . Tous deux voudraient se réapproprier, un monde rassurant . L’imaginaire de Haemi se focalise sur son chat de compagnie , et sur ce puits dans lequel jadis dans son enfance elle est tombée accidentellement et duquel elle dit avoir été sauvée par Jongsu !. Mais le puits , et le chat ( qui lui aura un rôle décisif …) , sont-ils réels? . Jongsu pour qui « le monde est un mystère » semble , lui , remplir le réel par son imaginaire et la rêverie d’écrivain en gestation . Lorsque le mystère de la disparition d’Haemi devenue soudain introuvable, la douleur finira par devenir insupportable , ravivant ses frustrations, le faisant se consumer dans celle-ci , dont la brûlure de la passion et du désespoir , feront écho à la provocation de Ben et ses serres brûlées …
La mise en scène sublimée par une hypnotique mise en image (le beau travail de Hong Kyung-Pyo ) , accompagnée d’une bande sonore ( signée : Mwog ) qui l’est tout autant . Les brûlures de la passion et de la colère sociale murissant , dès lors comme le fruit de la vision du cinéaste , dont il dit : « Il me semble que le mystère à l’origine du cinéma reflète le mystère de notre vie. Bien que les gens continuent à se demander quel est le sens d’un univers qui en semble dénué, le monde reste une énigme à leurs yeux… » . C’est cette énigme là qu’il vous invite à aller découvrir . Vous ne le regretterez pas !.
(Etienne Ballérini )
BURNING de Lee Chang-Dong – 2018- Durée : 2 h 23
AVEC : Ah-in Yoo, Steven Yun , Jong-Seo Yun…
LIEN : Bande- Annonce du film : Burning de Lee Chang-Dong .
[…] BERGMAN de Margarethe von Trotta (Cannes 2018) AMANDA de Mikhaël Hers BURNING de Lee Chang Dong (Cannes 2018) COLD WAR de Pawel Pawlikowski (Prix de la mise en scène – Cannes 2018) CRO MAN de Nick Park […]
[…] Comment est-elle passée à la trappe de l’histoire du cinéma ? Ciné+Club à 17h10 – Burning de Lee Chang-dong (Drame – 2018 – 2h35). Jongsu retrouve par hasard son ancienne voisine, […]
[…] Comme dans ses précédents films (ceux qui ont été montrés en France), le temps se dilate et Ryusuke Hamaguchi se montre fin observateur des relations humaines et des rapports amoureux, comme l’a été Eric Rohmer, l’un de ses maîtres. Les drames vécus par ses personnages auraient pu mener le film vers le mélodrame. Au lieu de cela, le cinéaste a préféré la retenue, la pudeur. Drive my car se voit également comme une réflexion sur le métier d’artiste et les liens entre le processus de création et la vie personnelle… un autre aspect de la nouvelle qui a intéressé le réalisateur : »(…) l’un des thèmes (…) est l’art dramatique. Jouer, c’est avoir de multiples identités, ce qui est pour ainsi dire une forme de folie socialement acceptée. En faire son métier est évidemment éprouvant, et provoque même parfois des crises personnelles sérieuses. Mais je connais des gens qui n’ont pas d’autre choix que de le faire. Et ces personnes qui jouent pour gagner leur vie sont en fait guéries par cette folie, ce qui leur permet de continuer à vivre. Considérer le métier d’acteur comme une «façon de survivre», est quelque chose qui m’intéresse depuis longtemps ». Une autre nouvelle de Haruki Murakami a été adaptée par Lee Chang-Dong pour Burning (2018). […]