Une série de meurtres sur des jeunes femmes dans la zone industrielle du Sud de la Chine . Sur fond de mutations industrielles et économiques où la tragédie des laissés pour compte s’amplifie, le cinéaste construit sous la forme du polar , la sombre mise en abyme d’un système politique broyant rêves et espoirs d’une classe sociale sacrifiée. Saisissant de maîtrise , un très grand film …
L’action du récit se situe au cœur de l’année 1997 décisive pour la Chine confrontée à la rétrocession de Hong Kong, et a de profondes réformes et mutations économiques. Celles -ci ayant entraîné des tensions sociales creusant le fossé des inégalités, multipliant le nombre des laissés pour compte consécutivement aux fermetures d’usines d’état. Le fort sentiment d’abandon multiplié par l’absence de perspectives d’avenir a fait basculer certains dans le désespoir , voire le suicide , ne trouvant plus sens à leurs vies. Tandis que d’autres basculaient dans la criminalité. C’est au cœur de celle-ci, que l’on retrouve le héros Yu Guowei ( Duang Yihong ) en 2008 qui, au sortir de prison , revient sur les pas d’un passé qui a englouti tous ses rêves et espoirs . Le choix par le réalisateur du flash-back où l’on voit ce dernier revenir sur les traces d ‘une tragédie dans laquelle il s’est retrouvé immergé , nous en fait mesurer en spectateur d’emblée, la force avec laquelle les événements sont restés ancrés en lui , comme un traumatisme . Celui dans lequel le cinéaste inscrit le fort sentiment d’abandon sociétal ressenti par tous les personnages , dont il nous invite à suivre les destinées . Dès lors c’est sous le prisme de Yu Guoweï que nous somme invités à les percevoir , et dans lesquels a été emportée sa destinée au cœur d’un système . Celui dont la projection mentale du vécu des événements par ce dernier desquels – 11 ans après – il est encore habité et cherche à en démêler les raisons qui ont conduit à son infortune. Celles , s’inscrivant dans une tragédie sociale collective …

C’est au cœur d’un récit revêtant la double dimension narrative , individuelle et collective, dans laquelle le cinéaste nous entraîne, amplifiée par le « climax » oppressant de cette « pluie sans fin » du titre qui en renforce la réalisme par sa présence incessante . Celle dont le flot des gouttes qui tombent sur les destinées humaines, deviennent emblématiques des effets d’un « climat social et de transformations économiques » , qui s’abattent sur eux. Et dont , comme la pluie , ils doivent en subir les effets…mais si les capuches et les imperméables permettent de se protéger de la pluie , comment se potéger des angoisses des mutations sociales qui vous plongent dans le désespoir et ne font qu’amplifier le sentiment d’abandon ressenti par les plus faibles ?. Emblématique dès lors, pour le cinéaste, le destin de son héros afin de , à travers lui de « parler des rapports entre le destin d’un homme et un système politique » . C’est le cœur même du film et de sa double dimension , que le cinéaste inscrit au cœur de sa mise en scène et en abyme d’un système et des individus qui sont emportés dans le flot du sentiment de l’abandon. Celui dont il investit la puissance de la tragédie, qui, dit -il « permet de découvrir une autre réalité de note monde et de mieux comprendre l’humanité ». Et le poids de celle-ci et l’obsession avec laquelle son héros revit des années après les événements , témoigne des traumatismes dont le récit va nous amener à en découvrir l’ampleur . Celle dont le cinéaste , va nous amener au fil de l’enquête de son héros , à en mesurer l’inexorable d’un vide auquel elle conduit …

La non découverte de l’auteur des crimes entraînant le vide de l’impunité et du mal qui est à l’origine , amplifiant l’état des lieux sur une société et ses mutations, conduisant à un constat accablant. Celui ouvrant les portes à toutes les souffrances, pouvant entraîner aux extrêmes . Celles dont Yu Guowei va être témoin au long des événements dans lesquels il se retrouvera en cette année 1997 confronté suite à sa découverte dans le terrain vague près de l’usine dans laquelle il travaille, du cadavre d’une femme qui a été violée et assassinée par un « tueur en série » . Yu Guowei , gardien de sécurité dans cette usine va proposer, son aide à la police . Apprécié par sa hiérarchie qui lui vaut d’être distingué « ouvrier modèle » ,et par ses collègues qui le surnomment « détective Yu » . Ce dernier, s’investit dans l’enquête au point de devenir un « boulet » pour la police officielle d’état , dont les investigations piétinent. Au cœur de cet affrontement révélateur où le capitaine de la police officielle qu’admire Yu , incarne le système et ses privilèges auxquels il aimerait accéder . Au cœur de cette relation , le cinéaste y décrit la double impuissance de deux individus pris au piège : Yu, hors d’un système officiel qui se protège et auquel il ne peut accéder, et le capitaine de police qui , lui , en est prisonnier et déstabilisé par les problèmes auxquels il se confronte… impuissant ! . Le cinéaste complète le portrait de cette « dualité » où se reflète le constat d’une société qui se caractérise par celui d’un pouvoir et ses privilégies , et celui de ceux qui en sont extérieurs et soumis aux décisions , dont le cinéaste souligne « ils pensaient que leur outil de travail leur appartenait , ils ont dû quitter ces usines où ils avaient travaillé toute leur vie. Il leur a fallu accepter l’idée qu’ils étaient abandonnées… » . A limage de Yu , certains qui pensaient pouvoir accéder et s’élever au sein d’une société où le mot « camarade » avait sens, se sont retrouvés floués, rejetés à la marge et à l’abandon..

Dès lors, c’est la violence qui fait écho au rejet ressenti et aux espoirs anéantis . Comme l’infortune que connaîtra Yu pour s’être obsessionnellement accroché à son investigation . Celle que le cinéaste prolonge, via le rêve de son jeune associé ( qui voit en lui, le même « modèle » que Yu projette sur le capitaine de la police officielle ) , s’investissant à l’unisson dans la quête d’une vérité insaisissable qui l’emportera aussi… dans son tourbillon . De la même manière que le sera la jeune fille rencontrée par Yu lors de son investigation dans le lieu fréquenté ( le vieux stade devenu lieu de rencontres interlopes…) par la prostituée assassinée qu’elle connaissait. La jeune fille qui deviendra l’informatrice , Yanzi ( Jiang Yiyan) de Yu , et qui s’attacher à lui , rêvant de quitter ce lieu sinistre pour s’en aller construire avec ce dernier , un avenir à Hong Kong !. Autant de rêves et d’espoirs annihilés qui , chez certains , vont engendrer des réflexes de survie- trouvant dans des actes désespérés de toutes sortes ( révélateurs du non -sens de leurs existences… ) dans lesquels ils se perdent ne pouvant plus maîtriser leurs angoisses , leurs souffrances . Constat sombre et terrible d’une mise en abyme aux accents nihilistes , dont le cinéaste nous propose ici , par sa mise en scène une approche magistrale , à méditer !. Du grand art . Premier long métrage du cinéaste Chinois diplômé de l’académie du film de Pekin en 2006 , qui a été chef -Opérateur de long métrages et a décidé de franchir le pas de la mise en scène . Une sacré révélation !…
(Etienne Ballérini )
UNE PLUIE SANS FIN de Dong Yue – 2018- Durée : 1h 56 –
AVEC : Duan Jihong, Jiang Yiyan, Du Yuan , Zheng Wei, Zheng Chuy, Zhang Lin…
LIEN : Bande-Annonce du film : Une Pluie sans fin de Dong Yue .
[…] de Chine sur OCS Choc. L’un et l’autre primés au Festival du Film Policier de Beaune. Une pluie sans fin (2017). De Dong Yue. Il s’agit de son premier long métrage. Grand Prix à Beaune. OCS Choc à […]