La mort du père et le retour d’une femme , au pays après quinze ans d’absence . Les retrouvailles avec le frère et les blessures du passé qui resurgissent . Le troisième long métrage de la cinéaste Britannique révélée par Le géant égoïste (2013 ) , confirme son l’immense talent de la cinéaste qui signe, un grand film sombre .

Le film est inspiré du roman Les Silences de la Française Rose Tremain qui se déroule dans les Cévennes dont la cinéaste a surtout retenu les éléments des rapports Frère/ sœur . Des rapports liés à un lourd passé qui les a séparés, et que la cinéaste a transportés dans son Yorkshire natal pour les immerger dans le réalisme d’un quotidien qu’elle connaît bien dans lequel ses précédents récits , puisaient leur force . C’est au cœur de cet « ancrage » rassurant en effet que la cinéaste peut donner libre cours à l’immersion et la mise à nu de ses personnages et au poids du fardeau qui les emprisonne dans un tourbillon d’émotions qu’ils sont incapables de surmonter. Dès lors l’osmose entre le cadre naturel et les personnages qui s’y retrouvent , ouvre à la cinéaste la possibilité d’une exploration nouvelle qui inscrit le « lien » commun de leur destinée , dans le cadre où ils ont jadis grandi et vécu . Celui, d’un traumatisme dont les séquelles peuvent être réveillées à n’importe quel moment , par une présence qui en est rendue constamment vivace par la construction du récit. A l’image des paroles de la chanson folk « mon père m’a laissé un acre de terre , Chante le lierre , chante le lierre …je l’ai labouré avec une corne de bélier …» qui accompagnent le générique de début du film , rappellent à Alice ( Ruth Wilson ) la « promesse » du père . Ou celles du cheptel de moutons et autres animaux ( les chouettes de la grange… ) réveillant, les souvenirs d’enfance. La mort de ce père qui la fait revenir au pays et à la ferme « promise », les retrouvailles avec celle-ci que son frère Joe ( Mark Stanley ) a eu du mal à entretenir ayant ,aussi , dû s’occuper du père malade . Le malaise et la distance qui s’inscrit au cœur des ces retrouvailles ponctuées par la nuit d’orage, ou la brebis découverte blessée au petit matin, ou encore , cette cascade purificatrice (?) sous laquelle Alice ,vient trouver refuge…

Autant d’images qui s’entremêlent et se télescopent , laissant percevoir par la construction en flash- back , la présence obsédante d’une passé douloureux, ravivé par les retrouvailles venant « polluer » le présent d’un frère et d’une sœur, qui en sont restés prisonniers . L’ancrage dans les paysages sombres renvoient à la dramaturgie d’une enfance qui en a été broyée et dont ils n’ont pu se libérer de ces blessures intimes auxquelles ils vont devoir trouver la force de faire face , aujourd’hui . Si Alice est partie pour tenter de s’y soustraire en s’investissant avec énergie dans la tonte des moutons auprès de nombreux exploitants de cheptels . Son frère resté à la ferme qui a dû s’occuper du père malade a eu plus de mal a en assumer le poids qui s’est mué , en réactions de rejet et violentes . Leurs retrouvailles sont d’ailleurs marquées par celles -ci , Joe reprochant à sa soeur de vouloir récupérer un « bien » qu’elle a abandonné et lui en refuse le droit , estimant que désormais la propriété lui revient. Les tentatives d’Alice pour trouver un compromis et reconstruire leur relation afin de sauver la ferme , se muera en un long combat . Les blessures intimes , la souffrance , et la spirale de la culpabilité . Les obsédantes images qui ne cessent de renvoyer à celle du frère , au traumatisme de la sœur et à son désir de résilience. Chacun muré dans son malheur , et à l’image d’un père violeur . Ce monstre dont Joe n’a pas su protéger la sœur, laissant celle-ci « subir » son malheur . La cicatrice de la violence psychologique destructive qui persiste , devra pourtant être percée …

Au cœur de ce combat psychologique que la cinéaste rend saisissant, par tous les éléments d’un description qui en traduit l’énergie nécessaire , dont le frère et la sœur ne possèdent pas les armes , pour le mener . Et détruire cette image d’une père , Richard ( Sean Bean ) que l’on doit aimer … mais que l’on ne peut plus supporter , parce que devenu haïssable . Le pardon comme issue possible , voire même, le sacrifice pour payer le prix du passé ? . La cinéaste, en inscrivant la noirceur de cette tragédie familiale dans le cadre réaliste du Yorkshire et du contexte politique et social dans lequel elle se déroule , lui ouvre et lui offre un superbe écho qui donne encore un peu plus de poids , à celle-ci . Au delà de la nature omniprésente qui fait écho à la tragédie du silence dans laquelle frère et sœur sont restés longtemps murés , la cinéaste lui renvoie – en toile de fond – celle d’un pesant contexte social. Celui du monde agricole , et ici , notamment celui des éleveurs dont les conditions de vie et de travail sont confrontés à d’autres comportements … tout aussi haïssables, dont ils sont les victimes. Comme l’illustre celui de la « compagnie des eaux » cherchant à profiter de la situation , pour prendre possession des terres des habitants du conté , et les revendre à prix avantageux !. C’est ce qui va arriver aussi , à celles d’Alice et de Joe ! , les voilà doublement victimes. Au constat sombre et dur , la cinéaste laisse cependant percevoir au final la lueur d’un espoir , du possible sursaut rédempteur …
La noirceur de la tragédie familiale et du constat social, trouve dans une mise en scène au couteau et dépouillée de tous les artifices une dimension magnifique -et une fois de plus , comme le cinéma Britannique nous y a habitués- une superbe interprétation de ses deux comédiens principaux : Ruth Wilson et Mark Stanley . Tous deux prodigieux , « habités » , par leurs personnages auxquels ils offrent, une dimension émouvante.
(Etienne Ballérini)
DARK RIVER de Clio Barnard – 2018- Durée : 1h 29.
AVEC : Ruth Wilson, Mark Stanley, Sean Bean , Esmé Creed-Miles, Aide McCullough…
LIEN : Bande-Annonce du film Dark River de Clio Barnard