Livre / Mémoires de Costa-Gavras « Va où il est impossible d’aller »

Tout commence par cette phrase : Va où il est impossible d’aller. Elle est de Nikos Kazantsakis, écrivain grec (1883-1957), dans l’un de ses plus beaux  et plus émouvants écrits, Lettre au Greco, souvenirs de ma vie. Plus  qu’une autobiographie, c’est l’histoire d’un itinéraire intérieur, placé sous le signe du Greco, parce que ce peintre, d’origine crétoise, nous a laissé des êtres qui sont traversés par la flamme.


Et cette phrase se retrouve être le titre des mémoires d’un de nos plus grands cinéastes, Costa-Gavras. Né  en 1933 en Grèce. 20 films.  Pour Z (1969) : Prix du jury et prix d’interprétation masculine pour Jean Louis Trintignant à Cannes ; Oscar du meilleur film français et du meilleur montage à Hollywood. Pour Etat de siège (1972) : Prix Louis Delluc (le « Goncourt » du cinéma). Pour Section Spéciale (1975) : Prix de la mise en scène à Cannes. Pour Missing (1982) : Palme d’or et prix d’interprétation pour Jack Lemmon à Cannes, Oscar du meilleur scénario adapté à Hollywood, et j’en oublie. Président de la Cinémathèque française, depuis juin 2017.
Chacun de ses films est pour lui l’occasion de témoigner de son engagement dans ses idées et de livrer un message à propos du pouvoir : avec Costa-Gavras, le cinéma c’est du spectacle mais dans lequel l’intelligence et l’interrogation ont toujours la plus belle place. Et s’il y a dans ses films toujours une enquête à mener, une intrigue policière à développer, je pense que l’on doit y voir l’intérêt qu’il développe pour ces deux thématiques dés son premier film l’adaptation du roman de Sébastien Japrisot, Compartiment Tueurs (1965)

Compartiment tueurs, le 1er film de Costa-Gavras

Donc, Va où il est impossible d’aller. Une injonction ? Un oxymore ? 500 pages. Mais dés la première phrase, on est emporté. Elle est brève, 6 mots. Elle donne le lieu, l’espace, le temps. Théâtre des Champs Elysées, mars 1955. Elle préfigure l’action à suivre, comme la bande annonce d’un film. Et le texte, cela se lit comme l’on boit du petit lait. Cela serait comme un roman dont la narration fictionnelle serait le réel, un réel. « Costa » se révèle un aussi bon conteur que dans ses films. Avec une écriture sans fioritures et un sens de l’anecdote qui fait mouche, dans l’humour comme dans l’émotion. Les évocations mélancoliques de ses chers amis Simone Signoret et Yves Montand, le récit de sa découverte de l’expérience démocratique au Chili au temps d’Allende sont particulièrement poignants. Est-ce que c’est parce qu’il s’agit des mots d’un faiseur d’images, lorsqu’il écrit Je découvre un petit hall et une salle de cinéma aussi pitoyable que celles d’Athènes, le Rozilker ou l’Alaska, nous « voyons » le petit hall, la salle de cinéma pitoyable….
Il faut dire que cette salle de cinéma pitoyable c’est celle de la rue d’Ulm, celle de la Cinémathèque. De la cinémathèque à l’IDHEC  – Institut Des Hautes Etudes Cinématographiques – il n’ya à qu’une bobine de film. C’est ce parcours qui va déterminer la conscience cinéma du jeune Constantin,  conscience cinéphilique et cinématographique. Il choisit l’option mise en scène, mais il note ce dilemme : comment peut-on enseigner la mise en scène ? Bien sûr on peut enseigner – pour faire court- des « technicités », mais l’art s’enseigne-il ? Comme il l’écrit,  le musicien apprend les notes mais pas la musique qu’il va composer. A l’écrivain, on ne peut apprendre quel mot choisir, ni où mettre une virgule.
Une autre découverte, dans cette période de formation du futur cinéaste : aux apprentis cinéastes on leur fait part te on leur fait utiliser une nouvelle pellicule, la TriX, trois à quatre fois plus sensible que celles utilisées jusque là : presque plus besoin de lumière. On peut sans problème filmer en extérieurs. Nous sommes en 1955. En 1958, apparaissent les premiers films de la Nouvelle Vague, qui privilégient le tournage en extérieur. En 1841 est inventé le premier tube de peinture, on peut donc le transporter et peindre dehors. C’est à partir de la seconde moitié du XIXème siècle qu’apparait l’impressionnisme. Progrès technique et expression artistique sont donc liés. A condition, pour se servir du premier, d’être un artiste. Et non un utilisateur. Cette « avant-première » période, c’est celle de l’enfance de l’art, mais au sens premier de la formule.
Mais au fait, qu’est-ce que la Nouvelle Vague ? « Costa » y répond de manière amusée .Il*m’avait demandé si j’étais Nouvelle vague comme on vous demande si vous êtes catholique ou bouddhiste. Non…pas encore » avais-je ajouté en voyant sa tête. Il devait penser qu’il s’agissait d’une sorte de secte. Et Costa finit l’évocation de ce souvenir avec un malicieux Ce qui ne manquait pas de sens. Pour ou indifférent à la nouvelle vague ? Après la sortie de Compartiment Tueurs, un critique du New-York Times,   Bosley Crowther écrit à son propos : film d’un cinéaste que l’on ne peut pas rattacher la Nouvelle Vague mais qui film comme un réalisateur de la Nouvelle Vague. Il conclut en disant qu’il est le méta-réalisateur de la Nouvelle Vague.
Le dernier chapitre est captivant, un « scénar » à rebondissement. Le titre, déjà. Les morts concentriques. On dirait le titre d’un polar. Où l’on y apprend qu’un ministre grec à propos » à « Costa » d’être candidat, en août 2014  au poste de président de la république grecque. Où l’on apprend que cette fonction est celle d’être une potiche, certes en marbre, certes digne de figurer en bonne place au Parthénon, mais potiche tout de même.
Où l’on voit que Costa comprend qu’ils cherchaient un mercenaire, un pompier pour empêcher la catastrophe annoncée : la victoire de Tsipras** aux élections. Où l’on apprend que  « Costa » a en tête in projet de film qui lui est inspiré par la situation grecque. La documentation s’empile sur son bureau.
Le livre s’achève sur, peut-être, cette perspective : Je sais que ce film se trouve dans cette masse de documents. Mais comment l’en faire sortir ? Allez, vas-y Kostas***, Reprends sans discuter ta strophe/ Avance /Avance je te dis/Allez va-z-y la mélodie/allez va-z-y la mécanique (Aragon, in Le roman inachevé). Cet émouvant ouvrage, « Costa » le dédie à sa compagne, Michèle Rey. Qu’elle soit remerciée d’en avoir été la source.

Jacques Barbarin

Va où il est impossible d’aller Costa-Gavras Editions SEUIL 25€

*Paul-Edmond Decharme, producteur. Nous sommes en 1962, sur le tournage de « La baie des Anges », de Jacques Demy, Costa Gravas est assistant.
**Alexis Tsipras est nommé Premier ministre le 26 janvier 2015 au lendemain des élections législatives remporté par son parti, Syriza .
***Diminutif  de Constantin

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Un commentaire

  1. Je précise que lorsque j’écris « En 1841 est inventé le premier tube de peinture, on peut donc le transporter et peindre dehors. », c’est grâce à Madame Jacqueline Donnez qui m’a fait connaître cette information… d’où les impressionnistes. Merci à elle
    Barbarin

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