Une adolescente pakistanaise vivant en Norvège avec sa famille , pour avoir enfreint la règle de l’honneur familial se retrouve prise dans l’engrenage de pressions et humiliations incroyables . Le calvaire de cette dernière est le récit autobiographique en forme de coup de poing de la scénariste, comédienne et cinéaste Norvégienne d’origine Pakistanaise ,dont c’est le second long métrage. Un film nécessaire, à voir d’urgence !…

Elle se nomme Nisha et elle a seize ans, elle vit avec sa famille Pakistanaise émigrée en Norvège où ses parents sont tiennent un petit négoce destiné à la communauté . Nisha va à l’école et s’est fait des copains et des copines qu’elle aime rejoindre pour les sorties communes , et elle rêve d’une certaine forme de liberté. Dans la maison familiale où on lui demande d’être respectueuse des traditions et de la morale, elle s’y plie . Dans la première séquence à l’occasion de l’anniversaire du père , la fête familiale semble joyeuse, mais lorsque Nisha quelques jours plus tard est surprise dans sa chambre par son père avec un jeune garçon qu’elle a invité sans son autorisation , ce dernier rentre dans une colère noire et frappe le jeune homme qui se retrouvera à l’hôpital !. Et pour Nisha accusée d’avoir déshonoré sa famille , l’enfer commence !. La Cinéaste qui l’a vécu personnellement lorsqu’elle avait 14 ans ,dit « avoir attendu d’avoir le recul et d’être prête en tant qu’être humain et cinéaste pour le raconter… ». le temps devait permettre de mettre en ordre les choses et aidée par l’expérience d’une carrière naissante et prometteuse lui ayant permis d’acquérir cette force , et surtout , la possibilité de raconter et mettre en perspective « le plus objectivement possible » les éléments qui la reflètent et font écho à une réalité inquiétante ( 1- voir en bas de page). Des statistiques qui malheureusement ne peuvent que conforter le récit du parcours vécu par la cinéaste qui le transcrit au travers de sa jeune héroïne , Nisha incarnée par une Maria Mozhdah remarquable et bouleversante. On mesure alors et on a peine à croire qu’elle puisse survivre à ce cauchemar qui lui est imposé pour cause d’une conduite « dégradante et honteuse qui déshonore sa famille » …

Les sévices et autres humiliations auxquelles elle va devoir se plier par la volonté d’un père ( Adil Hussein ) violent qui fait régner l’ordre familial en se protégeant derrière les traditions morales et religieuses et leur respect scrupuleux . La famille soumise au « dictat » paternel s’y plie elle aussi à l’image de son frère , et personne ne se souciera des punitions auxquelles Nisha sera soumise . Envoyée au Pakistan dans la cellule familiale du père pour y être séquestrée et « rééduquée » . le moindre comportement supposé suspect est considéré « acte de rébellion » , et inexorablement assorti de représailles . Comme l’illustre la séquence de cette sortie accompagnée en ville pour y faire le marché , au cours de laquelle Nisha s’éclipse un instant pour aller « poster » un massage via internet à une amie en Norvège… on suppose que son geste est un appel au secours et qu’elle veut tenter de fuir, et son passeport sera brûlé ! . Dans la famille paternelle Pakistanaise tout le monde est lié au « serment » fait à son père de remettre sa progéniture dans le bon chemin! . Et comme la société Pakistanaise elle aussi ne fait pas dans la dentelle de la rigidité , une autre sortie en ville avec le seul garçon de la famille un peu aimable et bienveillant envers elle , lui vaudra de se faire arrêter en sa compagnie par des policiers teigneux qui ont trouvé leur conduite « indécente » et en profitent pour faire « chanter » la famille Pakistanaise en leur demandant de l’argent en échange de ne pas rendre publiques les photos des deux jeunes adolescents qu’ils ont contraints par la violence à poser dans ces situations indécentes et proscrites !. La force étant de leur côté , ils font la « loi » qui les arrange s’en servant comme alibi ….. n’hésitent pas à se se délecter des postures proscrites, et surtout …se remplir les poches !. A ce stade on est à se demander qui est digne et indigne , et quel est le comportement punissable !. La privation de liberté et l’humiliation subie par Nisha qui n’est pas coupable de ce qu’on l’accuse , en quoi est-elle justifiable ? …

Le pire, c’est une scène quasi insupportable qui nous le donne à voir et à le pressentir comme un possible. Il est décrit dans la séquence qui suit le « chantage » monté par les policiers qui entraîne la famille Pakistanaise à demander au père de Nisha de revenir chercher sa fille qui les déshonore à leur tour ! . Et ce » double » déshonneur vécu par le père comme insupportable .., le pousse à entraîner sa fille à se « suicider » ! . Telle est est donc le « possible » qui peut advenir dans certaines circonstances !. Ce « c’est pour ton bien » qui sert d’alibi à une « réputation communautaire » prioritaire qui ne laisse même pas la possibilité de se défendre . Et qui sonnera aussi comme un ordre : « on veut que tu te marie avec celui que l’on a choisi pour toi », auquel Nisha sera également , confrontée à devoir se plier !. Alors on est admiratif de tout ce que Nihsa par cet hypocrite « c’est pour ton bien! » qu’on lui dicte, a dû affronter comme humiliations , alors qu’elle ne demandait qu’un peu de liberté et surtout que l’on ne la juge pas sur des apparences . Comme lorsque son père la surprend avec son copain dans sa chambre … accusée de s’être laisser « souiller » … alors qu’elle n’avait rien fait !. On mesure , aussi , par le biais des instances scolaires et sociales Norvégiennes confrontées à ces problèmes , les difficultés rencontrées pour tenter de les résoudre compte tenu de l’emprise familiale et communautaire qui pèse sur ces jeunes filles. Le silence de Nisha et son refus de dénoncer les actes d’humiliation subis , en est l’exemple frappant lors de son retour en Norvège et du mariage forcé auquel on la prépare . Le récit que fait la cinéaste , n’en est que plus fort dans la mesure où elle l’insère dans une démarche qui se veut apaisante , en inscrivant son combat vibrant pour la dignité dans le cadre d’un contexte , où les jeunes filles d’origine étrangère comme Nisha , se retrouvent à devoir mener une double vie … « Pakistanaise à la maison et Norvégienne avec ses amis » ..

Confrontées à deux cultures antagonistes qui ont leur propre vision de la vie , de la liberté , de la religion , des rapports familiaux et des traditions. Le fossé qui les sépare ne peut avoir d’issue heureuse, dit-elle , tant qu’il restera aussi profond. La séquence finale , magnifique , que l’on vous laisse découvrir , en suggère le possible et nécessaire espoir d’ouverture et sursaut de survie pour avoir le courage de s’affranchir . En forme de réponse au titre du film , qui en langue originale signifie: « que vont dire les gens… » . La réponse , la cinéaste la suggère dans une belle déclaration : « Je viens d’une culture où la tradition et le sens de l’honneur sont les deux valeurs dominantes. Cette obsession de l’avis des autres, je tiens à m’en débarrasser. Je veux en éradiquer les racines, une bonne fois pour toutes. L’essentiel à mes yeux est d’être fidèle à soi-même. J’espère que le film permettra de comprendre le dilemme auxquels sont confrontés parents et enfants lorsqu’ils n’ont pas le sentiment d’appartenir au même monde (…) . Je ne cherche pas à provoquer, mais à montrer une réalité. Je veux dire aux jeunes qu’ils ont le droit de conquérir leur liberté. Et dire aux parents qu’ils doivent entamer le dialogue. Je voulais faire ressentir cet amour impossible qui peut exister entre des parents et leur fille. Un amour dont l’issue ne peut pas être heureuse, tant que le fossé qui sépare leurs deux cultures reste aussi profond » , dit-elle . Le récit du calvaire de son héroïne qu’elle a mûri et digéré , pour en faire un récit à la fois implacable sur une réalité et les humiliations qu’elle génère , et une arme de dialogue nécessaire de conquête de liberté et de dignité , n’en est que plus beau et bouleversant !…
( Etienne Ballérini)
(1 )– Des Statistiques effrayantes :
-en Norvège en 2016 ont été relevés 76 cas de jeunes filles retenues à l’étranger . Et 597 plaintes ont été enregistrées pour Mariages forcés , actes de violence ou de mutilation génitale , par les services de prévention. Les victimes sont des jeunes filles Pakistanaises, Afghanes, Somaliennes , Irakiennes et Syriennes.
-Si le Mariage Forcé est passible de six ans de prison en Norvège , la liste des situations imposées aux jeunes filles dans les communautés par les familles, est accablante :
« Interdiction de participer à la vie sociale à l’école ou en dehors. • Interdiction de participer à des activités impliquant le sexe opposé. • Obligation d’être accompagnée et raccompagnée à l’école par un membre de la famille. • Interdiction de choisir seule son éducation (options scolaires, activités périscolaires) • Interdiction de travailler. • Obligation de se rendre dans le pays d’origine des parents pour une longue période • Obligation de se fiancer, de se marier, avec quelqu’un choisi par la famille. • La famille surveille l’usage du portable et de l’ordinateur…. » .
LA MAUVAISE REPUTATION de Iram Hacq – 2018- Durée : 1h47-
Avec : Maria Mozhadah, Adil Hussain, Rohit Saraf, Ekavali Khanna, Ali Arfan, Sheeba Chaddha …
LIEN : Bande-Annonce du film , La Mauvaise Réputation d’Iram Hacq.