Le dernier film des frères du cinéma Italien , auteurs de Padre Padrone ( 1977- Palme d’or,Cannes ) et de César doit mourir (2012) . Au cœur du tumulte de la guerre et des affrontements entre partisans et fascistes , il y est question d’amitié fraternelle et de passion amoureuse. L’histoire, les idéaux , les destinées personnelles et la complexité de l’âme humaine explorées avec une densité émotionnelle et poétique, envoûtante…

La densité émotionnelle, elle est présente aussi rétrospectivement , avec la mort de Vittorio le frère qui s’en est allé à l’âge de 88 ans en Avril 2018 ( Voir notre article : Je me souviens ..), avec lequel Paolo aura donc écrit, le dernier « opus » en commun . Et le récit adapté du roman de Beppe Fenoglio qui les a inspirés ne fait que le confirmer , au cœur duquel l’amitié fraternelle se retrouve au centre du récit« nous avons grandi ensemble comme deux frères », dit Milton ( Luca Marinelli ) évoquant au début du film , Giorgio (Lorenzo Richelmy ) son ami d’enfance. C’est au cœur de la guerre et de la lutte résistante contre les fascistes que leur « lien » se perpétuera dans le combat pour des valeurs communes à défendre . Mais cette fois-ci cette amitié sera l’objet d’un double enjeu où la preuve de fraternité se retrouve confrontée à la rivalité amoureuse. Les frères cinéastes ont souvent inscrit les destinées individuelles au cœur des destinées collectives emportées par les tremblements de l’histoire. Saint Michel Avait un Coq (1971) décrivait la fraternité et les sacrifices des premières luttes anarchistes du XIX éme siècle . De la même manière qu’ Allonsanfan ( 1974) décrivait celles de la lutte insurrectionnelle contre la Restauration Italienne des Année 1800, dont le jeune héros perpétuait par le prénom qui lui a été donné comme symbole par ses parents en hommage à la révolution Française et ce qui deviendra son hymne : la Marseillaise . Ce sont aussi- symboliquement- deux frères italiens qui partiront dans les premières décennies des années 1900 à la conquête de l’Amérique ( Good~morning , Babylone /1987 ) , pour s’y distinguer dans le cinéma naissant. Le cinéma , ce « lien » fraternel créatif des frères cinéastes qui permet de mettre en perspective leur histoire individuelle, au cœur de celle de leur pays . Leur engagement politique ils le traduisent en explorant les luttes paysannes et révolutionnaires ou les utopies ( Sous le signe du scorpion /1969), s’interrogeant sur l’évolution de la société vers le progrès. Les livres, Les contes et légendes ( contes siciliens ou contes Italiens ) , qui en perpétuent la mémoire au fil du temps , et les récits ancrés dans le présent ( Padre Padrone , Fiorile /1992), et la création théâtre et cinéma ( Le pré , César doit mourir ) qui en deviennent, le moteur…

Pas étonnant donc en cet été 1943 dans les montagnes du Piémont de retrouver nos deux amis engagés dans le combat de la résistance et dans cette guerre fratricide du peuple italien divisé en deux camps irréconciliables dont le fascisme et ses exactions porte la responsabilité. D’emblée le brouillard qui accompagne leurs pas pour rejoindre le campement des partisans , fait écho à l’esprit embrumé de Milton qui a appris par une indiscrétion que la belle Fulvia ( Valentina Bellè) qu’il aime , lui préfère peut-être son ami Giorgio . Les images des jours heureux du « trio » en flashs-back qui lui resurgissent en mémoire, la confusion et la jalousie qui s’installe dans l’ esprit déstabilisé de Milton qui veut comprendre . « Aujourd’hui, à notre époque ambigüe, en temps de guerre non guerroyée, Beppe Fenoglio nous a inspirés avec son roman Una questione privata (Une affaire personnelle) , par la folie amoureuse et jalouse de son personnage principal, qui sait seulement à moitié et veut tout savoir. Nous sommes partis de là pour évoquer, dans une longue course obsessionnelle, un drame d’amour innocent et pourtant coupable, parce que dans le quotidien atroce de la guerre civile le destin de chacun se confond avec le destin de tous » , expliquent les frères cinéastes. Au cœur de la confusion du conflit , s’ajoute celle des sentiments sur les êtres aimés dont Milton dans sa quête veut chercher à comprendre les raisons du possible désamour de Fulvia et la trahison(?) de son ami. À qui il veut demander des comptes. Mais , ce dernier arrêté par les fascistes , Milton n’aura de cesse que de trouver une solution pour l’échanger contre un des Partisans prisonnier des Fascistes …

Le quête de Milton le fait se retrouver face à ce dilemme : sauver son ami afin de connaître la vérité qui risque de rompre définitivement les liens envers les deux êtres qu’il a le plus aimés . Mais sa démarche qui l’amènera à contacter l’ennemi et « négocier » un échange de prisonnier est une motivation personnelle qui risque de mettre en danger ses camardes partisans , et donc la cause commune de l’engagement résistant. On retrouve ici la thématique de réflexion sur l’engagement politique qui est aussi , au cœur de leur cinéma . Et ici, la quête personnelle de vérité de Milton et sa jalousie amoureuse qui lui «embue » les yeux comme le brouillard qui envahit les montagnes , lui fait oublier – ou en tout cas mettre au second plan – son engagement résistant. Au delà du questionnement personnel et d’une certaine manière Universel, auquel Milton se retrouve confronté , c’est aussi pour les cinéastes « en ces temps incertains où un certain populisme, accompagné de relans fascisants des partis d’extrême droite … », une possibilité d’interpeller les consciences une fois encore au travers de leur cinéma. Car ici , la quête de Milton prend la dimension métaphorique d’une forme d’aveuglement qui peut laisser place au danger auquel les cinéastes au long de l’errance de Milton renvoient le spectre, des atrocités et de la folie . La folie qui habite le personnage du fasciste prisonnier de l’un des camps de Résistants , ou celle des incendies des villages et des massacres des habitants , ou encore du jeune gamin fusillé pour l’exemple « pour que la population comprenne qu’on ne plaisante pas ! » dira le chef de peloton !. C’est sur son chemin et sa quête personnelle que Milton va être confronté à ces atrocités qui finiront par le hanter, et peut-être le sortir de son aveuglement. Et comme toujours chez les frères Taviani, la poésie ouvrant à l’espoir au cœur de la confusion , et la musique qui joue un rôle primordial . Celle-ci ouvrant à la nostalgie d’avant-guerre avec ces airs nouveaux ( Le Somewhere over the Rainbow chanté par Judy Garland ) et les danses de l’insouciance et de la jeunesse libre . Puis , laissant place aux airs plus tourmentés où les tonalités ( classiques, élecrtoniques ou Jazz …) fusionnant dans une sorte de folie mortifère qui conclut la séquence magnifique du prisonnier fasciste et ses imitations de « solos » de batterie

Le dernier film en écriture commue des frères Taviani adapté du roman de Beppe Fenoglio était devenu une nécessité disent-ils, car « La confrontation entre l’âme publique et l’âme privée, thème éternel et toujours plus pressant aujourd’hui, trouvait une nouvelle vie grâce à la littérature, grâce à Beppe Fenoglio et sa grande histoire d’amour ». Et ce n’est peut -être pas un hasard que cette belle histoire nous soit offerte par eux , comme un épilogue émouvant et magnifique par ce qu’il nous dit d’eux et de leur cinéma. Epilogue auquel la disparition de Vittorio le frère aimé de Paolo a mis fin à une superbe et exigeante carrière d’écriture créatrice commune . « On nous a demandé parfois pourquoi nous faisions du cinéma. La réponse est que nous pratiquons le cinéma comme un acte d’amour, pour aimer et être aimés par des personnes que nous ne connaissons pas et que peut être nous ne connaîtrons jamais. » , ont-déclaré dans un entretien avec l’historien du cinéma, Jean A. Gili. Merci à eux …
(Etienne Ballérini)
UNA QUESTIONE PRIVATA de Paolo et Vittorio Taviani -2018- Durée : 1h25
Avec : Luca Marinelli, Lorenzo Richelmy, Valentina Bellè, Antonella Attili, Giulio Beronek, ,Andrea Di maria , Francesco Agostini…
LIEN : Bande Annonce du Film : Una Questione Privata, de Paolo et Vittorio Taviani .
Bonjour, merci pour cette critique et ce rappel de la carrière des Taviani. J’aurais voulu aimer le film autant que vous, mais alors que sur le papier les thèmes du film sont intéressants, la narration choisie, discontinue et épisodique, qui hésite entre l’intrigue sentimentale et description des atrocités de la guerre sans parvenir à les réconcilier, finit par égarer le spectateur, de même que Milton s’égare dans le brouillard (en tout cas le spectateur que j’étais).
[…] brillamment interprété par Luca Marinelli (vu dans On l’appelle Jeeg Robot et, récemment, Una questione privata), au jeu à la fois dense et sobre, essaye de s’élever socialement au risque de trahir sa […]
[…] Star (2009), Sweetie (son 1er long métrage – 1989), In The Cut (2003). Ciné + Emotion.Una Questione Privatades Frères Taviani (2017) – OCS City à 23h00.Dimanche 10 maiMaman à tort de Marc Fitoussi […]