Une Semaine de la Critique 2018 qui commence bien

Premiers films à la Semaine de la Critique avec l’acteur réalisateur Paul Dano en ouverture.

Wildlife, film d’ouverture de la Semaine de la Critique, est le premier film de Paul Dano, acteur américain surtout connu pour ses rôles dans There will be blood ou Little Miss Sunshine. Inspiré du roman de Richard Fox qui est devenu un classique aux Étas-Unis, paru en français sous le titre « Une saison ardente », Wildlife  est un chromo tiré à quatre épingles des années 60 dans l’Amérique profonde, telle que se l’imaginent deux jeunes gens nés dans les années 80, Paul Dano, le réalisateur et Zoé Kazan, sa compagne avec qui il a co-écrit le scénario.

Carey Mulligan in Wildlife de Paul Dano (Courtesy of Sundance Institute).

Tout est léché dans Wildlife, la photographie, la lumière, les cadrages, les camaïeux de couleurs…. Ce n’est pas très vivant et encore moins sauvage. On pense nécessairement en permanence aux tableaux de Hopper, la force en moins. Alors que la peinture de Hopper agit comme un révélateur tragique de la vacuité made in the US, Wildlife est au mieux une sage chronique de cette vie étriquée où malgré les grands espaces, on ne saurait aspirer à autre chose qu’à un peu plus d’aisance matérielle.
Nous sommes donc en présence d’une famille américaine lambda, récemment installée dans le Montana après moult déménagements, toujours à la recherche d’un environnement qui leur permettra de décoller vraiment : Jeannette la mère, femme au foyer, Jerry le père, instructeur de golf et Joe, le fils adolescent incarné par le jeune acteur Ed Oxenbould, extrêmement convaincant dans le rôle.
Le père perd son travail et tout bascule. L’architecture famille se lézarde.  Les frustrations refoulées à l’intérieur de la famille remontent violemment. Le départ du père qui part combattre les grands feux environnants vaut rupture du couple.

L’aspect sans doute le plus réussi de Wildlife tient à l’évolution du personnage de Joe. D’adolescent timoré et mal à l’aise dans son corps, il gagne en épaisseur et en autonomie en remplaçant les entraînements de foot par un petit job chez le photographe de la petite ville. Les portraits tirés chez le photographe sont autant d’images d’Épinal qui répondent entièrement à l’esthétique générale du film, mais elles font sens. Leur côté figé, voire apprêté, correspond non seulement à l’époque, mais au rôle que jouait ces photographies mises en scène plus ou moins solennellement pour les grandes occasions. Dans cette situation nouvelle, face à l’absence du père et au dérapage de la mère qui s’accroche à un rêve de stabilité et de promotion sociale en séduisant un homme beaucoup plus âgé qu’elle, Joe apprend à se faire davantage confiance.
Il est fréquent de voir des premiers films traiter de l’enfance ou de l’adolescence, on y sent la proximité du jeune réalisateur. Wildlife n’échappe pas à la règle.
Et comme tout enfant dont les parents se séparent, Joe rêve malgré tout de le voir réunis. La dernière scène est exemplaire de cette réflexion légère sur le réel et sa représentation :  trois chaises suffisent pour reconstituer la petite famille le temps d’une prise de vue, lui au centre, le déclencheur à la main, entre le père et la mère parfaitement mal à l’aise face à l’objectif. Rideau.
Wildlife est un film qui aurait sans doute gagné à un être un peu plus « wild ».

Egy Nap (Un jour) de Zsofia SzilágyiPremier film en compétition dans la sélection de la Semaine de la Critique, Egy Nap devrait sans doute plutôt se traduire par « une journée ». Une journée dans la vie d’une femme. C’est en effet à une journée ordinaire dans la vie d’une jeune femme qui ressemble à tant d’autres que nous convie la réalisatrice hongroise, Zsofia Szilági. C’est un pari osé, porté par un parti pris de mise en scène radical, tenu de bout en bout, sans le moindre temps mort.

Souvent filmés en temps réel ou presque, les gestes du quotidien s’égrainent devant nous, implacables et terribles, tendres parfois aussi, dans leur banalité même.
Nous assistons ainsi à 24h dans la vie d’Anna, magistralement interprétée par l’actrice Zsofia Zsamousi. Présente à l’écran dans pratiquement tous les plans, elle porte le film avec une incandescence rare  et nous traversons avec elle toutes les épreuves, des plus triviales au plus déchirantes. Anna est mère de trois enfants entre 10 et 2ans, les fins de mois sont difficiles et son couple bat de l’aile. Une histoire d’adultère, banale elle aussi, entre son mari et sa meilleure amie…
On le voit le canevas est ténu et la réalisatrice s’obstine à rester le plus possible au ras de pâquerettes, que ce soit dans la mise en scène, les mouvements de caméra ou encore les cadrages. Et pourtant son film décolle assez vite, porté par un travail subtil sur le rythme, où l’articulation même de la journée, morcelée en mille micro-événements fournit la structure du montage. Car Anna, bien sûr, prend à peine le temps de respirer et des millions de femmes se reconnaîtront dans cette partition de femme-orchestre : préparer les enfants pour l’école, penser au goûter et à la tenue de danse, donner ses médicaments au petit qui tousse, jongler avec les emplois du temps des uns et des autres, l’école et les activités para-scolaires, le robinet qui fuit et les embouteillages et au milieu de tout ça -accessoirement presque – aller travailler.

Mis à part que cette journée n’est pas tout à fait comme les autres, puisqu’Anna vient d’apprendre que son mari l’a trompée – apparemment sans coucherie, dans le récit officiel –  et qu’en parallèle à toutes ses activités se profile l’ombre portée  de la douleur, la perte de confiance, le sentiment d’être au bord de la catastrophe. C’est là que se déploie toute la palette de jeu de l’actrice, capable de passer en permanence de la présence à l’absence, souvent à l’intérieur d’une même scène.  Mais les contraintes pèsent lourd et Anna n’a guère de marge de manœuvre.
La bande-son contribue elle aussi fortement à nous enfermer dans le quotidien. Les bruits ambiants sont omniprésents et se superposent souvent aux dialogues, et même lorsque la mise en scène permet l’introduction d’un peu de musique, celle-ci est le plus souvent assourdissante.  Par ce biais-là non plus, l’évasion n’est pas vraiment possible. La cinéaste s’avère très habile à jouer de ces différents niveaux pour dire à la fois la complexité du réel et celle des sentiments. La scène dans la voiture où les enfants chantent à tue-tête en est un bon exemple. C’est de toute évidence un moment de complicité et de partage, mais les paroles de la chanson sont plutôt désespérées  et le rock passablement saturé …
Le film multiplie ainsi les indices, par mille petites touchent qui donnent du sens et de l’épaisseur à tous les personnages, même ceux qui restent au second plan, comme la belle-mère ou le collègue de travail. Et de ce point de vue- là  aussi la réalisatrice fait preuve d’une maîtrise et d’un savoir-faire évidents, d’autant plus remarquables qu’il s’agit d’un premier film.
Il y a fort à parier que nous entendrons encore parler de Zsofia Szilágyi dans les années à venir.

 

Josiane Scoleri

 

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