« Jusqu’à ces derniers temps, la culture en France n’était guère mise en cause par les non-cultivés que sous la forme d’une indifférence dont les cultivés, à leur tour, se souciaient peu… Car la simple « diffusion » des œuvres d’art, même agrémentée d’un peu d’animation apparaissait déjà de plus en plus incapable de provoquer une rencontre effective entre ces œuvres et d’énormes quantités d’hommes et de femmes qui s’acharnaient à survivre au sein de notre société mais qui, à bien des égards, en demeuraient exclus… En fait, la coupure ne cessait de s’aggraver entre les uns et les autres, entre ces exclus et nous tous, qui, bon gré mal gré, devenions de jour en jour davantage complices de leur exclusion.
Ainsi commence la « déclaration de Villeurbanne », datée du 25 mai 1968, signée par les directeurs des théâtres populaires et des maisons de la culture. Elle dit également :
Il y a d’un côté le public, notre public, et peu importe qu’il soit, selon les cas, actuel ou potentiel…. et il y a, de l’autre, un « non public » : une immensité humaine composée de tous ceux qui n’ont encore aucun accès ni aucune chance d’accéder prochainement au phénomène culturel sous les formes qu’il persiste à revêtir dans la presque totalité des cas.
Cette problématique sur comment se diffuse une œuvre d’art et sur comment aller à la rencontre de ce que les « villeurbannais » appellent le « non public » est au cœur de la réflexion d’Irina Brook mais aussi de son action, on peut dire de sa praxis. Je dirais bien, si je n’avais pas peur d’être un peu familier, que c’est bien la fille de son père.
Et pour cela elle nous propose un « pont » -comme s’il n’y en avait pas assez en mai- entre Mai 1968 et Mai 2018, « Les utopies culturelles ». Qu’est ce qu’une utopie ? El Commandante et un slogan de Mai 68 vous répondent magnifiquement par cet oxymore : « Soyons réalistes, exigeons l’impossible ! » Être utopiste, cela serait tenir pour réel ce que l’on sait ne pas l’être.
En préambule, je voudrai souligner que, culturellement, intellectuellement, sociétalement, le bouillonnement de Mai 1968 ne s’est nulle part retrouvé par la suite. N’oublions pas qu’à l’université de Vincennes, créée dans la foulée de 1968, Hélène Cixous, Gilles Deleuze, Jean-François Lyotard…y enseignaient.
Pour Eric de Chassey, directeur général de l’Institut national d’histoire de l’art, les « événements » ont marqué « un changement de la pratique artistique ». Après 68, « l’art sort des cadres dans tous les sens de ce terme, les artistes décident de s’exprimer directement dans l’espace public », note Claude Mollard, qui fut secrétaire général du Centre Pompidou de 1971 à 1978. 22 Mai 1968 : les étudiants des Beaux-arts occupent l ‘Académie des beaux Arts pour réaliser les fameuses affiches de Mai. Ils sont appuyés par les artistes comme Gérard Fromager, Arroyo…

Sur le théâtre, je vous renvoie à mon article du 4 février, « Mai 68, le théâtre des opérations ». Egalement, en septembre, si est rentré dans l’ordre, dans une petite salle parisienne, L’Epée de Bois, aujourd’hui délocalisée à la Cartoucherie, est programmé Akropolis, troisième et dernier spectacle vu en France de Jerzy Grotowski. Vous connaissez Grotowski, vous ?
Quant à l’écologie, si elle est absente dans Mai 68, elle va néanmoins profiter du bouillonnement intellectuel de l’époque et surtout de son effervescence contestataire. Et c’est en 1974, à l’élection présidentielle, que se présente le premier candidat écologique, le professeur René Dumont.
Revenons au TNN. Il donne carte blanche à ce qu’il nomme « nos artistes accompagnés »: Linda Blanchet [Cie Hanna R], Sylvie Osman et Greta Bruggeman [Cie Arketal], Ézéquiel Garcia-Romeu [Théâtre de la Massue], Cyril Cotinaut [TAC Théâtre], Éric Oberdorff [Cie Humaine].
Toutes ces compagnies partent disons de thèmes soixanthuitistes (si, si, ce termes existe) et les considèrent au feu de la réalité. Le tout entouré d’ateliers, des projections, des visites guidées, des expositions, des rencontres.
Que faut-il voir ? Tout, bien sûr. C’est entrée libre mais uniquement sur réservation. Consultez le programme (voir PJ) et faites fissa. Vous ne pouvez pas tout voir ? Bande de feignasses ! Je veux bien être bon prince et vous donner trois choix. Un par jour. Ca va ? Vous pouvez tenir ?
Vendredi 25 mai TNN salle Michel Simon 20h30 Que sera le théâtre en 2018 ? Cyril Cotinaut Cie TAC Théâtre Embarquez pour un voyage dans le temps et retrouvez-vous en 1968 en compagnie de deux experts en art dramatique qui imaginent ce que sera le théâtre 50 ans plus tard.
Samedi 26 Mai TNN Salle Pierre Brasseur 18h30 Générations 68 Simon Brook film-documentaire
Exclusivement à base d’images d’archives revisitées aujourd’hui, le film montre l’apparition d’une génération nouvelle qui revendique une autre vision de la société.
Dimanche 27 Mai TNN Salle Michel Simon 11h Questa mattina, mi son svegliato Italie.. Printemps 68. Chansons politiques sur fond de guitares. Revivez l’histoire avec Renato Giuliani accompagnés de jeunes comédiens italiens.
Le prologue des Utopies Culturelles, en quelque sorte l’inauguration de ces 3 jours, est le 25 mai. Le même jour, cinquante ans avant, que la Déclaration de Villeurbanne.
Le 26 Mai 1968, des comédiens du Théâtre Gérard Philippe de St Denis faisaient une représentation gratuite pour les ouvriers en grève des usines Citroën à Balard. Le 26 Mai 2018, cela sera le premier jour des Utopies Culturelles du TNN.
Hasard ou nécessité ?
Jacques Barbarin